Moi, gardien de prison : « Travailler jusqu’à 65 ans, ce n’est pas réaliste »

Jérôme a travaillé pendant 10 ans à la maison d’arrêt de Fleury-Merogis, en Ile-de-France.

Jérôme a travaillé pendant 10 ans à la maison d’arrêt de Fleury-Merogis, en Ile-de-France. ERIC DESSONS / JDD / SIPA

Surveillant pénitentiaire depuis 1989, Jérôme tire la sonnette d’alarme sur ses conditions de travail et espère une réforme en profondeur avec l’arrivée du nouveau président.

MOI, MON MÉTIER À L’HEURE DE LA PRÉSIDENTIELLE

Ils sont professeurs, avocats, intermittents du spectacle, agriculteurs… Après deux ans de pandémie, une nouvelle réforme ou une crise économique, en quoi leur quotidien professionnel a-t-il changé ? Comment, aujourd’hui, ces femmes et ces hommes aimeraient exercer leur métier ? A quelques semaines de l’élection présidentielle, « l’Obs » leur donne la parole.

En référence à l’anaphore utilisée par François Hollande pendant l’entre-deux-tours de l’élection en 2012, cette série d’articles souhaite interpeller les candidats et candidates sur la réalité de ces professions.

A 52 ans, Jérôme ne compte plus les ouvertures et les fermetures de porte des cellules. Après dix ans à Fleury-Mérogis, en région parisienne, puis treize ans à la maison d’arrêt de Seysses à Toulouse, ce surveillant pénitencier, aujourd’hui secrétaire général national du syndicat pénitentiaire des surveillants, se montre réservé à l’approche de l’élection présidentielle. A quelques jours du premier tour, il espère que le nouveau chef de l’Etat pourra lancer une réforme en profondeur du statut des surveillants pénitenciers… ainsi que de leurs salaires « qui doivent tenir compte de la difficulté du métier ».

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Car pour ce syndicaliste, la question de la rémunération dans sa profession est centrale. En début de carrière le salaire mensuel d’un surveillant débute à 1 594 euros brut et plafonne à 2 100 euros en fin de carrière au dernier échelon. « C’est aberrant ! Sans oublier que lorsque l’on travaille dans ce milieu-là, on a affaire à toute la misère sociale. C’est un métier psychologiquement difficile », s’insurge Jérôme qui précise ne pas avoir eu de proposition de suivi psychologique.

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Un gardien pour « 100 à 140 détenus »

Le quotidien d’un gardien de prison est une suite de tâches parfois stressantes… Service des petits déjeuners, distribution du courrier, mise en place des promenades, des séances sport, des parloirs, puis des activités ou encore des rendez-vous de chacun ; pour certains c’est la bibliothèque, d’autres la musculation ou encore l’enseignement, les soins à l’infirmerie… Cela dépend des jours. Et des personnes. Et toutes ces missions, Jérome doit les accomplir avant la fin de son service.

Avec en moyenne un gardien pour 100 à 140 détenus selon Jérôme, « ça devient vite compliqué… voire impossible ». Pour le surveillant, qui ne cesse de dénoncer le déficit d’effectifs, « si on supprime des postes, on craint pour notre métier ». Et de poursuivre : « Le rapport de force n’est déjà plus en notre faveur. Notre autorité est mise à mal et notre sécurité est en péril. On ne fait plus le poids face aux détenus. On rame déjà pour essayer de combler les trous mais on n’y arrive pas. »

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Outre le manque de personnel, la problématique de la surpopulation carcérale est également essentielle pour lui, car source de tensions et de conflits entre les détenus. « Lorsque vous avez une cellule prévue initialement pour un détenu et qu’ils se retrouvent à deux ou à trois dedans, forcément ça suscite des tensions, explique Jérôme. On a un code de déontologie qui stipule qu’on doit respecter la dignité humaine. Il faudrait déjà nous expliquer comment c’est possible [en raison de la surpopulation en prison, NDLR] ».

Ce problème, qui remonte à plusieurs années déjà, se concentre, selon Jérôme, surtout dans les maisons d’arrêts, qui accueillent les personnes en attente de jugement ainsi que celles condamnées à de courtes peines. Dans ce contexte, le syndicaliste estime, amer, que l’administration pénitentiaire est impuissante face aux demandes du ministère de la Justice : « Ils nous imposent le respect de la personne mais ils ne le font pas eux-mêmes. Ils incarcèrent à tout-va et ça sans augmenter les places dans les lieux de détention. Alors ils créent des Cocottes-Minute et un jour ça va péter ! »

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« Même nous, on y croit plus »

L’absence du respect de l’autorité est également une difficulté du quotidien, pointée par Jérôme. Comme dans le monde extérieur, « certains à l’intérieur sont totalement réfractaires à l’uniforme et à toute forme d’autorité », note-t-il. « Ce sont eux qui posent problème. Le manque d’effectifs est, là encore, le principal frein dans la gestion de ces personnes. » Avec un seul agent pour autant de détenus, « l’humanité qu’on est censé leur apporter pour les aider dans leur réinsertion est quasi irréalisable. Même nous, on y croit plus ».

Un brin désabusé, Jérôme ne fait plus confiance à sa hiérarchie car, pour lui, « chaque gouvernement promet de recruter dans le milieu carcéral mais sur le terrain on n’a rien vu ». La campagne de recrutement de 1 000 surveillants supplémentaires, lancée en juin 2020, ne semble pas avoir été au niveau des attentes de la profession.

« On travaille week-ends et jours fériés »

Ces conditions de travail compliquent un métier déjà pénible. « Nos carrières ne sont pas non plus très longues. Chaque jour nous accomplissons notre service face à des détenus qui veulent en découdre, qui veulent s’imposer verbalement et physiquement. Autant dire que travailler jusqu’à 65 ans [comme envisagé par Emmanuel Macron, NDLR], ce n’est pas réaliste. »

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Pour cette catégorie de fonctionnaires, il est aujourd’hui possible de prendre sa retraite à partir de 57 ans. Et Jérôme compte bien en profiter : « Vu les conditions d’exercice du métier qui s’enlisent, je n’envisage pas de rester plus longtemps et de faire subir ça à ma famille. » Car le rythme de travail représente pour lui l’aspect le plus difficile de sa profession : « On travaille tout au long de la journée, les week-ends et les jours fériés et on a seulement un week-end complet tous les mois et demi », déplore le fonctionnaire qui ne se sent soutenu ni par l’administration pénitentiaire ni par l’Etat. Jérôme, comme ses collègues, attend donc avec impatience les engagements du futur chef de l’Etat.

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