Crise humanitaire en Afghanistan : la détresse des enfants de Kaboul

Des enfants ramassent des objets recyclables dans des sacs près de Kaboul. 18 mars 2022 ©AFP - Ahmad Sahel Arman
Des enfants ramassent des objets recyclables dans des sacs près de Kaboul. 18 mars 2022 ©AFP - Ahmad Sahel Arman
Des enfants ramassent des objets recyclables dans des sacs près de Kaboul. 18 mars 2022 ©AFP - Ahmad Sahel Arman
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Depuis l'arrêt de l'aide internationale, l'Afghanistan s'enlise dans une profonde crise humanitaire. Ce sont les enfants qui souffrent le plus des difficultés économiques, contraints de mendier ou de travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles dans un pays où la pauvreté est endémique.

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Accueil des réfugiés, dons en nature ou dons d’argent. La guerre en Ukraine suscite en Europe un bel élan de générosité. Doit-on pour autant laisser passer à l’arrière-plan le sort d’autres victimes qui, elles aussi, ont un besoin vital de l’aide internationale ? Hier, la conférence de donateurs visant à récolter des fonds pour l’Afghanistan s’est conclue sur un constat d’échec. Avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Qatar, l’ONU tentait de mobiliser 4,4 milliards de dollars pour ce pays en plein effondrement économique. Deux milliards manquent encore à l’appel.

Depuis l’arrivée au pouvoir des talibans, l’été dernier, la crise humanitaire s’est aggravée, et ce d’autant plus que l’Afghanistan subit les sanctions occidentales. Washington a ainsi gelé près de 9,5 milliards de dollars de la banque centrale afghane. "Les pays riches et puissants ne peuvent pas ignorer les conséquences de leurs décisions sur les plus vulnérables", s’est agacé hier le secrétaire général de l’ONU.

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"Certains vendent déjà leurs enfants et des parties de leur corps pour nourrir leur famille" a insisté Antonio Guterres, qui a donné ce chiffre : "Un million d’enfants en sévère malnutrition sont au bord de la mort." Ils sont bien plus nombreux encore à mendier ou travailler dans les rues pour survivre…

Invités de ce "Grand reportage" : Pierre Micheletti, médecin, spécialiste des questions humanitaires internationales, président de l'ONG Action Contre la Faim et Adam Bacz-Ko, chargé de recherche CNRS au CERI-Sciences Po.

Des enfants partout dans les rues de Kaboul

Ils sont cireurs de chaussures, vendeurs de sacs de plastique, rabatteurs de taxi, laveurs de voiture. Autant de petits boulots qui leur permettent de ramener quelques afghanis pour manger alors que le prix des aliments a doublé, parfois triplé, et que le chômage a explosé depuis le mois d'août dernier.

Des enfants dans les rues de Kaboul. Mars 2022.
Des enfants dans les rues de Kaboul. Mars 2022.
© Radio France - Eric Audra

Inutile de les chercher, les enfants sont partout dans les rues de Kaboul. Des petites silhouettes pressées s'affairent dès les premières heures du matin. Nous avons rendez-vous avec Jawed, près d'un parc situé en face de l'Université de Kaboul. Ahmad Horaam, de l'association Khana-e-Dost, nous a mis en contact avec le petit garçon de 10 ans. Il porte un vieux blouson élimé et des bottes en caoutchouc. La neige recouvre encore les rues de la capitale afghane en ce mois de mars. Dans son sac à dos, Jawad a mis tout le nécessaire pour cirer les chaussures des passants. "Je gagne 70, 80 ou 100 afghanis par jour (70 centimes, 80 centimes d'euros, un euro), nous dit-il.  "Je dépense 50 afghanis (50 centimes d'euros) pour acheter du pain et je mets 50 afghanis de côté pour la location de la maison".

Ce quartier sur les hauteurs de Kaboul abrite des habitations illégales. Des centaines de familles pauvres vivent ici.
Ce quartier sur les hauteurs de Kaboul abrite des habitations illégales. Des centaines de familles pauvres vivent ici.
© Radio France - Eric Audra

Jawed habite au sommet de l'une des collines qui entourent Kaboul. Ici, les maisons en terre ont été construites illégalement. Les habitants doivent aller chercher de l'eau aux rares points d'approvisionnement. "Dans cette partie de la ville, aucune organisation internationale ne vient pour voir quelle est la situation réelle des habitants les plus pauvres", nous explique Ahmad, dont l'association Khana-e-Dost* vient en aide aux enfants de ces quartiers. "Avant le retour des talibans, la plupart des gens étaient pauvres. Mais maintenant, la plupart d'entre eux ont faim. Chaque famille doit envoyer son enfant travailler parce qu'elles n'ont pas d'autre choix".

Jawed 10 ans cire des chaussures dans un parc de Kaboul. Mars 2022
Jawed 10 ans cire des chaussures dans un parc de Kaboul. Mars 2022
© Radio France - Valérie Crova

Le père de Jawed a 65 ans. Il en paraît vingt de plus. Cet ancien combattant a été blessé par l'explosion d'une bombe durant la guerre contre les Soviétiques. C'était il y a 34 ans. Il a perdu une jambe, ne voit plus et n'entend pratiquement plus rien. Jawed et son unique soutien financier, car il ne perçoit aucune pension de retraite.

Le rôle essentiel des ONG

Malgré toutes les difficultés rencontrées, certaines organisations poursuivent leurs activités de soutien scolaire aux enfants des rues. Le Centre Kashana est géré par l'Association caritative de secours pour les enfants des rues, en partenariat avec l'organisation Kofa. Ici sont dispensés des cours théoriques. On enseigne les langues, le dari, le pachtoune, l'anglais, les matières scientifiques, l'informatique. Dans ce centre, 370 garçons viennent suivre les matières scolaires, mais aussi apprendre la menuiserie, la sculpture sur bois ou comment tisser un tapis.

Dans le centre Kashana qui vient en aide aux enfants des rues, on apprend à tisser des tapis.
Dans le centre Kashana qui vient en aide aux enfants des rues, on apprend à tisser des tapis.
© Radio France - Eric Audra

Dans l'atelier de menuiserie, Raheb, 21 ans, enseigne aux élèves les rudiments de l'ébénisterie. Il nous confie qu'il a été lui aussi un enfant des rues :

Quand j'avais 6 ans, j'ai commencé à travailler. Je nettoyais les voitures, je cirais des chaussures. Des gens du centre Kashana m'ont aidé. Ils m'ont dit : Arrête de travailler, tu devrais apprendre un métier, ça t'aidera pour ton avenir. Maintenant, je suis professeur de menuiserie. Je peux ressentir la douleur de tous ces enfants. Je ne peux rien faire d'autre que de leur apprendre des choses. S'ils continuent à aller dans la rue, ils n'auront pas d'avenir. Ils peuvent prendre de la drogue. Et je sais que certains d'entre eux ont déjà commencé à le faire .

Tamim, 12 ans, termine son cours d'informatique. Le centre Kashana met à disposition des ordinateurs pour les enfants qui fonctionnent quand il y a de l’électricité. Tamim était rabatteur pour les taxis qui le payaient entre 10 et 20 afghanis (l’équivalent de 10 à 20 centimes d'euros) avant le retour des talibans. "Maintenant, il n'y a plus de travail dehors", concède-t-il. Le petit garçon s'effondre en larmes à l'évocation de son père malade. "Ma sœur et mon frère n'ont rien à manger", ajoute-t-il.

À côté de lui, Moubarak, 12 ans également, a déjà l'air d'un adulte. "Mon père est vieux et malade. Il ne peut pas travailler. Il a 65 ans. Quand j'ai fini mes cours ici, je vais en ville. J'achète des sacs en plastique dans un grand marché de Kaboul. Et après, je les revends aux gens qui en ont besoin. Je gagne chaque jour entre 60 et 70 afghanis, (entre 60 et 70 centimes d'euro)  et je les donne à mon père".

Pour rencontrer des filles, il faut aller dans un autre centre géré par Kashana (que l'on peut traduire en français par endroit sûr). Depuis le retour des fondamentalistes, la non-mixité est de rigueur dans les écoles primaires. Les filles plus âgées sont quant à elles toujours privées de cours, malgré les promesses faites par les talibans. Nilab, 14 ans, vient dans ce centre jusqu'à 11 heures. Puis elle rejoint sa mère qui nettoie des haricots verts sur un marché pour 50 centimes d'euros, parfois 1 euro. Son père n'a plus d'emploi. Le rêve de Nilab ? Devenir chirurgienne plus tard.

Aboubaker 12 ans vit avec ses frères et sœurs dans une pièce exiguë. Il part tous les matins cirer des chaussures pour aider sa maman qui ne travaille pas.
Aboubaker 12 ans vit avec ses frères et sœurs dans une pièce exiguë. Il part tous les matins cirer des chaussures pour aider sa maman qui ne travaille pas.
© Radio France - Eric Audra

Des enfants privés de leur jeunesse

Il y en a des centaines de milliers en Afghanistan. Impossible d'avancer un chiffre précis. Il n'y a pas de statistiques en la matière. Ahmad Horaam se sent investi d'une mission. Ce diplômé en langue persane avait ouvert un café littéraire qu'il a dû fermer récemment par peur de représailles des talibans.

Je n'ai aucune idée de la manière de changer de la société. Il y a beaucoup d'inégalités en Afghanistan. Les problèmes sont immenses. Nous avons besoin de grands programmes et même s'il faudra beaucoup de temps pour changer la situation des pauvres, personne ne nous arrêtera. Nous essayons d'obtenir de l'aide de nos amis, d'organisations humanitaires, de personnes ou de familles riches pour apporter un changement positif dans la vie de ces familles. Il est clair que nous n'avons pas assez d'argent. Je ne sais pas ce qui va se passer à l'avenir, mais nous devons faire de notre mieux.

En savoir plus : Le défi alimentaire
Cultures Monde
58 min

* Khana-e-Dost est une organisation à but non lucratif créée à Kaboul et travaillant dans diverses sections pour aider le peuple afghan. Cette organisation fondée par des étudiants de l'Université de Kaboul en 2018 est toujours active. L'organisation avait de nombreux programmes dans les domaines de l'éducation, de la culture, de l'art et de la charité : bibliothèque gratuite pour les étudiants, galerie de peinture pour jeunes filles et garçons, cours d'écriture, cours d'édition de texte et distribution de vêtements d'hiver et de nourriture pour les familles pauvres et les enfants des rues chaque année.

Après l'arrivée des talibans en août 2021, l'organisation n'a pas été en mesure de poursuivre toutes ses activités. Désormais, Khana-e-Dost est actif uniquement dans le domaine caritatif, comme préparer de la nourriture, des vêtements et collecter de l'argent pour certaines familles très pauvres dont les enfants travaillent dans les rues de Kaboul et ce grâce à l'aide et à la gentillesse de certaines personnes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afghanistan.

L'organisation recherche des aides pour les familles très pauvres d'Afghanistan, en particulier les enfants des rues qui sont les plus vulnérables aujourd’hui en Afghanistan.

"Chacun peut être un acteur et apporter une petite lumière dans la vie sombre des enfants des rues d'Afghanistan", souligne Ahmad Horam, le responsable de l'organisation Khana-e-Dost. Pour le joindre > khana.dost1397@gmail.com
Whatsapp : 00 937 84 33 51 35

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