Tout va bien, l’Angleterre relève son seuil d’alerte pour les vagues de chaleur

Tout va bien, l’Angleterre relève son seuil d’alerte pour les vagues de chaleur
Image d'illustration © Monika Wisniewska / Shutterstock

De l’autre côté de la Manche, la définition officielle d’une vague de chaleur sera revue à la hausse dès cet été. Une décision prise par le service national britannique de météorologie pour mieux refléter la « tendance au réchauffement indéniable », rendant ses seuils d’alerte d’origine « obsolètes ».

« Enfin une bonne nouvelle ! », souligne ironiquement la militante Eleanor Salter. Entre un rapport du GIEC mettant en garde contre un « atlas de souffrances humaines » liées au dérèglement climatique, des températures records enregistrées en Antarctique et une industrie du charbon en pleine « remontada » grâce à la guerre en Ukraine, une rare annonce positive pour l’avenir de la planète s’est discrètement glissée dans l’actualité.

Il faut, pour s’en convaincre, traverser la Manche en direction du Royaume-Uni. Là-bas, on sait désormais ce que l’avenir nous réserve, du moins sur un plan très précis : dans le futur, soyez-en sûrs, il y aura moins de vagues de chaleur qu’auparavant ! Non pas parce que l’augmentation des températures à l’échelle globale épargnerait miraculeusement les îles britanniques… mais parce que les autorités locales viennent de relever les seuils de définition de la notion de « vague de chaleur ».

Seuils relevés dans huit comtés

Passé totalement inaperçue en France, l’annonce a été relevée par le quotidien The Guardian dans un court article publié le 29 mars dernier. On y apprend que « la définition officielle d’une vague de chaleur sera modifiée dans huit comtés » dès cet été. Une décision prise par le service national britannique de météorologie pour mieux refléter la « tendance au réchauffement indéniable » que connaît le pays depuis plusieurs années, rendant ses seuils d’alerte d’origine « obsolètes ».

Concrètement, pour qu’une vague de chaleur soit officiellement déclarée par les autorités des comtés du Surrey, du Berkshire, du Buckinghamshire, du Bedfordshire, du Hertfordshire et du Cambridgeshire, les températures locales devront se maintenir à au moins 28°C pendant trois jours consécutifs, contre 27°C auparavant. Dans le Lincolnshire, elles devront atteindre 27°C (contre 26°C par le passé) et, dans le Yorkshire de l’Est, ce sera 26°C (contre 25°C par le passé).

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Image d'illustration © Kristen Morith / Unsplash (CC)

Pour rappel, s’il n’existe pas de définition universelle du phénomène, on parle de vague de chaleur lorsqu’on observe des températures anormalement élevées pendant plusieurs jours consécutifs – là où la canicule a ceci de particulier que la chaleur se maintient également la nuit. Comme l’expose Météo France sur son site, les niveaux de température et la durée de l’épisode qui permettent de caractériser une vague de chaleur varient « selon les régions du monde et les domaines considérés (caractérisation d’un point de vue climatologique, activité de recherche, dispositif de vigilance météorologique) ». Dans l’Hexagone, par exemple, les départements sont placés en vigilance quand les températures maximales oscillent entre 30°C et 35°C.

Vers des vagues de chaleur « tous les deux ans » 

En l’occurrence, le directeur du pôle climat au sein du « Met Office » Mark McCarthy s’est voulu clair sur les raisons de ce virage : les températures moyennes observées dans tout le pays augmentent continuellement d’année en année. Avec, dans certaines parties du centre et de l’est de l’Angleterre, une augmentation moyenne de l’ordre de 1°C par rapport aux années 1980. Et surtout, un risque d’épisodes de vagues de chaleur nettement plus important.

« L’une de nos études scientifiques réalisée après la vague de chaleur de 2018 a montré que ce genre d’épisodes était 30 fois plus susceptible de se produire aujourd’hui qu’en 1750 en raison de la concentration plus élevée de dioxyde de carbone dans l’atmosphère », a notamment expliqué Mark McCarthy. Il y a quatre ans, les températures records enregistrées dans tout le pays avaient en effet entraîné une sécheresse généralisée, des interdictions d’arrosage, de nombreuses perturbations agricoles et un grand nombre d’incendies. « À mesure que les concentrations de gaz à effet de serre augmentent, les vagues de chaleur d’intensité similaire devraient devenir encore plus fréquentes, sans doute à raison d’une fois tous les deux ans », prévient le spécialiste.

« Amnésie écologique » 

Mais ce relèvement des seuils d’alerte était-il vraiment indispensable ? La décision est-elle cohérente avec « l’adaptation » des territoires préconisée par le GIEC ou risque-t-elle, au contraire, de créer une forme d’accoutumance envers des situations censées être inacceptables ? Pour Eleanor Salter, c’est bien sur une pente glissante que l’institution britannique s’embarque avec cette mise à jour, car « cela conduira probablement à moins de reportages [sur le sujet], sans représenter pour autant un répit réel par rapport aux températures record de la dernière décennie ».

« Étant donné que le Met Office explique que le but d’une définition d’une vague de chaleur est de “fournir aux médias et au public des messages cohérents et fiables”, ce changement masquera probablement l’escalade des impacts climatiques au Royaume-Uni, écrit la militante dans sa tribune publiée sur le site de The Guardian. Or les vagues de chaleur tuent en Angleterre et continueront de le faire même en dessous de ces nouveaux seuils. »

« Les définitions comptent profondément, et l’instabilité de notre climat mérite des classifications stables pour la mesurer »

Et l’intéressée de citer, pour appuyer son propos, la théorie de « l’amnésie écologique » forgée par le biologiste Daniel Pauly dès la fin des années 1990 (« shifting baseline syndrome » en anglais), avant d’être reprise quelques années plus tard par l’écologue Philippe Jacques Dubois. Soit l’idée selon laquelle chaque génération considère comme point de référence initial d’un écosystème celui qu’il a connu depuis sa naissance, engendrant un abaissement des normes toujours plus important lorsque la situation environnementale se dégrade rapidement (comme c’est le cas depuis plusieurs décennies).

En témoignent le fameux « effet pare-brise » (la baisse récente de la quantité d’insectes s’abattant sur les vitres des véhicules durant leurs trajets, attribué à un déclin mondial des populations d’insectes) ou encore les arrangements de certains pays avec les calculs de leur niveau de baisse des émissions, notament lorsqu’ils prennent des dates relativement récentes comme point de référence (abaissant ainsi artificiellement leurs propres exigences).

« Les définitions comptent profondément, et l’instabilité de notre climat mérite des classifications stables pour la mesurer, en conclut Eleanor Salter. Sans cela, nous risquons de perdre notre emprise sur l’environnement naturel (…) Comme des grenouilles dans une marmite qui bout lentement, nous pourrions même commencer à tolérer une chaleur extrême sur cette île autrefois caractérisée par son mauvais temps chronique. »

et aussi, tout frais...