Le Sénat a mis sur la table jeudi (31 mars) ses propositions pour renforcer l’indépendance des médias français, détenus par un nombre limité de grands groupes et encadrés par des règles devenues « obsolètes » avec le numérique et la très forte compétition des plateformes américaines.
« En apparence, il n’y a jamais eu autant d’offres de médias » mais, observe le sénateur socialiste David Assouline, force est de constater qu’il y a un « rétrécissement de ceux qui en sont propriétaires ».
C’est sur cete base que le Sénat a lancé en novembre dernier une commission d’enquête chargée de tirer les leçons d’un paysage médiatique français particulièrement concentrée, aux mains en grande partie d’une poignée d’hommes d’affaires. « Il faut une régulation, c’est une nécessité démocratique », selon M. Assouline, rapporteur du rapport.
82 personnes ont été entendues pour un total de plus de 100 heures de débat en l’espace de quelques mois. Le rapporteur de la commission d’enquête, M. Assouline, a souligné l’« inhabituelle dureté des débats qui ne sont pas le lot commun de la façon dont on débat dans nos instances ».
Ces travaux se sont déroulés alors que le projet de fusion entre TF1 et M6 fait couler beaucoup d’encre au vu des questions économiques et de pluralisme de l’information que ce nouveau possible mastodonte soulève. « La concurrence énorme des plateformes américaines nécessite des investissements assez lourds », concède M. Assouline, notant des « nuances dans les appréciations de la commission d’enquête » quant à la stratégie à adopter face à cela.
Au-delà des logiques ayant conduit à cette concentration, les sénateurs ont surtout mis en lumière les risques et les atteintes à la liberté de la presse que ce phénomène avait accentués.
Cette trop grande concentration des médias nuirait, selon le rapport, à la crédibilité de l’information, alors que certaines rédactions sont parfois suspectées d’être le bras idéologique des groupes auxquels ils appartiennent. Cette concentration, menant parfois à une mutualisation des rédactions, peut aussi conduire à une dégradation des conditions de travail des journalistes, ainsi qu’à une précarisation de leur métier.
32 propositions
Pour atténuer ces effets délétères, les sénateurs appellent à réviser de fond en comble la loi de 1986 relative à la liberté de communication devenue « obsolète » et mettent sur la table 32 propositions. La dernière suggère une réécriture complète de la législation qui pourrait prendre en compte un examen des concentrations fondé sur la « part d’attention », soit le temps passé devant chaque type de média (presse écrite, radio, TV, web, etc.).
Les sénateurs appellent à la création d’un « administrateur indépendant » au sein du Conseil d’administration des groupes de médias qui devra veiller à l’indépendance des rédactions et prévenir les conflits d’intérêts.
Ils souhaiteraient également impliquer davantage l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à des fins de contrôle et de transparence. Ils suggèrent que l’autorité évalue tous les quatre ans « l’état des concentrations et de l’évolution souhaitable des règles ».
Conscient que l’indépendance des médias se joue en partie sur l’aspect financier, les sénateurs appellent à réformer le système d’aide à la presse en France et, sur la question des droits voisins, voudraient instaurer une obligation de transparence sur les accords passés entre les plateformes et les éditeurs ainsi qu’un pouvoir de sanction pour l’Arcom en cas d’échec des négociations.
Hors de France
Le document de 381 pages observe par ailleurs que les problématiques soulevées par la concentration des médias ne sont pas une spécificité française et que le sujet fait également débat aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie.
« Aux États-Unis, l’opération TF1-M6 n’aurait pas pu se produire » au regard de la législation actuelle outre-Atlantique, a noté Laurent Lafon, président de la commission d’enquête.
Interrogé par EURACTIV sur le « Media Freedom Act » européen, une initiative présentée par la Commission européenne en avril 2021 pour renforcer l’indépendance et garantir le pluralisme des médias à travers le bloc, M. Assouline se réjouit que Bruxelles se soit saisie de cet enjeu afin qu’il n’y ait pas de « trous dans la raquette ».
Il a néanmoins reconnu que le « fossé est assez grand » et s’est dit « dubitatif » quant à l’adhésion des pays d’Europe de l’Est. « Leur façon de regarder la liberté de la presse n’est pas tout à fait la même », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Si on réussit à les entraîner vers nos standards, ce sera une avancée énorme pour nos démocraties ».