Tahiti : découverte du plus grand récif corallien en eau profonde au monde

Des scientifiques ont plongé à 70 mètres de profondeur pour observer un récif de corail en forme de roses. Ces coraux se sont multipliés sur plusieurs kilomètres, sans aucune trace de détérioration liée à l’activité humaine ou au réchauffement climatique.

De Margot Hinry
Publication 4 févr. 2022, 12:57 CET
Récif corallien au large de Tahiti, en Polynésie française.

Récif corallien au large de Tahiti, en Polynésie française.

PHOTOGRAPHIE DE Alexis Rosenfeld

C’est une excellente nouvelle pour la communauté scientifique. Fin 2021, Alexis Rosenfeld, plongeur et explorateur, entraîne son équipe dans les eaux profondes de la Polynésie française. Leur mission, en collaboration avec l’UNESCO et en partenariat avec les scientifiques du Criode et du CNRS, est d’explorer ce nouveau massif corallien.

La Docteure Laetitia Hédouin qui a co-dirigé la mission d’exploration scientifique soupçonnait déjà, après un premier passage, la présence d’un récif hors du commun. « J’étais assez bluffée. Quand j’ai plongé avec eux, j’étais impressionnée par la taille des coraux, à perte de vue ».

« Localement, on connaissait l’existence de coraux. On ne connaît toujours pas la fin de ces coraux, parce que nous n’avons pas été au bout. [Ce serait] le récif profond le plus long du monde » ajoute Alexis Rosenfeld.

Dans cette zone que le photographe aime à décrire comme étant entre « ombres et lumières », ces champs de roses se sont multipliés sur plusieurs kilomètres, sans aucune trace de détérioration liée à l’homme ou au réchauffement climatique. « Cela commence à 35-40 mètres de profondeur et la densité du champ s’étire jusqu’à 70 mètres environ, mais on a vu qu’encore plus loin il y avait encore du corail ».

Le corail mesure jusqu’à trois mètres pour certaines parties, « elles sont d’une délicatesse infinie. Parfois, un peu comme de la dentelle, tellement c’est fin. C’est très beau » témoigne Alexis Rosenfeld.

Un rapport sur l’état des récifs coralliens du monde entier écrit en 2020 précisait que 14 % des coraux avaient disparu depuis 2009, à cause du réchauffement de la planète. À l’origine du stress permanent de ces coraux, on trouve également la surpêche, une baisse évidente de la qualité de l’eau à cause des activités humaines mais également, par « un développement côtier non-durable ».

Les équipes d'Alexis Rosenfeld découvrent le gigantesque récif corallien, en Polynésie française.

PHOTOGRAPHIE DE Alexis Rosenfeld

UN RÉCIF CORALLIEN DÉPOURVU DE STRESS

De nombreuses menaces pèsent sur les récifs coralliens. Le plus souvent, on constate qu'ils souffrent lors d'épisodes de blanchissement. « C’est une réaction au stress, principalement aux fortes températures. Le corail vit en symbiose avec une algue. La hausse, ne serait-ce que de 1 %, des températures perturbe le fonctionnement de la photosynthèse de ces micro-algues. Cela va libérer des molécules d’oxygène à l’intérieur des tissus, qui vont devenir toxiques. Ce stress oxydatif va gêner le corail et donc il va devoir expulser ces micros-algues » explique la co-directrice de mission.

En expulsant ces micro-algues, le corail se prive de 95 % de son énergie. « Si le stress dure trop longtemps, on atteint les fonctions physiologiques du corail, et il meurt ». La plupart des coraux en souffrance sont blancs, ce qui signifie qu’ils sont bien vivants mais mal en point, blessés par le rejet des micro-algues.  

Comment le gigantesque récif corallien récemment découvert a-t-il pu prospérer pendant près de vingt à trente ans sans être soumis à pareil stress ? « Ils ont réussi à grandir sans être perturbés par les activités humaines, sans être touchés par les épisodes de blanchissement, sans être touchés par les Acanthasters (Acanthaster planci), qui sont des étoiles de mer qui grignotent le corail. On a [pourtant] eu un gros épisode en 2010, en Polynésie ».

Le réchauffement des océans provoque le blanchiment du corail

La théorie la plus probable émise par les scientifiques de la mission repose sur la profondeur de cet écosystème corallien mésophotique. « Comme on descend dans les profondeurs du récif, on a moins de lumière. On sait que le blanchissement est lié à une forte température et à une forte lumière. Même s’il existe une anomalie thermique, les coraux vont moins blanchir ou mieux s’en remettre. Le stress n’est pas assez intense pour entraîner de la mortalité » analyse Laetitia Hédouin. « C’est surprenant et encourageant car potentiellement, on pourrait en trouver plein d’autres ».

 

« ON EST JULES VERNE, ON EST COUSTEAU »

Alexis Rosenfeld se voit comme un passeur, capable de donner à voir ces zones difficiles d’accès. « Je ne suis pas un scientifique. Mon rôle, c’est de raconter une histoire avec beauté. On retourne dans ce monde de l’exploration qui sublime les rêves d’enfants. On a cet accès-là, on est Jules Verne, on est Cousteau, on peut faire tout cela, aujourd’hui encore ».

Seuls 20 % des fonds marins ont été cartographiés d'après les estimations les plus récentes. Les profondeurs marines, ces zones entre ombre et lumière sont difficilement accessibles. Pas assez profondes pour les sous-marins, trop profondes pour les plongeurs. Pour plonger, l’équipe du photographe à utilisé une nouvelle technologie, appelée « recycleur ». « Ce sont des petites usines que l’on a dans le dos, qui permettent de nettoyer nos gaz pour les respirer à nouveau et d’aller plus profond, plus longtemps. On respire de l’hélium aussi, pour pouvoir aller plus loin. C’est pour cela que l’on peut se balader aisément à 100 mètres de profondeur » explique-t-il.

« Cela fait une dizaine d’années que nous avons cette nouvelle technologie. Donc cela fait une dizaine d’années qu’il y a un intérêt, qu’il y a de plus en plus de scientifiques qui se forment pour aller analyser cette zone crépusculaire. Comment interpréter les coraux, comment vivent-ils, jusqu’à quelle profondeur ? » ajoute la scientifique.

Pour l’instant, les experts n’ont pas eu le temps de se pencher sur la présence d'animaux marins autour de ce grand récif. Mais à la surprise de l’experte, les poissons se faisaient rares. « Il y a peu d’espèces marines, c’est très désert. La particularité de la Polynésie c’est que sa biomasse est beaucoup plus concentrée dans les passes, ces ouvertures dans la barrière de corail qui permettent ce brassage entre l’eau océanique et lagunaire. Il y a une concentration animale dans ces ouvertures » suppose le photographe.  

Aujourd’hui, les missions et différents projets de découverte et d’analyse des récifs coralliens ne manquent pas. « Le récif est dominé par deux ou trois espèces coralliennes qui forment ces roses. L’idée, c’est de savoir si la diversité en corail que l’on a dans cette zone est beaucoup plus fiable qu’en surface ou si finalement, on va retrouver toute la diversité de la surface ».

« Il y a beaucoup de projets, de grosses missions sont à venir » sourit Alexis Rosenfeld. Leur objectif : comprendre ces mondes des profondeurs pour mieux les préserver.

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