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Monde - Témoignages

Pour ces journalistes russes opposés au Kremlin, fuir est la seule option

Depuis le 24 février, une véritable répression est lancée par Moscou contre les voix remettant en question le récit officiel de la guerre en Ukraine.

Pour ces journalistes russes opposés au Kremlin, fuir est la seule option

Les locaux de la radio Ekho Moskvy, fermée par les autorités russes début mars courant.

En l’espace de quelques jours, tout a basculé. Selon un protocole mis en place depuis le début de la pandémie de Covid-19, Alexei* se prépare à participer, en appel vidéo Zoom, à la conférence de rédaction quotidienne prévue aux alentours de midi, à l’instar d’une quinzaine d’autres journalistes de son équipe. Mais alors qu’il y a encore un mois, tous se connectaient depuis Moscou, où se situaient les locaux de Mediazona, un média en ligne politique russe et indépendant, aujourd’hui, chaque membre de la rédaction rejoint la conférence virtuelle depuis des pays étrangers. Tous les journalistes sont désormais disséminés « un peu partout dans les pays voisins », explique Alexei, tout en prenant soin de ne pas citer les pays en question par peur pour ses collègues. Lui confie tout de même être en Arménie. Il y était arrivé la veille de l’invasion russe de l’Ukraine avec un simple sweat shirt et un sac à dos pour ce qui devait être un voyage express afin de se faire vacciner contre le Covid-19. La guerre a bouleversé ses plans. « Pendant que je me remettais des effets secondaires du vaccin, la guerre a éclaté », lâche-t-il. Depuis le 24 février, les journalistes opposés à la propagande du Kremlin sont perçus comme une menace au sein du pays. Selon une loi signée le 4 mars par le président russe, Vladimir Poutine, ils encourent désormais des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison pour la propagation d’informations visant à « discréditer » les forces militaires. La plupart des médias encore indépendants et les principaux réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook, ont également été bloqués par les autorités russes.

Temps du stalinisme

« On nous traite comme des criminels », tempête Valery Nechay, qui avait rejoint en 2003, à tout juste 19 ans, le bureau de Saint-Pétersbourg de la radio indépendante Ekho Moskvy (l’Écho de Moscou), l’un des rares espaces où des opposants au Kremlin pouvaient encore s’exprimer. Six jours de couverture médiatique de la guerre en Ukraine ont suffi pour que les autorités russes retirent la station des ondes le 1er mars. Cela ne s’était produit qu’une seule fois, en août 1991, lors du putsch manqué contre Mikhaïl Gorbatchev. Depuis quelques jours, Sputnik Radio, une station de propagande d’État affiliée à l’agence de médias Russia Today contrôlée par le Kremlin, a repris la fréquence de l’Écho de Moscou. « On se croirait au temps du stalinisme… » souffle Valery Nechay. La chaîne YouTube de l’Écho de Moscou a également été bloquée avant que le conseil d’administration ne vote la fermeture de la station. Le principal propriétaire du média n’était autre que GazProm, la gigantesque compagnie gazière affiliée au gouvernement russe. « Durant toutes ces années, nous étions pourtant libres. À aucun moment GazProm n’avait interféré dans notre couverture des événements », assure le journaliste.

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Au sein de la rédaction, l’éclatement de la guerre n’avait pas bousculé les programmes. « Nous avions décidé de continuer à exercer notre travail normalement, de faire entendre des opinions différentes. Pas seulement celle du Kremlin, mais aussi des voix d’Ukraine, de lancer de nombreux débats et émissions à ce sujet », souligne son collègue, Arseniy Vesnin, qui a fui vers la Grèce après une escale à Istanbul. « À ce moment-là, les prix des billets étaient encore abordables », précise-t-il. Il y a encore un mois, l’aller simple coûtait environ 200 euros. Aujourd’hui, il peut atteindre le double, alors que le rouble s’effondre par ailleurs sous le coup des sanctions occidentales.

Saper l’efficacité de l’armée russe

Face à la censure du Kremlin, impossible de raconter la guerre. Selon le récit dicté par les autorités russes et auquel doivent se plier les journalistes, il ne s’agit d’ailleurs pas d’une guerre mais d’une « opération militaire spéciale ». « Il était aussi interdit d’interviewer pour nos articles et nos programmes radio les mères des soldats tués ou blessés en Ukraine car cela pouvait être considéré comme un moyen de saper l’efficacité de l’armée russe », rapporte Valery Nechay. Braver ces interdictions a un prix. « Nous avons utilisé la terminologie de «guerre» et, à partir de là, nous avons compris, surtout quand ils nous ont bloqués, que nous serions amenés à partir », explique Alexei. Début mars, ils étaient au moins 150 journalistes à avoir quitté le pays depuis le 24 février, selon le site de journalisme d’investigation Agentstvo, désormais inaccessible en Russie.

Pour Valéry Nechay, fuir était la seule option pour garantir la sécurité de ses proches. « En tant que journalistes, nous recevons souvent des menaces en ligne mais je n’y prêtais pas beaucoup attention parce que je me disais que c’était le monde virtuel, explique-t-il. Tout allait bien jusqu’à ce que quelqu’un commence à appeler ma mère au téléphone. Et puis quelqu’un est venu sonner à l’interphone. » « Transmettez mes salutations à votre fils », lui a-t-on dit. « Une façon de m’informer qu’elle n’était plus en sécurité », résume Valéry Nechay. Le journaliste confie avoir été par la suite menacé physiquement. Il insiste sur le fait qu’il n’est pas autorisé à divulguer en détail ce qui s’est passé « car cela fait partie d’un accord ». En échange de sa fuite, ses agresseurs lui ont promis que sa mère serait en sécurité. « Cela m’a conforté dans l’idée qu’il fallait partir rapidement, insiste-t-il. J’avais déjà pris mon billet pour quitter la Russie. » Même récit du côté d’Arseniy Vesnin. « Un jour après ma fuite, la police s’est rendue à l’appartement de mes parents, raconte-t-il. Elle y est revenue deux ou trois fois, mes parents et mes amis y vivent mais tout le monde a fait comme s’il n’y avait personne à la maison. »

Incertitude

Soulagés d’avoir fui mais inquiets pour l’avenir, ces journalistes entendent poursuivre, comme ils le peuvent, leur travail. « Les rédacteurs travaillent toujours sur YouTube ou lancent des podcasts », souligne Valéry Nechay. « Comme nous essayons d’assurer la sécurité de nos journalistes, il est évidemment plus difficile de couvrir un événement tel que des rassemblements dans la rue ou des audiences au tribunal », explique de son côté Alexei, qui souligne en outre les difficultés qu’ils rencontrent pour recevoir les dons des lecteurs en raison des sanctions ainsi que celles liées à l’accès au site web sans VPN.

Désormais, c’est l’incertitude qui prime pour ces journalistes exilés. Si Sergey, correspondant pour la chaîne de télévision financée par le Congrès américain The Current Time, basée à Saint-Pétersbourg, n’était pas soumis à la censure dans la couverture de la guerre en Ukraine, le journaliste éprouvait cependant des difficultés à effectuer son travail avant de fuir à Istanbul. Devenue un refuge pour des milliers de Russes, la Turquie ne leur a pas fermé son espace aérien et ne leur demande pas de visa. « De nombreux officiels ne jugeaient pas nécessaire de répondre à nos demandes ou de nous accréditer à des événements », précise-t-il. Il ignore jusqu’à présent s’il est toujours correspondant pour The Current Times. « Les patrons n’ont toujours pas répondu à la question de savoir s’ils allaient continuer à travailler avec moi et sous quelle forme », confie-t-il. Pour le moment, le trentenaire a prévu de rester à Istanbul jusqu’à la mi-avril. Il étudiera ensuite ses options. « Mon travail à la télévision me convenait tout à fait, et maintenant, il semble que je doive soit tout recommencer, soit changer complètement de métier. Cela ne me fait pas peur, mais parfois, j’ai l’impression de ne plus en avoir la force… »

* Le prénom a été modifié

En l’espace de quelques jours, tout a basculé. Selon un protocole mis en place depuis le début de la pandémie de Covid-19, Alexei* se prépare à participer, en appel vidéo Zoom, à la conférence de rédaction quotidienne prévue aux alentours de midi, à l’instar d’une quinzaine d’autres journalistes de son équipe. Mais alors qu’il y a encore un mois, tous se connectaient depuis...

commentaires (3)

D,UN COTE ILS SE TAISENT ET FUIENT A COUPS DE POURSUITES... DE L,AUTRE COTE ILS EXCELLENT EN NEWS ET FAKE NEWS A COUPS DE DOLLARS.

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 16, le 28 mars 2022

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • D,UN COTE ILS SE TAISENT ET FUIENT A COUPS DE POURSUITES... DE L,AUTRE COTE ILS EXCELLENT EN NEWS ET FAKE NEWS A COUPS DE DOLLARS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 16, le 28 mars 2022

  • qu'ils ne pensent surtout pas fuir vers chez nous au Liban. car nous avons chez nous une horde de poutines pas qu'un seul

    Gaby SIOUFI

    10 h 45, le 28 mars 2022

  • Le courage de ces journalistes de terrain est impressionnant

    F. Oscar

    10 h 29, le 28 mars 2022

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