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Russie: interrogations autour du sort du ministre de la Défense et du chef d'état-major, invisibles depuis 15 jours

Sergueï Choigu au premier plan, et Valery Gerasimov au fond au Kremlin le 27 février.

Sergueï Choigu au premier plan, et Valery Gerasimov au fond au Kremlin le 27 février. - Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Sergueï Choïgu, ministre de la Défense de la Fédération de Russie, et Valery Gerasimov, chef d'Etat-major de l'armée russe, n'ont plus été vus en public depuis le 11 mars. Le Kremlin a indiqué ce jeudi que le premier venait de présenter un rapport sur la situation en Ukraine au cours d'une réunion au sommet. Mais l'incertitude demeure autour de ces deux figures de l'invasion de l'Ukraine.

Où sont-ils passés ou peut-être que sont-ils devenus? L'un est ministre de la Défense de la Fédération de Russie, l'autre est le chef d'état-major des armées du pays. Et en plus d'être les premiers comptables de l'offensive russe en Ukraine devant Vladimir Poutine, ils partagent un second point commun: le ministre Sergueï Choïgu et le général Valery Gerasimov n'ont plus été vus depuis près de deux semaines.

Devant la montée des interrogations autour de la disparition de ces deux hommes - pourtant habitués à se montrer dans les médias - à un moment si crucial, le Kremlin a réagi ce jeudi, assurant notamment que le ministre de la Défense venait de faire son rapport sur la situation ukrainienne à son président. Sans produire ni preuve, ni image à l'appui de cette allégation et donc sans dissiper l'incertitude générale.

Vus pour la dernière fois le 11 mars

La dernière apparition publique des deux responsables remonte maintenant à treize jours, au 11 mars précisément. Ce jour-là, Sergueï Choïgu est filmé au moment où il se prête à un exercice chéri entre tous par les autorités russes: accrocher des médaillles sur la poitrine de soldats de retour du front.

Quant à la dernière fois où on a vu ces deux fidèles parmi les fidèles aux côtés de Vladimir Poutine, elle date du 27 février: on se souvient des deux cadres de l'armée l'écoutant, depuis l'autre bout d'une table interminable, se prononcer pour la "mise en alerte des forces de dissuasion nucléaire" du pays.

Depuis ces deux rendez-vous, ils échappent à tous les regards. Et n'ont pas décroché leur téléphone lors des coups de fil que leur ont passés au cours du dernier mois leurs homologues américains désireux de maintenir le contact, comme l'a déploré mercredi le porte-parole du Pentagone, John Kirby, cité par le Washington Post.

"Il a beaucoup à faire actuellement"

Signe que cette volatilisation soudaine n'a rien de naturel, le régime a fini par évoquer la question ce jeudi. Dmitri Peskov, porte-parole de la présidence, a transmis la déclaration suivante aux agences d'information russes à la mi-journée: "Monsieur Choïgu a fait son rapport sur le déroulement de l'opération militaire spéciale" en Ukraine lors d'une réunion du Conseil de sécurité du Kremlin.

Curieusement, cette déclaration a succédé de quelques instants à une précédente précision du même homme et sur le même sujet. Lors d'une conférence de presse, Dmitri Peskov s'était en effet borné à dire:

"Le ministre de la Défense a beaucoup à faire actuellement (...) ce n'est pas vraiment le moment de faire dans l'activité médiatique".

Sur BFMTV ce jeudi matin, Alexander Makogonov, porte-parole de l'ambassade de Russie en France, était à l'unisson. Questionné à propos de l'invisibilité de Sergueï Choïgu, celui-ci a ironiquement et laconiquement répondu: "Il est occupé, peut-être?"

Pas de preuves directes

Les autorités russes ont par conséquent préféré changer leur fusil d'épaule sans pour autant apporter de preuve appuyant la présence du ministre - et encore moins du chef de l'état-major - auprès de Vladimir Poutine lors de cette réunion.

Les éléments indirects se voulant les témoignages d'une activité de Sergueï Choïgu au cours des deux dernières semaines, compilés par Newsweek, abondent quant à eux. Mais jusqu'ici ils ont davantage renforcé le scepticisme qu'ils n'ont balayé le mystère.

Le 18 mars, la chaîne russe Channel 1 assure que le ministre a assisté à une nouvelle cérémonie de récompenses militaires, mais les images illustrant l'événement sont celles du 11 mars. Sur le site du Kremlin, on évoque encore sa participation le même jour au Conseil de sécurité, mais sans livrer ni photo ni vidéo.

Plus récemment, la presse internationale a affirmé qu'il avait limogé le général Vladislav Yershov, lui retirant le commandement du 6e corps d'armée, sur fond de pertes trop importantes sur le front ukrainien, avant de l'assigner à résidence.

La disgrâce après des "temps plus heureux"?

En dépit de cette avalanche de preuves qui n'en sont pas et de dénégations officielles, se peut-il d'ailleurs que Choïgu et Gerasimov aient connu un sort similaire d'assignation à résidence, sous le coup de l'enlisement de l'offensive dont ils avaient la charge? Une disgrâce subite et une mise à l'écart dans quelque datcha sous bonne garde?

"Beaucoup de ragots sur Telegram aujourd'hui au sujet de l'endroit où se trouve le ministre de la Défense de Russie, Sergueï Choïgu. Pas vu en public depuis 12 jours, et pas vu avec Poutine depuis cette rencontre du 27 février où il lui avait été ordonné de rehausser le niveau d'alerte des ogives. Photo de temps plus heureux", a ainsi tweeté mercredi le journaliste du Moscow Times, Jake Cordell, publiant un cliché de Sergueï Choïgu et Vladimir Poutine profitant de la neige et d'un mug fumant.

Mais à vrai dire, les bavardages Telegram se font l'écho d'un tout autre bruit. Ainsi dans le fil paru sur cette plateforme de messagerie, le média russe indépendant Agentstvo a suggéré la possibilité que Sergueï Choïgu, 66 ans, souffre de problèmes cardiaques.

Toujours est-il qu'en pleine guerre contre le voisin ukrainien, le ministre de la Défense et le chef d'état-major russes demeurent introuvables.

Le politique et le soldat

Leur absence pèse d'autant plus qu'ils sont tous deux des figures très familières aux Russes, avant même leurs promotions conjointes en 2012. Les pédigrées respectifs de ces soutiens indéfectibles de Vladimir Poutine, sont en revanche très dissemblables.

Sergueï Choïgu n'est pas un militaire, ni même un vétéran des services secrets. C'est un vrai politique, déjà ministre (des Situations d'urgence) sous Boris Eltsine. Il est originaire de la région de Touva, république de la Fédération de Russie située en Sibérie orientale. Province où il a plusieurs fois partagé des parties de pêche avec Vladimir Poutine dans sa maison de campagne. Il a aussi dirigé la formation présidentielle, Russie unie.

Valery Gerasimov est, lui, militaire. Cet homme né à Kazan en 1955 est un ancien de l'Armée rouge. Il a exercé comme général dans la guerre en Tchétchénie au tournant des années 1990-2000, ainsi que dans les opérations conduites dans le Donbass et en Crimée en 2014. Il semble que ses états de service témoignent aussi pour lui au plan moral. En effet, son comportement en Tchétchènie lui a même valu l'éloge d'Anna Politkovskaïa, cette journaliste dissidente assassinée par le pouvoir en 2006 et qui avait désigné en lui un "homme ayant su préserver son honneur en tant qu'officier". Elle faisait référence à sa volonté de traîner en justice un soldat russe meurtrier d'une Tchétchène.

Mais c'est moins leur honneur que leur efficacité qui a séduit Vladimir Poutine en eux: celui-ci a estimé qu'ils étaient les grands artisans de la campagne de 2014 aux côtés des séparatistes du Donbass et de l'annexion de la Crimée. Le monde d'hier, déjà.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV