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Ukraine : que sait-on des vidéos de personnes attachées à des poteaux, parfois dénudées et frappées ?

Des personnes attachées à des poteaux en pleine rue, parfois avec le pantalon baissé et frappées : depuis le début de la guerre en Ukraine, les images montrant ce type de scènes se comptent par dizaines sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux. Ces scènes se sont déroulées dans différentes villes du pays, très souvent pour punir des personnes accusées de vol. Une pratique acceptée par une partie de la population, parfois encouragée par les autorités, mais "illégale et inacceptable" selon des ONG de défense des droits de l’Homme locales.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des personnes attachées à des poteaux, comme celle-ci, prise à Kakhovka. Ces personnes sont souvent accusées de vol. Ici, il est d'ailleurs écrit sur le papier "Я мародер" ("je suis un maraudeur").
Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreuses images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des personnes attachées à des poteaux, comme celle-ci, prise à Kakhovka. Ces personnes sont souvent accusées de vol. Ici, il est d'ailleurs écrit sur le papier "Я мародер" ("je suis un maraudeur"). © Réseaux sociaux.
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ATTENTION, LES IMAGES CI-DESSOUS PEUVENT CHOQUER.

Ces images montrent des personnes attachées à des poteaux ou à des arbres, avec du ruban adhésif ou encore du film alimentaire, en pleine rue. Elles sont généralement seules, mais il arrive que deux ou trois personnes soient attachées ensemble. Parfois, elles ont le pantalon baissé, un message accroché sur elles, et sont frappées par d’autres personnes. 

Notre rédaction a pu géolocaliser 17 scènes de ce type, à Kiev, Irpin (oblast de Kiev), Dnipro, Kryvyï Rih, Kamianske (oblast de Dnipropetrovsk), Poltava (oblast de Poltava), Melitopol (oblast de Zaporijia), Kharkiv (oblast de Kharkiv), Kherson, Kakhovka (oblast de Kherson), et Doubno (oblast de Rivne). Ces villes, de grande et moyenne taille, sont situées sur l’ensemble du territoire ukrainien. 

Les images de ces scènes ont toutes été publiées en mars. Nous n’avons pas pu vérifier les dates exactes auxquelles toutes ces scènes se sont produites, mais nous n’en avons pas retrouvé la trace avant le début de la guerre en Ukraine : elles semblent donc récentes.

Pourquoi ces personnes sont-elles humiliées en pleine rue ? 

Une grande partie de ces personnes sont humiliées car elles sont accusées d’avoir pillé des habitations ou encore des magasins abandonnés. Plusieurs d’entre elles ont ainsi un papier scotché sur elles, où il est écrit "мародер", c’est-à-dire "maraudeur", une référence au fait qu’elles auraient volé des choses. 

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Poltava (géolocalisation ici), diffusée mi-mars : un homme est scotché à un poteau, avec un papier où il est écrit "maraudeur".

Photos floutées par France 24.
Photos floutées par France 24. © Réseaux sociaux.

Photos prises à Kakhovka (géolocalisation ici), diffusées mi-mars : deux hommes sont attachés à des poteaux avec le message “je suis un maraudeur”.

De plus, dans certaines vidéos, on entend des passants leur reprocher de s’être livrés à des pillages.

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Kiev (géolocalisation ici), diffusée mi-mars : un homme attache une personne à un arbre, avant de lui baisser le pantalon et de la taper. On entend des gens qui commentent la scène : "Est-ce un saboteur ? Non, c’est un pillard." 

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Kamianske (géolocalisation ici), diffusée mi-mars, montrant un homme scotché à un arbre. On entend notamment : "Ce raté voulait voler une enceinte bluetooth portable."

Par ailleurs, les accusations de vols sont très fréquentes dans les légendes accompagnant ces images, sur Twitter et dans les chaînes Telegram locales, et dans les articles publiés par les médias locaux.

Cependant, ces images ne montrent pas toutes des personnes accusées de pillage. Par exemple, dans la vidéo ci-dessous, tournée à Doubno, l’homme est puni car il est accusé d’avoir vendu de l’alcool, alors que c’est interdit dans la zone pendant la loi martiale. Sur le panneau qui est accroché à lui, on peut d’ailleurs lire ceci : "Je vends de l’alcool pendant la loi martiale."

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Doubno (géolocalisation ici), diffusée mi-mars : un homme est attaché à un poteau, avec un panneau indiquant "Je vends de l’alcool pendant la loi martiale."

Qui sont les individus à l’origine de ces châtiments publics ?

Parmi les 17 scènes géolocalisées par notre rédaction, les individus qui "punissent" ces personnes sont visibles dans neuf cas seulement : ils ressemblent parfois à de simples citoyens ou à des membres des forces de sécurité ukrainiennes, lorsqu’ils portent, par exemple, des treillis militaires, des insignes, des brassards jaunes ou bleus, ou encore des armes. 

Par exemple, dans la vidéo ci-dessous, tournée à Irpin, on voit deux hommes en treillis militaire, avec des brassards jaunes et des bonnets. Ils attachent une personne à un poteau, puis lui mettent une pomme de terre dans la bouche et lui baissent le pantalon. Un troisième homme en treillis militaire, avec un casque, est visible, ainsi que deux autres personnes attachées à des poteaux. Il est toutefois difficile de savoir qui sont précisément ces hommes en treillis militaire, accompagnés d’hommes en civil : témoins de la scène, un photographe affirme que c'était des militaires ukrainiens, tandis qu’un journaliste assure que c'était des membres du régiment Azov.

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Irpin (géolocalisation ici), le 12 mars : des hommes en treillis militaire humilient trois personnes accusées de pillage. 

Vidéo floutée par France 24.
Vidéo floutée par France 24. © Réseaux sociaux.

Vidéo tournée à Poltava (géolocalisation ici), diffusée le 2 mars : là encore, deux hommes, avec des brassards jaunes et des insignes, sont à côté d’un homme attaché à un poteau, accusé d’être un "maraudeur".

Interrogé par notre rédaction, Taras, un habitant de Kiev, estime que les punitions sont infligées par "tous types de personnes : de simples passants, des agents de sécurité, de la force de défense territoriale…". 

Ces châtiments sont-ils infligés de façon spontanée ou encouragés par les autorités 

Il est probable que ces punitions soient parfois infligées par de simples citoyens ou par les forces de sécurité de façon spontanée, selon plusieurs sources contactées par notre rédaction.

Taras indique : 

On ne peut pas tolérer les pillages alors que, dans le même temps, de nombreuses personnes perdent leurs maisons, sont obligées de fuir, et se cachent dans des abris anti-bombes, parfois avec peu d’eau et de nourriture. De plus, en temps de guerre, la police a des choses plus importantes à gérer et il est impossible d’avoir des procès pour juger les pillards. C’est pourquoi les gens cherchent à se rendre justice eux-mêmes, s’ils en attrapent un. En période de crise, cette forme d’auto-organisation est socialement acceptée, tant que personne n’est blessé physiquement.

Toutefois, à plusieurs reprises, les autorités ont soutenu ce type de châtiment de façon explicite. Dès le 1er mars, Oleksiy Biloshitsky, chef adjoint du département de la police de patrouille des routes, a publié sur Facebook des photos de gens attachés à des poteaux, en déclarant qu’il était "inacceptable" de voler en temps de guerre : "Tous les voleurs seront arrêtés, mais aussi diffamés et punis." Son message a été relayé sur la page Facebook de la police nationale

De plus, le 21 mars, Vadym Denysenko, conseiller du ministre de l'Intérieur, a indiqué : "Je ne pense pas que ligoter et exposer un maraudeur soit considéré comme sauvage en période de guerre." Il a aussi précisé que la police ne pouvait pas être partout actuellement, et que ce type de châtiment était bien plus dissuasif pour les voleurs que "la menace d’une sanction pénale".

Plusieurs maires ont également menacé les pillards, sans toutefois mentionner explicitement ce type de châtiment. Le 11 mars, Oleksandr Markushyn, le maire d’Irpin, a ainsi indiqué : "Quiconque essaiera de voler un magasin ou une maison à Irpin sera sévèrement puni !" Le 2 mars, Oleksandr Mamai, le maire de Poltava, a lui aussi indiqué que des "punitions sévères" étaient “autorisées” pour les pillards. Fin février, il avait même averti que l’usage des armes était permis contre eux, sous la loi martiale. 

D’autres maires ont d’ailleurs également déclaré que les pilleurs seraient abattus par les forces de sécurité, sans avertissement préalable, comme Vitali Klitschko (Kiev), Sergey Sukhomlin (Jytomyr) et Pavel Kuzmenko (Akhtyrka). 

Que prévoit la loi pour les personnes accusées de pillage ? 

Début mars, le Parlement ukrainien a modifié le Code pénal, afin de durcir les peines de prison prévues en cas de vol sous la loi martiale. Il a justifié cette mesure en indiquant que les pillages s’étaient "généralisés" dans le pays, et que la faiblesse des sanctions pénales poussait les citoyens à "rendre justice" eux-mêmes. Toutefois, cette modification ne permet en aucun cas d'abattre les voleurs.

Interrogée par notre rédaction, Tetiana Pechonchyk, à la tête de ZMINA, une ONG de défense des droits de l’Homme ukrainienne, a indiqué : "Il est légal pour les citoyens de retenir et d’immobiliser des pillards potentiels avant l’arrivée de la police. Mais les mauvais traitements et la torture sont illégaux, même sous la loi martiale." Dans un communiqué publié par ZMINA et d’autres ONG, il est précisé : "Les tentatives des communautés locales d’arrêter elles-mêmes les criminels sont compréhensibles, mais ils doivent immédiatement être remis aux forces de l’ordre."

Le fait d’attacher une personne à un poteau pour la punir - quelle qu’en soit la raison - n’est pas nouveau en Ukraine en période de crise : sur Internet, ce type d’images est visible depuis 2014 au moins. Par exemple, ce chef de douane avait été puni de cette façon après avoir été accusé de corruption, en février 2014, dans l’oblast de Transcarpatie. Autre exemple : cette femme, Iryna Dovhan, punie par des séparatistes pro-russes à Donetsk, en août 2014, car elle soutenait l’armée ukrainienne.

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