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ReportageAlternatives

Indépendantes et écologiques, ces femmes construisent leurs propres maisons

Nathalie, fondatrice de Tinyland, devant sa tiny house qu'elle a construite..

Les maisons mobiles fleurissent dans la Drôme grâce aux femmes. Dans un hangar près de Valence, elles construisent leur propre habitat sur roues, motivées par des envies d’indépendance et écologiques.

Valence (Drôme), reportage

Haut de un mètre, un poing levé en ferraille colorée est disposé devant un portail. Derrière ce symbole de la lutte et de l’engagement, l’inscription « tiny » sur une petite pancarte indique la direction d’un jardin fleuri. Le printemps pointe le bout de son nez. Nathalie aussi, souriante, sur la terrasse attenante à sa maison miniature et mobile. C’est ici, à quelques kilomètres de Valence, que la fondatrice et coprésidente de l’association Tinyland compte organiser prochainement des formations destinées à toutes celles et ceux qui voudraient se lancer dans l’autoconstruction de tiny house, ces maisons légères et sur roues qui ont le vent en poupe en France depuis quelques années. Et dans son association, sur les huit constructeurs actuellement aidés bénévolement, la moitié sont des femmes.

Dans le hangar de Tinyland, l’une scie, celle-là coupe du bois, d’autres amènent des planches. Toutes ont pour but de faire elles-mêmes leur propre maison mobile. Solène, 27 ans, débute à peine les travaux. « Même s’il y a la fin du pétrole, j’aurai un toit sur la tête, dit-elle entre deux séances de taille de bois. Je vis actuellement dans un logement peu confortable. Si je mettais de l’argent dans de la pierre, je mettrais plus de temps à avoir un lit douillet. Et je me dis que si je me sépare de mon copain, j’aurais toujours un logement. »

Solène (à d.) et Agathe échangent leurs savoirs-faire. Avant de se lancer, Solène a participé au chantier d’Agathe. Maintenant que la tiny house de cette dernière est finie, c’est à son tour d’aider son amie dans la conception de sa future maison sur roues. © Estelle Pereira / Reporterre

Si les métiers de la construction sont très largement masculins, le milieu de l’autoconstruction est une domaine plus ouvert aux femmes. Isolation, fenêtres, toitures, ergonomie... tout, absolument tout, est ici conçu de A à Z par ces non professionnelles, pour un prix moyen de la maison finie allant de 20 000 à 30 000 euros. « L’association se veut accessible à tous les gens à petit budget qui ont de l’optimisme, de la motivation, raconte Nathalie, la fondatrice du lieu. Grâce au partage de savoirs, à l’entraide, à l’intelligence collective, on leur dit : “Venez fabriquer votre tiny avec nous.” »

C’est après avoir quitté son CDI et avoir travaillé en bénévole en Arménie, lors d’un service volontaire européen, qu’elle a pris la décision de construire sa première tiny house, avec son compagnon de l’époque. Après leur séparation, elle s’est retrouvée sans logement. Hébergée à droite et à gauche par des amis, elle a alors organisé le chantier d’une deuxième tiny house, la sienne cette fois, dans un hangar prêté par un ami charpentier. Ce fut le premier chantier participatif d’une longue série : plus d’une vingtaine de ces habitations ont été autoconstruites depuis.

Nathalie, fondatrice et coprésidente de Tinyland, devant sa tiny house autoconstruite. Elle est aujourd’hui formatrice pour Solution ERA dans la construction de mini maisons. Depuis six ans, elle mène un véritable travail de lobbying afin de démonter les clichés autour de l’habitat léger auprès des mairies. © Estelle Pereira / Reporterre

« Si je peux faire ça, je peux entreprendre tout ce que je veux ! »

L’autoconstruction, une façon pour les femmes de reprendre la maîtrise de leur vie ? Si la méthode ne règle pas le problème de fond sur l’inégalité dans l’accès à la propriété, elle permet, selon Bérangère, l’une des constructrices, de lever bien des barrières psychologiques. Elle en prend pour preuve ce qu’elle a vécu.

Au départ, elle ne se sentait pas capable de construire en autonomie sa maison. Passer par un chantier participatif était rassurant. Huit femmes ont répondu à l’appel lancé via la plateforme d’entraide Twiza. Avec la rémunération de deux conseillers techniques pour la conception, le projet devait être plié en quatre mois. Au bout de huit jours, le premier confinement a contrecarré ses plans. « J’ai dû terminer la maison pratiquement toute seule, conclut-elle. Même si j’ai eu des coups de main, je restais la cheffe de mon chantier. Ça a été une leçon de vie pendant treize mois. Quand j’ai fini la tiny house, je me suis dit : “Si je peux faire ça, je peux entreprendre tout ce que je veux !” »

Bérangère a construit seule sa maison. Selon elle, la construction permet aux femmes de se rendre compte que réaliser un projet n’a pas de genre. © Estelle Pereira / Reporterre

En réalisant à quel point l’expérience avait pu être émancipatrice pour les huit bénévoles, elle a réfléchi à l’organisation de chantiers participatifs entièrement féminins qui auraient une vocation thérapeutique.

« Elles se sont rendu compte, tout comme moi, que si on leur explique comment fonctionnent les machines, elles sont aussi capables que les hommes. À trois ou quatre, on peut lever ensemble le mur d’une maison. C’est pour cela que j’ai envie de faire des chantiers participatifs pour les femmes. Pas tellement pour qu’elles construisent leur maison ensuite, mais parce que si tu parviens à péter ce mur-là, celui où tu te dis que le chantier ce n’est pas fait pour toi, alors tu peux te lancer dans n’importe quel projet dans ta vie. »

Bérangère, dans sa tiny house construite seule. © Estelle Pereira / Reporterre

Un logement à soi, accessible rapidement

En cette période d’incertitude liée à la crise sanitaire et à la guerre contre l’Ukraine, la nécessité de diminuer sa consommation est partagée par l’ensemble des personnes passées par le hangar. Avec, en moyenne, moins de 100 euros de charges par mois, autoconstruire son habitat sobre et peu énergivore est un moyen de gagner en autonomie et en liberté. D’autant que le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du logement en France est catégorique sur l’augmentation des prix des logements dits « classiques » : +154 % en vingt ans. De quoi accroître les inégalités entre celles et ceux qui héritent d’un logement, ou qui ont les moyens d’emprunter, et les autres.

Solène (à d.) et Agathe échangent leur savoir-faire pour construire la maison de Solène. © Estelle Pereira / Reporterre

« Tu ne vis pas de la même façon quand tu as le confort de ta lignée et que tu sais que tu auras un logement quoi qu’il arrive. Du coup, tu te retrousses les manches pour être indépendante », commente Nathalie, qui n’attend aucun héritage.

Et quand bien même elle en aurait eu un, les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac ont prouvé, après plus de quinze ans d’études sur la cellule familiale, que les femmes étaient les plus souvent lésées sur les questions d’héritage. Beaucoup moins questionnée et médiatisée que la hausse des inégalités de patrimoine entre ménages, la croissance de l’écart de richesse entre les hommes et les femmes est pourtant régulière. Il est passé de 9 % en 1998, à 16 % en 2015, selon les deux autrices.

Louison construit sa tiny house avec son compagnon « pour mettre en cohérence son mode de vie avec ses convictions écologiques ». © Estelle Pereira / Reporterre

Vivre dans une maison légère, dont l’installation est tout de même suspendue à l’ouverture d’esprit des mairies, est « une liberté », selon Nathalie. C’est une maison à elles, qui ne les réduit pas à leur genre de femme, comme peuvent le faire une maison ou un appartement classiques. « Je peux me consacrer à des activités artistiques ou culturelles qui ont un sens pour moi », répond immédiatement Nathalie. Quant à Agathe, 25 ans, qui vient de finir son chantier, elle estime qu’elle peut désormais prendre plus de risques en travaillant à son compte, mais aussi « avoir plus de temps pour avoir un enfant, parce que mon compagnon et moi-même aurons moins besoin de travailler. Vivre en tiny nous offre ce bien-être ».

Moins de biens, plus de liens

Autre volonté partagée par ces femmes : mettre en adéquation leurs valeurs écologiques avec leur mode de vie. Avant de fabriquer sur mesure leur future maison, les autoconstructeurs sont obligés de passer en revue leurs besoins réels. Autrement dit, un gros tri s’impose. « Vivre en tiny, ça te pousse à te restreindre et ce n’est pas une mauvaise chose. La remorque est là pour te dire que si tu as un trop gros logement, tu vas trop consommer, tu vas être très énergivore », raconte Agathe. C’est l’objectif premier, ne pas dépasser le poids réglementaire, soit 3,5 tonnes pour pouvoir la bouger à l’envi.

Chez Tinyland, l’entraide entre les constructeurs fait partie prenante de la philosophie de l’association, dont l’objectif premier est de fédérer et de favoriser le partage des savoirs autour la construction d’habitats écologiques. © Estelle Pereira / Reporterre

Diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, Agathe est une vraie passionnée de la construction miniature. Elle a voulu montrer dans son mémoire de fin d’études que les habitats légers avaient une architecture qui pouvait répondre, dans certaines conditions, aux défis de la transition écologique. Plus philosophiquement, elle a fait ressortir que posséder moins pouvait aussi être source de bonheur pour les habitants.

« Des professeurs avaient du mal à comprendre la qualité de vie dans ces maisons, pour eux le confort se résume à l’espace dont on dispose. Pour certains, c’était une précarité du logement. Mais tout le monde n’a pas envie d’habiter dans une maison pavillonnaire de style américain. Le rêve américain n’est pas celui de tout le monde », précise-t-elle.

Dans le hangar de l’association, Agathe construit sa tiny house. © Estelle Pereira / Reporterre

Construire une maison écologique, c’est aussi se rendre compte de l’impact de celle-ci sur l’environnement. « La tiny house est reliée à la nature. Elle suppose de réfléchir à tous nos rejets. J’ai par exemple arrêté la contraception hormonale, car je sais que les hormones ont des effets sur l’eau et les poissons », raconte Nathalie. Les toilettes sèches sont la norme chez les « tinyistes ». Les déjections humaines, comme celles des animaux, reviennent à la terre via le compost ou la phytoépuration, l’épuration par les plantes.

Dans l’entrepôt où fourmille la créativité, où chaque maison est unique, l’écologie n’est pas discutée, c’est même une base idéologique partagée. Ce qui l’est plus, insiste Solène, « c’est comment se joue la mixité, comment se répartissent les tâches dans un couple, comment on prend des décisions, etc. » La bienveillance et l’entraide sont fondamentales pour ces défenseuses de l’habitat alternatif. C’est ce qui a permis à Nathalie de « se reconstruire » en même temps qu’elle a façonné sa maison. À Agathe de retrouver « la cabane de son enfance » et de choisir son métier : conceptrice et constructrice de tiny houses. À Bérangère, animatrice en communication non violente, d’animer des groupes de parole pour femmes dans sa tiny.


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