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Les langues autochtones, des "véhicules du patrimoine culturel" en danger d'extinction

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Vidéo GEO : La dernière locutrice d'une langue autochtone non-écrite est décédée au Chili

Le récent décès de Cristina Calderon, dernière personne à parfaitement parler la langue du peuple yagan au Chili, illustre la menace qui pèse sur des centaines d'autres langues autochtones. Selon l'Unesco, plus de 1.500 d'entre elles sont aujourd'hui en danger d'extinction.

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Elle était la dernière locutrice de sa langue. En février dernier, Cristina Calderon est décédée à l'âge de 93 ans à Villa Ukika, situé à l'extrême sud du Chili. L'annonce a été communiquée sur Twitter par sa fille Lidia Gonzalez Calderon qui a qualifié sa mort de "triste nouvelle pour les Yagan".

"Grand-mère Cristina", comme ses proches la nommaient, était devenue un symbole de la résistance culturelle des peuples autochtones du Chili. Elle faisait partie du peuple yagan dont l'arrivée en Amérique du Sud remonte à plus de 6.000 ans et dont la population a considérablement chuté après l'arrivée au XIXe siècle des Européens dans cette région.

Alors qu'ils étaient quelque 3.500 à cette époque, selon les estimations, moins d'une centaine de descendants sont aujourd'hui recensés à Villa Ukika, à un kilomètre de Puerto Williams, ville la plus australe au monde. Cristina Calderon était l'une d'entre eux et elle avait été reconnue comme un "trésor humain vivant" par le gouvernement chilien en 2009.

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Elle était en effet la dernière personne de son peuple à parler parfaitement la langue yagan. "Je suis la dernière oratrice yagan", avait-elle déclaré à des journalistes en 2017. "D'autres comprennent encore mais ils ne parlent pas et ne savent pas comme moi". Quelques années plus tôt, elle avait publié un dictionnaire et un recueil de contes en yagan.

"Toutes les deux semaines, il y a une langue autochtone qui disparaît"

Le décès de cette Chilienne illustre la menace qui pèse sur des centaines d'autres langues. Selon les estimations de l'Unesco, quelque 7.000 langues sont documentées à travers le monde. Au moins 4.000 d'entre elles sont parlées par des peuples autochtones dont plus de 1.500 sont en danger d'extinction dans un avenir proche.

"Toutes les deux semaines, il y a une langue autochtone qui disparaît. Donc effectivement, c'est un bilan assez lourd", reconnaissait en 2019 Ernesto Ottone-Ramirez, sous-directeur général pour la culture de l'Unesco repris par l'AFP. L'institution a d'ailleurs décrété 2019 "Année internationale des langues autochtones".

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Objectif de l'initiative : "attirer l’attention sur la disparition désastreuse des langues autochtones et sur l’impérieuse nécessité de les préserver, les revitaliser et les promouvoir", selon le rapport de l'Instance permanente de l'ONU sur les questions autochtones. Car ces langues ne sont pas perçues comme un simple outil de communication.

Classement des pays comptant le plus grand nombre de langues parlées.   © Statista

Elles sont des "véhicules du patrimoine culturel immatériel", souligne l'Unesco. Elles rassemblent en effet un ensemble de notions sur le monde naturel, la médecine, l'histoire, les pratiques locales ou encore les traditions spirituelles. Des connaissances dont le développement s'est étalé sur des millénaires et qui ont été transmises au fil des générations.

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Ainsi, la perte progressive de ces langues a des conséquences directes sur les droits fondamentaux des peuples autochtones et est synonyme de nombreuses difficultés dans des aspects aussi variés que la politique, la justice, la santé, l'éducation, la culture ou encore l'environnement.

A l'échelle mondiale aussi, ce patrimoine a une valeur précieuse. "Chaque langue autochtone représente un paradigme et un cadre uniques pour comprendre le monde", soulignait l'Unesco en 2019. "Des vocabulaires élaborés sont construits autour de sujets avec une importance économique, socioculturelle mais aussi écologique particulière".

En effet, 67% des langues répertoriées - environ 4.700 - le sont dans des zones à forte biodiversité où les personnes connaissent très bien leur environnement et ont accumulé de riches connaissances écologiques. Autant d'informations, codées dans les langues, qui sont cruciales pour la conservation et qui pourraient disparaître en même temps qu'elles.

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Une disparition aux causes multiples

Les causes de disparition des langues sont multiples mais sont étroitement liées à leur pratique et leur enseignement. L'Unesco considère ainsi qu'une langue est en danger lorsque les enfants ne l'apprennent plus dans leur environnement familial et que les plus jeunes locuteurs sont les grands-parents. Comme l'illustre l'exemple de Cristina Calderon.

D'après les estimations, au moins 50 langues gravement menacées deviendront de cette façon "silencieuses" dans les dix prochaines années ou plus. Aujourd'hui, on constate par exemple que de nombreux jeunes issus de petites communautés autochtones ne maîtrisent pas leur langue maternelle car ils reçoivent un enseignement dans une autre langue.

Malgré la richesse linguistique mondiale, les usages restent en effet très limités. Les dix langues les plus utilisées - à savoir le mandarin, l'anglais, l'hindi, l'espagnol, l'arabe, le français, le bengali, le russe, le portugais et l'indonésien - sont employées par près de la moitié de la population mondiale alors même qu'elles représentent moins d'un pour cent du répertoire planétaire.

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De même, seules 1.400 langues environ bénéficient d'une reconnaissance légale, soit à peine 27% seulement des quelque 7.000 en usage. Et moins de 530 sont reconnues légalement dans plus d’un pays. Autant de facteurs notamment socioculturels, économiques et politiques qui ne favorisent pas le maintien des dialectes plus rares.

Plus qu'une disparition, c'est plus exactement un abandon progressif qui pèse sur l'héritage linguistique des peuples autochtones. Une tendance renforcée par les nouvelles technologies et l'avènement du numérique. Actuellement, moins de 2% des langues utilisées bénéficient de systèmes exploitables tels que la traduction automatique, d'après l'Unesco.

Au Canada, 1,7 million d'autochtones, moins de 16% de locuteurs

Dans certaines régions, cet abandon progressif, de même que l'absence de reconnaissance, est perçu comme une conséquence directe de l'oppression subie par les peuples. C'est notamment le cas au Canada où 1,7 million d'autochtones sont recensés dont moins de 16% - soit environ 260.550 - parlent une langue autochtone, selon des estimations relayées par Radio Canada.

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Avec quelque 96.600 locuteurs, le cri - langue dite algonquienne - figure en tête des plus parlées. Le tout premier discours officiel en cri n'a pourtant été prononcé qu'en janvier 2019 par un député de la Chambre des communes, le parlementaire Robert-Falcon Ouellette. Et elle constitue la seule langue autochtone dans laquelle le média canadien CBC diffuse certaines émissions de radio.

Pour l'ethnologue de la nation huronne-wendate Isabelle Picard interrogée par Radio Canada, les gouvernements ont des responsabilités "morales et politiques" dans la transmission et la conservation de ces langues. Elle évoque notamment les pensionnats gérés par les églises qui ont accueilli des centaines de milliers d'enfants indiens au XXe siècle.

Cette page sombre de l'histoire canadienne a récemment refait surface avec la découverte de nombreuses tombes anonymes. "Avec les pensionnats, on prenait les enfants en bas âge et on les obligeait à parler le français ou l’anglais, c’était interdit de parler une langue autochtone, c’est le gouvernement qui a fait ça", a-t-elle affirmé.

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Le Canada compte Canada 1,7 million d'autochtones dont moins de 16% - soit environ 260.550 - parlent une langue autochtone.  © Pixabay

En juin 2019, le Canada a franchi un pas majeur en adoptant une loi reconnaissant que "les langues autochtones font partie intégrante des cultures et des identités des peuples autochtones et de la société canadienne" et en officialisant la création d'un bureau du commissaire aux langues autochtones. Il a aussi instauré une journée nationale qui leur est consacrée le 31 mars.

Des avancées saluées par le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Canada (APN), Perry Bellegarde : "aucune langue autochtone au Canada n'est en sécurité. Mais maintenant il y a de l'espoir. Cette loi appuiera les efforts des Premières Nations pour conserver leurs langues vivantes et fortes".

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Enseigner les langues pour les revitaliser

Ces dernières années, les efforts pour empêcher cet héritage linguistique de disparaître se sont multipliés à travers le monde. Au Canada comme ailleurs, malgré la difficulté de raviver certains dialectes parfois endormis depuis des décennies. En Australie, par exemple, le campus de l'Université Charles Darwin à Sydney a proposé en 2019 des cours de kamilaroi.

Native du sud-est de l'Australie, cette langue aborigène, aussi appelée gamilaraay, a perdu ses derniers locuteurs dans les années 1950 et s'était depuis quasiment éteinte. Les cours s'intégraient dans un projet collaboratif plus vaste, l'Australian Indigenous Languages Institute, qui a renouvelé l'initiative l'année suivante.

Autre exemple en Amérique du Sud, plus exactement en Bolivie où "nous appliquons une éducation interculturelle et bilingue", soulignait en 2019 pour l'AFP Diego Pary Rodriguez, ministre des Affaires étrangères. "On a ainsi la possibilité de faire l'enseignement dans la langue maternelle autochtone, mais aussi en espagnol".

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"Et dans les universités indigènes, il y a des cours dans trois langues autochtones de la Bolivie : l'aymara, une langue bolivienne, le quechua, qui en est une autre, et le guarani, une langue qui vient de la partie orientale du pays", a-t-il poursuivi. Outre l'espagnol, une trentaine de langues sont reconnues comme officielles par la constitution de Bolivie de 2009.

En Afrique qui abrite l'une des plus grandes diversités linguistiques au monde, des efforts sont aussi menés. C'est notamment le cas au Kenya où le paysage médiatique, aussi riche qu'actif, comprend désormais des stations de radio et des chaînes de télévision proposant des émissions en différentes langues pour les communautés locales.

Une décennie pour succéder à l'année internationale

Dans le cadre de l'Année internationale des langues autochtones, ce sont près de 1.000 activités qui ont été organisées par 78 pays, selon le bilan de l'Unesco, principalement en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Des initiatives qui ont certes sensibilisé mais aussi confirmé "l'extrême vulnérabilité" de ces langues dans le monde.

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En 2021, l'ONU a décidé de prolonger le travail à travers une Décennie internationale, de 2022 à 2032. "Nous avons dû nous résigner qu’une année de sensibilisation était insuffisante pour faire face aux défis et enjeux de la sauvegarde de ces langues", a expliqué lors d'une table ronde Sven-Erik Soosaar, membre de l'Instance permanente pour l'Estonie.

Parmi les activités de cette décennie, l'organisation a notamment participé à l'élaboration d'un atlas mondial destiné à rassembler les données relatives aux langues dans le monde et dans chaque pays. Un outil bien plus complet que l'atlas déjà disponible pour "éclairer les politiques et actions linguistiques" et qui devrait prochainement être mis à disposition du public.

"La Décennie internationale est une opportunité historique de promouvoir et de sauver les langues autochtones à tous les niveaux", a estimé Aili Keskitalo, présidente du Parlement sami de Norvège.

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