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Climat

Cette année, « la sécheresse pourrait être historique »

Alpes-Maritimes, Var, Pyrénées-Orientales... En avril, plusieurs départements français pourraient être placés en alerte sécheresse. Les spécialistes appellent à la vigilance quant aux niveaux d’eau dans les nappes phréatiques, déjà déficitaires.

L’été n’a plus le monopole de la sécheresse, ni de l’anxiété qui l’accompagne. Dans la continuité des mois de janvier et février, les nuages en mars n’ont laissé tomber que de très rares gouttelettes de pluie sur le pourtour méditerranéen. Des Pyrénées-Orientales au sud du Gard, le déficit pluviométrique a dépassé 75 %... s’envolant même parfois à plus de 90 % sur le littoral. Plus à l’est, et alors que le printemps pointe tout juste le bout de son nez, les départements des Alpes-Maritimes et du Var pourraient être placés en alerte « sécheresse ».

Dans cette région, en l’espace de sept mois, le lac du Broc, aux notes turquoise, a perdu pas moins de 7 mètres de hauteur. Et déjà une centaine d’hectares de forêt est partie en fumée.

Dans certaines communes, les restrictions commencent à tomber. Le 11 mars, les 800 habitants du village de Touët-sur-Var, dans les Alpes-Maritimes, ont découvert sur le tableau d’affichage de leur mairie un arrêté préfectoral à l’air estival. Celui-ci précise que les vidanges, remplissages des piscines, arrosages des jardins, lavages des véhicules et arrosages agricoles sont désormais proscrits, et ce, au moins jusqu’en mai. « J’en ai connu des périodes de sécheresse, mais si tôt dans l’année, c’est exceptionnel, dit à Reporterre Roger Ciais, édile depuis trente-sept ans. Pour alimenter le village, nous sommes obligés de pomper l’eau sous le lit du Var grâce à nos forages. » Pour attirer l’attention des citoyens, la municipalité a enfin décidé de fermer le robinet de la fontaine du village.

La dangerosité d’une telle absence de précipitations est pourtant difficilement palpable. Partout éclosent les tulipes et fleurissent les cerisiers, aux milliers de pétales blancs. En réalité, c’est sous nos pieds que se déroule la bataille : « L’hiver est la saison où les nappes souterraines se rechargent, explique à Reporterre l’hydrologue Emma Haziza. Avec le retour du printemps, toutes les pluies à venir vont désormais être réutilisées par la végétation, avant même d’avoir le temps de s’infiltrer en profondeur. Résultat : la végétation sera verte et luxuriante, mais dessous la terre et les nappes phréatiques seront asséchées. »

« Il va falloir être extrêmement vigilants »

À l’heure où les paysans ont les yeux rivés vers le ciel, les prévisions météorologiques semblent apporter un répit provisoire : « On entre dans une période de véritable rafraîchissement des températures et des précipitations sont attendues, indique à Reporterre Jocelyn Defawe, de Météo-France. La période de recharge des nappes phréatiques touche à sa fin, mais n’est pas tout à fait terminée. S’il pleut en quantité ces trois prochaines semaines, cela pourrait améliorer partiellement la situation. »

En revanche, les tendances climatiques pour les trois prochains mois indiquent, avec une probabilité de 70 %, que le printemps sera plus sec et plus chaud que la normale. « La conjonction de ces prévisions avec la situation actuelle déjà critique ne présage rien de bon », tempère-t-il.

Avec un cinquième des cours d’eau au débit déficitaire à 40 %, des nappes phréatiques qui ne parviendront pas à se remplir à temps et la raréfaction des précipitations, la saison estivale s’annonce difficile : « Nos masses d’eau censées tenir jusqu’à l’été sont déjà mises à mal. Il va falloir être extrêmement vigilants, prévient Emma Haziza. La sécheresse pourrait une fois encore être historique. »

Sur la côte méditerranéenne, en Nouvelle-Aquitaine, de la Manche au Cotentin, mais également en Alsace et en Lorraine, le risque d’un « arrêté d’alerte renforcé » ou d’un « arrêté de crise » au cœur de l’été n’est pas écarté. Si le premier signifierait une réduction des prélèvements à des fins agricoles supérieures à 50 %, le second autoriserait uniquement les prélèvements à usage prioritaire, tels que la santé, la sécurité civile, l’eau potable et la salubrité.

Pour l’hydrologue Emma Haziza, une certitude, ces phénomènes sont provoqués par le réchauffement climatique : « J’invite tout le monde à regarder la petite rétrospective vidéo de la Nasa de l’évolution mondiale des températures entre 1880 et 2021. L’Europe et l’Amérique du Nord sont, avec le pôle Nord, les régions où le thermomètre a le plus grimpé. Et pourtant, on fait exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire ! »

Selon la géophysicienne, l’urgence est d’instaurer une politique généralisée de préservation des sols et des zones humides. « Arrêtons par exemple de vouloir prélever de l’eau dans les nappes souterraines pour la mettre dans des mégabassines. Laissons-la sous terre ! »

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