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Cerveau et psy

PREMIERE. Atteint du syndrome d'enfermement, un patient communique par la pensée... Et des électrodes

C'est une première : un patient totalement tétraplégique en raison de la maladie de Charcot a pu s'exprimer au moyen de deux électrodes implantées dans son cerveau et d'une interface informatique. Un succès médical, qui montre que paralysie ne rime pas avec mort ni inconscience.

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PREMIERE. Atteint du syndrome d'enfermement, un patient communique par la pensée... Et des électrodes

Deux microélectrodes, chacune de 3,2 mm de côté, ont été insérés dans la surface du cortex moteur - la partie du cerveau responsable du mouvement. Chaque réseau comporte 64 électrodes en forme d'aiguille qui enregistrent les signaux neuronaux.

Wyss Center / Nature Communications / Chaudhary
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PREMIERE. Atteint du syndrome d'enfermement, un patient communique par la pensée... Et des électrodes
Camille Gaubert
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Un jeune trentenaire entièrement paralysé par la maladie de Charcot a pu s’exprimer au moyen d’électrodes implantées dans son cerveau, rapportent des travaux publiés dans la revue Nature Communication. Cette nouvelle étape vers des interfaces capables de décoder nos pensées est un grand pas pour la médecine et la technologie. 

Le Locked-In Syndrome, quand la paralysie empêche de communiquer 

Je voudrais écouter fort l’album des Tool", un groupe de métal californien, écrit le patient de 34 ans en allemand, enfin. Nous sommes au jour n°245 après que deux électrodes ont été implantées dans son cerveau, seule partie de son corps encore sous son contrôle. Car le patient, tétraplégique, souffre du Locked-In Syndrome (LIS), dans lequel il entend tout et comprend tout, mais ne peut ni bouger ni parler. Si 85% des LIS sont causés par un accident vasculaire cérébral (AVC), d'après l'association ALIS, le cas de ce patient est différent : il est atteint de sclérose latérale amyotrophique, ou maladie de Charcot. Cette maladie neurodégénérative, dont souffrait également le célèbre scientifique Stephen Hawking, provoque une perte progressive du contrôle moteur de son corps. Au point que contrairement à la plupart des personnes souffrant de LIS, ce patient là ne peut même plus cligner des yeux. Une perte dramatique, puisqu’elle permet aux systèmes d’interface cerveau-ordinateur de fonctionner. C’est ainsi, en clignant une fois pour oui et deux fois pour non, que l’auteur du célèbre livre “Le Scaphandre et le papillon“, atteint de LIS après un accident, a pu écrire l'ouvrage sorti en 1997.  

La réalité des patients LIS en France. Les patients qui ne disposent que du mouvement oculaire pour communiquer utilisent des tablettes commandées par le mouvement oculaire : l'oeil fait office de souris sur un clavier qui apparaît à l'écran, explique Véronique Blandin, déléguée générale de l'association ALIS. "C'est laborieux au début, ça demande de la concentration, c'est fatigant."

Dans les dernières décennies, de nombreux chercheurs ont testé des versions avancées de ce dispositif au moyen d’électrodes implantées directement dans le cerveau. Ces interfaces cerveau-ordinateur avaient déjà montré qu’elles permettaient une “communication réussie” avec des personnes paralysées, explique Jonas Zimmermann, neuroscientifique principal au Centre Wyss à Genève et co-auteur de la nouvelle étude. “Mais, à notre connaissance, notre étude est la première à réussir à communiquer avec une personne qui n'a plus de mouvement volontaire et pour qui cette interface est désormais le seul moyen de communication." 

Trois mois pour contrôler les électrodes avec l’activité de son cerveau 

Dans la chambre qui lui a été aménagée chez lui, le patient met 105 jours à apprendre à communiquer avec les deux électrodes implantées dans des zones de son cerveau dédiées au contrôle moteur. Précédemment, lorsqu’il avait encore le contrôle de ses yeux, il maîtrisait la version précédente de l’outil, non invasive. L’interface lui permettait alors de communiquer au moyen de mouvement horizontal des yeux. Sans ces derniers, maintenus fermés par la maladie, il lui faut trouver un moyen d’activer l’électrode. Pour l’aider, les scientifiques installent un second système de “neuro-feedback” qui l’informe au moyen d’un signal sonore s’il a réussi à activer l’électrode ou non. “Le patient module son 'taux de décharge' (activation des neurones, ndlr) jusqu'à ce que le son qu'il entend l'informe qu'il l'a bien fait", rapporte le chercheur Ujwal Chaudhary, co-auteur de ces travaux. Comment fait-il exactement ? Difficile à dire. “Pouvez-vous me dire comment vous pensez ?”, interroge un troisième co-auteur, Niels Birbaumer. “Moi pas.” Mais Ujwal Chandhary énonce une hypothèse. “Nous avons demandé au patient quelle était sa stratégie, en réponse à quoi il a épelé 'MOUVEMENT DES YEUX', ce qui peut être interprété comme le fait que le patient essayait de faire des mouvements oculaires pour moduler son taux de décharge, comme avant l'implantation.” 

Un caractère par minute : la communication, enfin 

A force de tâtonnement, le patient réussit à moduler le signal sonore correspondant à l’activation de ses électrodes au jour 86. Au jour 98, enfin, il parvient à moduler le taux de décharge neuronal pour atteindre les objectifs fixés par l’interface. Au jour 106, il réussit à sélectionner des lettres lorsqu’elles lui sont énoncées à l’oreille. Au-delà d’un certain seuil et s’il était maintenu plus de 250 millisecondes, le signal de décharge neuronale capté par les électrodes est converti par l’interface en “OUI”, tandis que sous un certain seuil, c’est traduit comme un “NON”. Lorsque le patient réussit à excéder les 80% de réussite lors des exercices d’entraînement, les chercheurs lui permettent de former ses propres phrases. Au rythme moyen d’un caractère par minute, il s’exprime enfin. Les premiers messages font part de nécessités physiques : “Pas de chemise mais des chaussettes” pour la nuit, et “tête toujours droite”. Puis viennent des pensées moins concrètes. “Pourquoi ne pouvez-vous pas laisser le système allumé. Je trouve ça bon”, espère-t-il en allemand. Le patient progresse dans son apprentissage et sa maîtrise du système. “Les gars ça fonctionne sans effort” épelle-t-il au jour 247. 

La réalité des patients LIS en FranceVéronique Blandin cite Philippe Vigand, 32 ans, réveillé avec un LIS après un accident et un coma. Dans son livre "Putain de silence" paru en 1997, il dit : "au tout début, je composais une ligne en 20 minutes et j'avais l'impression que chaque lettre avant le poids d'une grosse pierre sur mon crâne. J'arrivais à peine à aller au bout de courtes phrases." Depuis, "la commande oculaire  est plus conviviale mais l'apprentissage n'est pas anodin", conclut Véronique Blandin.

Nous avons prouvé que la communication est possible même pour les patients souffrant de CLIS (locked-in syndrome complet, ndlr), et que chez ces patients, la pensée ne disparait pas”, énumère Ujwal Chandhary. “De nombreux médecins et théoriciens de la conscience” supposent que la mémoire et la conscience sont “affectés” par la paralysie, mais l’étude démontre que c’est faux, continue le chercheur. Enfin, ils rapportent la possibilité d’une “qualité de vie positive” même dans cet état, d’autant que leur système fonctionnait au domicile du patient. “Notre principale réalisation c’est la démonstration que les patients atteints de CLIS ne sont ni morts ni inconscients mais heureux et conscient comme vous et moi”, renchérit Niels Birbaumer. 

Une réussite scientifique et humaine 

Car devant ce succès la satisfaction est certes scientifique, mais surtout humaine. “Nous avons fourni un canal de communication à une personne qui, autrement, n'aurait pas pu communiquer”, se réjouit Jonas Zimmermann. Ce système de communication par interface cerveau-machine “profitera aux personnes les plus gravement paralysées, celles qui vivent avec un accident vasculaire cérébral du tronc cérébral, une sclérose latérale amyotrophique ou une lésion de la moelle épinière de haut niveau”, anticipe le chercheur.  

La réalité des patients LIS en France. Les tablettes numériques ou les barrettes qui permettent le suivi oculaire pour commander les appareils, et qui se fixent sur un ordinateur, "sont très faciles à calibrer", assure Véronique Blandin. "Le paramétrage du clavier propose aussi une prédiction comme sur nos téléphones. Mais cela peut être long pour que tout soit bien adapté aux besoins de la personne, avec un bouton clavier pour la télé, les fonctions, les appels, etc". De plus, le coût de ces appareillages est "exorbitant". Il faut compter 17.000 euros pour le dispositif le plus complet, et 2.000 euros pour la barrette seule.

Pour en faire profiter plus de malades, les chercheurs ont créé une organisation à but non lucratif appelée ALS Voice. “L’objectif est de fournir un moyen de communication personnalisé aux patients LIS et CLIS, grâce à des solutions de communication avec interface cerveau-ordinareur non-invasives à invasives”, explique Ujwal Chaudhary. De plus, au sein du Centre Wyss où travaillent les scientifiques, un système entièrement implantable et utilisable pour ces interfaces est en cours de vérification préclinique (sur les animaux, ici des moutons). Nommé ABILITY, ce système sans fil “réduit les risques d'infection et améliore la facilité d'utilisation”, détaille Jonas Zimmermann. Il permettra de détecter et de traiter des signaux provenant de zones très spécifiques ou plus vastes du cerveau, afin de directement décoder la parole en temps réel, couplé à des systèmes vocaux pour une communication plus naturelle. 

Faire parler directement le cerveau : cette perspective pouvait sembler vertigineuse il y a peu, et pourtant en 2022 ces premiers résultats sur le jeune patient la rendent presque palpable. Dans sa chambre, au jour 253, il s’adresse à son fils de 4 ans. “Willst du mit mir bald disneys robin hood anschauen”, écrit-il caractère par caractère. En français, “veux-tu regarder Robin des Bois de Disney avec moi”. 

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