"Rarissime" : un tableau de Van Gogh mis en vente après avoir passé 100 ans dans la même famille française

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"Rarissime" : un tableau de Van Gogh mis en vente après avoir passé 100 ans dans la même famille française

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Le grand public a pu découvrir la toile à Drouot, à Paris, avant Sotheby's et la vente de ce jeudi, en association avec la maison Mirabaud Mercier. Une vente réalisée en France, selon la volonté de la famille propriétaire.
Le grand public a pu découvrir la toile à Drouot, à Paris, avant Sotheby's et la vente de ce jeudi, en association avec la maison Mirabaud Mercier. Une vente réalisée en France, selon la volonté de la famille propriétaire.
© Radio France - Lisa Guyenne

Entretien. Un tableau inédit de Vincent Van Gogh est mis aux enchères ce jeudi 25 mars chez Sotheby's à Paris. Cette "Scène de rue à Montmartre" de 1887 est estimée entre cinq et huit millions d'euros. Le commissaire-priseur Fabien Mirabaud revient sur son histoire et sa valeur.

"Scène de rue à Montmartre (impasse des Deux Frères et le Moulin à Poivre)", 1887. Ce tableau de moyenne dimension de Vincent Van Gogh, de 46 cm sur 61 cm, a vécu caché des regards, propriété de la même famille parisienne pendant un siècle avant que ses membres ne se décident à le mettre en vente. L'œuvre, estimée entre cinq et huit millions d'euros, est mise aux enchères ce jeudi 25 mars 2021 chez Sotheby's, à Paris. La semaine passée, elle était exposée pendant quelques jours à l'hôtel Drouot. Nous y avons rencontré Fabien Mirabaud, commissaire-priseur de la maison Mirabaud-Mercier.

Il était une fois cette "Scène de rue à Montmartre". Reportage de Lisa Guyenne à Drouot lors de la présentation de la toile au public

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Comment analyser "Scène de rue à Montmartre" ?

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Ce tableau est pour nous un manifeste de Vincent Van Gogh. Il y figure le moulin au poivre de Montmartre, que Vincent ne peint pas par hasard, mais parce qu'il connaît cette image. C'est un hommage à sa Hollande natale. Ensuite, il est installé impasse des Deux-Frères. Ce n'est pas pour rien. Vincent et Théo sont deux frères très liés. Vincent doit beaucoup à Théo dans l'aboutissement de son art, c'est Théo qui le fait venir à Paris en 1886. Ceci est pour nous une évidence claire, un manifeste évident de cet amour fraternel. 

On y découvre également le Montmartre d'avant, très rural, un Montmartre qui n'existe plus. Aujourd'hui, cette impasse des Deux-Frères existe encore, mais elle se situe dans l'enclos du Moulin de la Galette, une copropriété privée. Il reste toutefois un petit charme pittoresque dans ce Montmartre protégé.

Les détails de "Scène de rue à Montmartre".
Les détails de "Scène de rue à Montmartre".
© Radio France - Lisa Guyenne

Que sait-on du passé de ce tableau et de son origine ?

Il provient d'une collection privée et était dans le même appartement depuis un siècle. Nous n'avons pas de traces de son acquisition. Nous pensons qu'il a probablement été acheté chez Bernheim, le premier marchand à exposer et vendre des toiles de Van Gogh, à partir de 1901. Mais il n'existe pas de preuve dans les archives, ce sont des supputations. C'est également ce que dit la tradition familiale des propriétaires. 

Pour autant, il est attesté que ce tableau existait en 1920 : il était connu par une petite photographie, une reproduction en noir et blanc dans le catalogue raisonné de l'œuvre de Vincent Van Gogh réalisé au début du XXe siècle. La confrontation de l'œuvre avec la photographie a été rapide, et les experts du musée Van Gogh d'Amsterdam ont tout de suite déterminé qu'il s'agissait du tableau authentique. Le fait, pour nous, de redécouvrir cette image et de la confronter à la photographie en noir et blanc a été un choc émotionnel énorme. 

Il existe aussi une autre version de "Scène de rue à Montmartre" au musée Van Gogh d'Amsterdam. 

C'est une version assez similaire. Mais ce tableau que nous avons sous les yeux est le dernier tableau connu, en mains privées, de cette qualité-là, d'une peinture montmartroise très importante dans la vie de Van Gogh. Elle fait transition entre son passé et son avenir. On y découvre une touche plus libre. 

"Impasse des Deux Frères", tableau de 1887 montrant la même scène que "Scène de rue à Montmartre". Il est exposé au musée Van Gogh d'Amsterdam
"Impasse des Deux Frères", tableau de 1887 montrant la même scène que "Scène de rue à Montmartre". Il est exposé au musée Van Gogh d'Amsterdam
© Radio France - Musée Van Gogh, Amsterdam (Fondation Vincent van Gogh)

Cette lumière qui s'impose à Vincent n'est pas la peinture très empâtée d'Amsterdam. Ici, la peinture est très légère, la touche s'allonge. On constate aussi l'influence de Degas, avec ce cadrage très photographique. Nous connaissons les Ballerines de Degas, toujours peintes dans l'entrebâillement d'une porte. Or, nous voyons ici clairement l'influence de la photo, avec ce couple qui sort de la guinguette, la robe légèrement floue du personnage féminin et ses enfants pris sur le vif, avec ce cadrage un peu en retrait qui témoigne évidemment de l'influence de la photo et de Degas. Il y a aussi l'influence de Toulouse-Lautrec et de Steineim, deux grands amis de Vincent, avant qu'il ne parte vers la période arlésienne et Auvers-sur-Oise. C'est un tableau charnière, un tableau de transition, un tableau qui explique l'œuvre de Van Gogh, qui nous permet de comprendre d'où il vient et où il va.

Fabien Mirabaud, commissaire-priseur de la maison Mirabaud-Mercier.
Fabien Mirabaud, commissaire-priseur de la maison Mirabaud-Mercier.
© Radio France - Lisa Guyenne

Ce tableau date de 1887, trois ans avant son décès à Auvers-sur-Oise. Dans quel état d'esprit Van Gogh est-il à cette époque ?

C'est un Vincent heureux, qui vit avec son frère. Cela fait un an qu'ils sont à Paris. Il est très serein. Ce n'est pas le même Vincent que l'on retrouvera à Arles et à Auvers-sur-Oise. On peut imaginer sa joie de s'entourer ici de son frère, et de découvrir cette lumière parisienne. Nous voyons cette sérénité dans ce tableau et dans le choix de ce sujet. 

Il faut comprendre qu'à l'époque ce type de sujet est un non-sujet. Les artistes d'alors - Cabanel, Cormon - peignent des sujets académiques, des commandes. Ici, nous avons des personnages qui ne sont pas des héros. Mais c'est un sujet personnel, celui de Vincent Van Gogh, qui n'a vendu de toute sa vie qu'un seul tableau. C'est donc un véritable œil de l'artiste que nous avons ici, et c'est assez émouvant. Il faut noter aussi qu'à cette période montmartroise, bien qu'assez serein et apaisé, il peint malgré tout près de 200 tableaux et a déjà en lui cette frénésie créative. 

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Si l'on considère l'ensemble des œuvres de Vincent Van Gogh, combien se trouvent encore dans le privé de nos jours ?

Il existe très peu de tableaux encore en mains privées aujourd'hui, du moins de cette qualité-là. La majeure partie de ses tableaux sont dans les collections publiques, pour beaucoup à Amsterdam et pour certaines au musée d'Orsay. Dans le privé, nous n'avons pas de véritable cartographie de la détention des œuvres de Vincent Van Gogh. Il existe néanmoins un intérêt de plus en plus prégnant sur le marché asiatique. Van Gogh est considéré comme l'un des plus grands artistes sur le marché international, au même titre que Picasso, Rembrandt et Léonard de Vinci. Les Américains ont également toujours été intéressés par Vincent, mais de nombreuses œuvres sont détenues dans des collections européennes. 

Une visiteuse photographie "Scène de rue à Montmartre" à l'hôtel Drouot.
Une visiteuse photographie "Scène de rue à Montmartre" à l'hôtel Drouot.
© Radio France - Lisa Guyenne

La vente de "Scène de rue à Montmartre" s'annonce comme une vente majeure sur le marché de l'art en 2021 ?

C'est en effet l'une des œuvres montmartroises les plus importantes de Van Gogh à ne pas se trouver dans un musée. C'est rarissime, d'autant plus qu'elle est vendue sur le marché parisien. Cela n'avait pas eu lieu depuis plus de cinquante ans. Le marché parisien n'avait pas vu des œuvres de cette qualité-là depuis très longtemps. 

C'est probablement le tableau le plus important à être vendu cette année en France. Traditionnellement, les œuvres sont exportées pour être vendues à New York. Or, la famille, française a fait le choix de vendre ce tableau en France, lui qui a été peint à quelques centaines de mètres de l'hôtel Drouot. C'était un véritable choix et une aubaine pour le marché parisien, qui se montre capable de rivaliser avec le marché américain ou anglais. 

En outre, c'est un événement culturel, en cette période de disette et de fermeture des musées. A Drouot, des visiteurs sont venus faire la queue sur plusieurs centaines de mètres pour observer le tableau.

À quel résultat peut aboutir cette vente aux enchères ? 

Le tableau est estimé entre cinq et huit millions d'euros. C'est une estimation très prudente, mais attractive. C'est un signe que veut donner la famille. La dernière œuvre vendue de Van Gogh était une petite sanguine, un petit dessin qui s'est vendu huit millions d'euros à New York. Nous avons de forts espoirs pour "Scène de rue à Montmartre". 

Est-il possible qu'un musée rachète le tableau ?

C'est possible, évidemment, qu'il s'agisse d'un musée français ou étranger. L'État français dispose d'un mécanisme d'acquisition, la préemption, lui permettant de se substituer aux derniers enchérisseurs. C'est également une question de budget : les musées étrangers ont des moyens, des mécènes peuvent venir aider des musées à acquérir cette œuvre… Nous souhaitons obtenir le juste prix. Nous serions très contents qu'un musée soit le dépositaire, mais c'est la rencontre de l'offre et de la demande qui décidera.