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Victime d'homophobie, un enseignant de Perpignan dénonce l'inaction de sa hiérarchie

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Depuis 2014, un enseignant de Perpignan est victime de harcèlement au lycée Jean-Lurçat, en raison de son orientation sexuelle. Malgré deux décisions de justice en sa faveur et un rapport accablant du Défenseur des Droits, la victime estime être abandonnée par sa hiérarchie.

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Photo d'illustration © Maxppp - Jérémie FULLERINGER

"On m'a volé huit années de mon bien-être au travail". Depuis que son homosexualité a été rendue publique de façon malveillante par une collègue, Pierre (prénom d'emprunt) vit un calvaire au sein du lycée Jean-Lurçat de Perpignan, où il exerce en tant que professeur. Victime de commérages incessants et de propos insultants, il a découvert des lettres anonymes dans son casier, et sa voiture a été vandalisée à plusieurs reprises. 

"La situation dure depuis huit ans, et je me sens abandonné par ma hiérarchie", confie l'enseignant qui a décidé d'attaquer l'État devant le tribunal administratif de Montpellier. Pour son avocate, Me Camille Manya, "l_'Éducation Nationale est parfaitement au courant des faits depuis le début, et n'a strictement rien fait. Un tel comportement est inacceptable_".

La collègue condamnée par la justice

Le cauchemar débute en 2014. Alors que Pierre s'est toujours montré très discret sur sa vie privée, y compris sur les réseaux sociaux, l'une de ses collègues (professeur d'espagnol) décide de divulguer son orientation sexuelle à ses élèves. À de multiples reprises, elle se permet d'aborder le sujet pendant ses cours, avec des propos homophobes et injurieux.  Dans des attestations sur l'honneur transmises à la justice, plusieurs anciens élèves affirment qu'elle utilisait le terme de "PD" et désignait sa classe comme étant "la salle du PD". 

Ce comportement vaut à l'intéressée d'être condamnée au civil, le 5 février 2019, par le tribunal de Perpignan. La professeure d'espagnol écope de 4.000 euros de dommages et intérêt, "en réparation du préjudice moral". Dans ses motivations, le juge retient une "volonté de nuire" et un comportement "en contradiction de ce qui est attendu de la part d'un éducateur". L'année suivante, ce premier jugement est confirmé par la cour d'appel de Montpellier

Une longue descente aux enfers

La justice est passée, mais le mal est fait. Depuis la divulgation de son homosexualité, Pierre vit dans l'angoisse quotidienne sur son lieu de travail où il est régulièrement visé par des actes homophobes et des intimidations. À deux reprises, en 2016 et 2017, il raconte avoir découvert des tags insultants sur la portière de sa voiture, stationnée sur le parking du lycée. 

Le 31 mai 2017, "une lettre anonyme homophobe est déposée dans mon casier". Trois mois plus tard, il signale un deuxième courrier, glissé dans la boîte aux lettres de son domicile, pendant les vacances d'été : "Assume d'être PD !" Sans parler des commérages sur les réseaux sociaux... 

Face à cet acharnement, Pierre dépose également une plainte contre X pour "harcèlement moral et provocation à la discrimination" en juillet 2017 auprès du procureur de la République de Perpignan. L'enquête est toujours en cours.

"Mois après mois, les faits de harcèlement sont montés en puissance. Et j'ai commencé à m'isoler", se souvient Pierre qui fréquente de moins en moins la salle des professeurs. "J'entendais dans mon dos des propos insultants. Certains m'appelaient Madame..." 

"Après un rendez-vous de carrière, un inspecteur s'est même permis de féminiser ma fonction dans son rapport : j'étais présenté comme une professeure", confie l'enseignant dont l'état de santé s'est lourdement détérioré. À plusieurs reprisses, il a dû être placé par son médecin en arrêt de travail pour maladie, puis en congé longue maladie.  

Un rapport accable la hiérarchie

À ce jour, l'Éducation Nationale n'a pris aucune sanction à l'égard de la professeure d'espagnole, malgré sa condamnation en justice. Huit ans après les faits, l'intéressée n'a reçu qu'une simple lettre de recadrage pour lui demander "d'adopter à l'avenir un positionnement conforme à [ses] obligations de professeure".

Pourtant, une enquête administrative interne rendue en janvier 2017 concluait "qu’il serait souhaitable dans l’intérêt du service de déplacer l’enseignante afin de rétablir un climat serein pour les enseignants et les élèves". 

Face au manque de réaction de sa hiérarchie, Pierre décide de saisir le Défenseur des Droits. Après une instruction d'un an, cette autorité indépendante, chargée de défendre les droits et libertés, rend en juillet 2021 un rapport accablant pour l'administration, dont la réaction est jugée "insuffisante".  

Pour le Défenseur des droits, "l'administration aurait dû, dès qu'elle a eu connaissance des faits litigieux, au moins depuis 2016, entamer une procédure disciplinaire à son encontre, ce qui aurait évité de donner l'impression de banaliser les faits ainsi dénoncés". 

Demande de réparation

"Devant l'inaction de ma hiérarchie, j'ai dû mener moi-même le combat devant la justice. Et aujourd'hui, cette situation se retourne contre moi, se désole Pierre. Un inspecteur m'a accusé, lors d'une réunion en présence de trois membres de l’équipe de direction de mon lycée, de terroriser mes collègues à force de judiciariser mes relations. Alors que je suis victime, certains m'accusent d'être le bourreau.

Pour SOS-Homophobie, qui soutient l'enseignant depuis plusieurs années, l'absence de réaction de l'Éducation Nationale a eu un "effet désastreux". "On ne peut pas laisser trainer les choses aussi longtemps, de cette façon, se révolte David Malazoué, le vice-président de l'association. À partir du moment où il n'y a pas de sanction, un sentiment d'impunité s'installe. Et les comportements homophobes se répètent et se pérennisent. Faut-il attendre un drame pour réagir ?"

Huit ans après les faits, Pierre espère que son combat puisse servir d'exemple à d'autres salariés victimes de faits similaires. S'il espère toujours voir ses "agresseurs" sanctionnés, il aspire aussi à tourner la page : "Mon désir le plus cher est de pouvoir travailler de nouveau dans un climat serein, protégé de toute éventuelle agression. Et d'être réhabilité dans mes fonctions et dans mon honneur". Après plusieurs mois d'arrêt, Pierre a repris son poste au sein du lycée Jean-Lurçat de Perpignan.

La réponse du rectorat

Sollicité par nos soins, le rectorat de Montpellier assure que "la situation évoquée est suivie avec grande attention par le service des ressources humaines de l'académie qui accompagne l'enseignant dans la prise en compte de la situation de harcèlement qu'il a dénoncée en 2014 [...]. Dans le respect de son souhait de poursuivre son activité au sein de cet établissement et compte tenu de ses compétences, cet enseignant a été affecté en section de technicien supérieur du lycée. Cette décision représente une mesure favorable à sa carrière d'enseignant, l'opportunité de rester dans cet établissement (dans le respect de son souhait) et en travaillant au sein d'une nouvelle équipe pédagogique. Des mesures d’accompagnement complémentaires ont été proposées à cet enseignant afin qu'il puisse évoluer dans le cadre de son parcours professionnel."
 

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