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Airbus fait voler un A380 grâce à de l'huile de cuisson usagée

L'avionneur européen est convaincu que l'utilisation massive des SAF (carburant d'aviation durable) permettra au secteur d'accélérer sa transition énergétique en attendant l'avion à hydrogène.

Atteindre la neutralité carbone pour l'aviation n'est pas une mince affaire. Il y a évidemment l'avion propre, propulsé à l'hydrogène, mais son développement prendra du temps et il faut compter au moins une décennie avant de le voir voler dans le ciel.

Airbus, qui débute à peine de premiers tests d'avion à hydrogène, est néanmoins convaincu qu'on peut aller bien plus vite dans cette transition énergétique si le secteur mise sur l'existant: les carburants durables, bio-carburants ou agro-carburants ou SAF (Sustainable Aviation Fuel).

Composé aussi bien de végétaux que de déchets biologiques, le SAF permet de réduire les émissions de CO2 jusqu’à 80% par rapport aux carburants aéronautiques conventionnels.

Les SAF, c'est "aujourd'hui"

"Les avions à bio-carburants, c'est déjà aujourd'hui", insistait en septembre dernier Guillaume Faury, patron d'Airbus sur BFM Business. "D'ailleurs, chez Airbus, on a un peu de frustration car tous les avions qu'on livre sont capables (d'embarquer) 50% de bio-carburant dans les réservoirs. Et c'est pas utilisé. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'il y a un potentiel à très court terme d'aller très vite sur les bio-carburants pour autant que cette filière se développe, c'est-à-dire que les compagnies aériennes soient prêtes à accepter d'acheter des carburants un peu plus chers", expliquait-t-il.

La preuve, Airbus a fait voler le 25 mars dernier depuis Toulouse un A380 dont les réservoirs étaient remplis à 100% de carburant durable. Le vol a duré 3 heures.

L'A380 d'Airbus propulsé à 100% en SAF
L'A380 d'Airbus propulsé à 100% en SAF © Airbus

"27 tonnes de SAF non mélangé ont été fournies par Total Energies pour ce vol. Le SAF produit en Normandie, près du Havre, en France, était fabriqué à partir d'esters et d'acides gras hydrotraités (HEFA), exempts d'aromatiques et de soufre, et principalement constitués d'huile de cuisson usagée, ainsi que d'autres déchets gras. Un deuxième vol, avec le même appareil, doit avoir lieu de Toulouse à l'aéroport de Nice, ce mardi 29 mars pour tester l'utilisation du SAF au décollage et à l'atterrissage" détaille l'avionneur.

Airbus multiplie en fait les tests puisqu'il s'agit du troisième type d'avion à voler à 100% SAF en 12 mois ; le premier était un Airbus A350 en mars 2021 suivi d'un monocouloir A319neo en octobre 2021.

Prix trop élevés

Le groupe précise que tous ses aéronefs sont actuellement certifiés pour voler avec jusqu'à 50% de SAF mélangé à du kérosène. L'objectif est d'atteindre la certification 100% SAF d'ici la fin de cette décennie.

Reste que dans les faits, l'utilisation du SAF reste marginale dans l'industrie. "L'usage n'est pas limité par des raisons technologiques, mais bien par des facteurs de marché: l'offre insuffisante et les prix encore trop élevés", constatent dans un rapport les députés français Bernard Deflesselles et Nicole Le Peih à l'issue d'une mission d'information sur l'avenir du secteur aéronautique.

Résultat, ils ne représentaient en 2019 que moins de 0,1% de la consommation mondiale de carburant d'aviation.

La Commission européenne prévoit des obligations graduelles d'incorporation de SAF dans le kérosène d'aviation, allant de 2% en 2025 à 5% en 2030 pour bondir ensuite à 20% cinq ans plus tard et à 32% en 2040 puis 63% en 2050.

Une perspective trop lointaine pour les parlementaires qui proposent une obligation d'incorporation à 10% en 2030 et 35% dix ans plus tard "pour envoyer au secteur un signal clair" sur la disponibilité de ces biocarburants et donc la baisse de leur prix.

Accord entre TotalEnergies et Safran

"Sans impulsion publique, le développement des carburants durables est presque impossible", préviennent les deux députés de la commission des Affaires européennes.

Mais les choses bougent. Compagnies aériennes et avionneurs se mettent en ordre de bataille. Ryanair qui estime que 34% de sa décarbonation viendra de l’utilisation accrue de ces carburants, dit travailler avec l’UE et les fournisseurs pour accélérer l’approvisionnement en SAF. Elle a également créé le Centre de recherche sur l’aviation durable en partenariat avec le Trinity College de Dublin afin d'accélérer la R&D autour de ces carburants.

La massification de la production doit permettre de faire baisser les prix. D'où la multiplication des accords entre industriels, producteurs d'énergie et compagnies aériennes.

En France, TotalEnergies et Safran (qui fabrique notamment des moteurs d'avions) ont annoncé en octobre dernier nouer un partenariat stratégique. Objectif "à court terme, obtenir une compatibilité des moteurs actuels avec un taux d’incorporation allant jusque 100% de SAF et à plus long terme, optimiser l’efficacité énergétique et environnementale des couples moteurs/carburants".

La mobilisation de la filière et l'appétence des compagnies permettent de tabler sur la mise sur le marché d'avions motorisés à 100% par du SAF à court terme. "L'équation économique est en train de changer", ajoute Guillaume Faury d'Airbus qui estime qu'un avion dont les réservoirs ne seraient remplis que d'agro-carburant est envisageable en 2035 "grâce au travail en commun, à la collaboration pour trouver les bonnes solutions".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business