C’est un projet qui tient vraiment à cœur à Éric Dupond-Moretti. « Je suis pour que la justice soit désormais totalement filmée et diffusée. La justice doit se montrer aux Français. La publicité des débats est une garantie démocratique », expliquait l’ancien avocat dans Le Parisien en septembre 2020, tout juste deux mois après son arrivée au ministère de la justice. Reste à savoir si, une fois passée la présidentielle, Éric Dupond-Moretti sera encore garde des sceaux quand les premiers procès filmés seront diffusés, en principe à la rentrée prochaine sur France Télévisions. « Les premiers tournages devraient démarrer au printemps dans le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence », précise-t-on à la chancellerie.

« Faire entrer la justice dans le salon des Français »

C’est très prochainement que devrait être publié le décret d’application visant à préciser les modalités de l’enregistrement et la diffusion de ces images tournées dans des enceintes judiciaires. Cette possibilité de filmer les procès a été instaurée dans le projet de loi pour la confiance dans la justice, définitivement adopté en novembre dernier par le Parlement. « Notre volonté est de faire entrer la justice dans le salon des Français pour leur montrer comment elle fonctionne au quotidien dans le domaine pénal et civil, indique une conseillère du garde des sceaux. On veut montrer aussi bien des procès d’assises que des audiences de surendettement, d’expulsion, de prud’hommes ou des affaires examinées par un juge aux affaires familiales ou un juge des enfants. »

Saisi en décembre 2019 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel avait refusé d’abroger l’article de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui s’oppose à l’entrée des micros et des caméras dans les prétoires. Les sages avaient alors estimé qu’avec cette opposition, instaurée dans la loi en 1954, le législateur avait souhaité prévenir « les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d’innocence de la personne poursuivie ».

→ DÉBAT. Faut-il filmer et diffuser les procès ?

Message reçu cinq sur cinq par la chancellerie, qui insiste sur l’encadrement du dispositif. En amont, toute demande de tournage devra être adressée au ministère de la justice qui donnera un avis. Ensuite, le dossier sera transmis au premier président de la cour d’appel concerné, qui devra accepter ou refuser le projet. S’il donne son feu vert, deux cas de figure se présenteront. Pour une audience ouverte au public (assises ou tribunal correctionnel), il sera possible de filmer sans demander l’accord des différents participants au procès. Pour une audience fermée au public, par exemple devant un juge aux affaires familiales, le tournage ne pourra avoir lieu qu’avec l’accord des participants.

Un accord demandé avant la diffusion

Ensuite, dans tous les cas, les personnes filmées lors de l’audience se verront demander leur accord avant la diffusion d’éléments permettant leur identification. « Si une personne s’oppose à ce qu’on puisse l’identifier, sa silhouette et son visage seront floutés et sa voix déformée. Par ailleurs seront occultés systématiquement tous les éléments permettant d’identifier un mineur, un majeur protégé ou un membre des forces de l’ordre », assure-t-on au ministère de la justice.

→ INFOGRAPHIE. Huit procès filmés depuis la loi Badinter

La chancellerie doit signer une convention avec France Télévisions pour la diffusion d’une émission, sans doute sur France 3, visant à montrer le fonctionnement quotidien de la justice. Mais d’autres chaînes de télévision pourront ponctuellement demander l’autorisation de filmer tel ou tel procès. Pour être accepté, le projet devra présenter un « intérêt public », ce qui peut laisser place à diverses interprétations. « Le risque est qu’au bout d’un moment, les chaînes se lassent des procès anonymes et, pour faire de l’audience, veuillent diffuser des procès sur des faits divers très médiatiques. Et que dira le ministre si une chaîne demande à diffuser le procès d’un ancien président qui passe en correctionnelle ? », s’interroge Ludovic Friat, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats (USM).

Au ministère, on affirme que la volonté n’est pas de filmer « des procès très médiatiques », ni de « verser dans la justice spectacle ». Tout en précisant : la diffusion n’interviendra qu’une fois l’affaire définitivement jugée.