Les années folles : un "âge d'or" gay ?

Plusieurs couples au Monocle, à Paris, dans les années 1920 ©Getty - FPG
Plusieurs couples au Monocle, à Paris, dans les années 1920 ©Getty - FPG
Plusieurs couples au Monocle, à Paris, dans les années 1920 ©Getty - FPG
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Y a-t-il eu un moment collectif de tolérance envers l'homosexualité entre 1919 et 1939 ? En Europe, l'entre-deux-guerres est une période d'affirmation de plus en plus libre d'une identité homosexuelle, tendance qui sera interrompue par la guerre et mettra plusieurs décennies à renaître ensuite.

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Entre les deux guerres mondiales, les villes de Londres, Paris et Berlin connaissent toutes les trois des temps de libération de la sexualité, permettant à beaucoup de femmes et d'hommes de vivre plus simplement leur homosexualité en facilitant pour eux et elles les rencontres amoureuses, ou l'émergence de lieux de sociabilité idoines. À Berlin, le développement de nombreux cabarets, destinés aux touristes ou aux locaux, aux riches ou aux pauvres, aux hommes ou aux femmes, favorise l'épanouissement culturel d'identités gays ou lesbiennes vécues collectivement. En Angleterre, une forme de "culte de l'homosexualité" se développe même au sein des élites sociales pendant les années 1920 : à l'intérieur de certaines sphères exclusivement masculines comme certains clubs, les public schools ou l'université, un imaginaire homoérotique est construit par les artistes et les intellectuels, et les pratiques homosexuelles sont plus librement assumées. De la même façon, à Paris le milieu littéraire devient celui où le sujet est débattu, à la suite de la publication en 1922 de Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust, puis de Corydon d'André Gide en 1924, ou autour de l'éphémère et luxueuse revue Inversions, qui prend fait et cause pour les droits des homosexuels et circule dans les salons privés de la capitale.

Ainsi apparaissent même les premiers courants de revendications politiques, qui s'opposent publiquement aux discriminations subies par les homosexuels : des associations demandent aux politiques leur position sur l'article 175 du code pénal allemand qui pénalise "la débauche contre-nature (…) commise entre personnes du sexe masculin" (les femmes lesbiennes étant alors invisibilisées), le sexologue allemand Magnus Hirschfeld fonde le premier mouvement militant homosexuel, le WhK, et donne de nombreuses conférences afin de diffuser des informations fiables sur l'homosexualité et les préjugés d'immoralité qui lui sont accolés… Il initie même une "Ligue mondiale pour le réforme sexuelle" qui regroupe des intellectuels, des scientifiques et des médecins dans une vocation législative.

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Le dynamisme de cette tendance sera cependant interrompu brutalement par l'avènement du régime nazi en Allemagne et la Seconde Guerre mondiale partout en Europe : tandis que l'homosexualité devient un motif de déportation pour les hommes (les femmes lesbiennes sont, elles, déportées selon d'autres prétextes), on fustige dans les rangs de la Résistance la figure du collaborateur homosexuel. Après la guerre, cette figure sera diffusée dans le débat public, et le sujet de l'homosexualité sera de nouveau voué à l'invisibilité jusqu'aux années 1970 et aux mouvements de libération homosexuelle influencé par les États-Unis… L'affirmation d'identités homosexuelles renaitra alors en puisant à d'autres références culturelles.

L'invitée :

  • Florence Tamagne est historienne et maîtresse de conférence à l'Université de Lille. Ses travaux portent sur l'histoire culturelle du genre, ainsi que celle de l'homosexualité. Elle a notamment écrit Le Crime du Palace (Payot, 2017) ainsi qu'une Histoire de l’homosexualité en Europe (Berlin, Londres, Paris, 1919-1939) parue en 2000 au Seuil.

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