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Lesia Vasylenko : «Poutine a volé l’enfance de millions d’Ukrainiens»

Lesia Vasylenko
Lesia Vasylenko à Londres, le 17 mars 2022. © Geoff Pugh/Shutterstock/SIPA
Interview Kahina Sekkai , Mis à jour le

Élue du parti Holos à la Rada, le Parlement ukrainien, Lesia Vasylenko siège toujours. La jeune femme, avocate de formation, a pu mettre ses trois enfants à l’abri au début de la guerre, mais n’a pas quitté Kiev : «Moi je vais très bien puisque je suis vivante, j’ai de la nourriture, de l’eau et je sais que mes enfants sont sains et saufs». Près de 50 jours après le début de la guerre, elle évoque l’actualité ukrainienne pour Paris Match.

Paris Match. La Rada continue de siéger. Comment se passe la situation dans l’hémicycle ?
Lesia Vasylenko. C’est beaucoup plus calme : ce qui était anormal il y a 40 jours est devenu une nouvelle réalité. La première fois que nous avons été réunis à la Rada, il y avait beaucoup d’émotion quand nous avons voté sur l’état de guerre. La deuxième fois, nous étions inquiets, tout le monde pensait que c’était une folie et irresponsable, on savait que le bâtiment du Parlement était un des plus visés par la force russe. Mais au troisième, quatrième jour, c’était devenu normal. On se réunit dans les semaines à venir, on est tous très calmes. Entre parlementaires, on attend avec impatience ces réunions car elles nous permettent de revoir nos collègues, d’être entre nous à la même place, d’échanger sur ce qui se passe dans les différentes régions ukrainiennes. C’est une énorme forme de soutien pour tous les parlementaires.

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Comment les élus des régions les plus touchées, notamment dans l’est du pays, vivent-ils cette guerre ?
Ils ne restent pas sur place. Dès le premier jour de la guerre, nous avons été prévenus qu’il était plus prudent de ne pas rester dans nos appartements respectifs. Depuis 44 jours, je n’ai passé aucune nuit dans mon propre appartement, c’est la même chose pour les parlementaires des régions de l’est. Ils sont à Kiev, ils savent que même pour faire des aller-retour, c’est presque impossible. Ils restent au centre du pays à Kiev, ou dans l’ouest, d’où ils peuvent organiser des convois humanitaires qui arrivent dans leurs circonscriptions.

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Il y a une unité de tous les élus, peu importe leur parti ?
Oui et cette unité est très impressionnante pour le Parlement européen et la classe politique ukrainienne.

Les élus de la Rada votent la loi sur l'état d'urgence, le 23 février 2022.
Les élus de la Rada votent la loi sur l'état d'urgence, le 23 février 2022. © Hennadii Minchenko/SIPA

La guerre a commencé en 2014. Pensiez-vous arriver à une situation aussi grave un jour ?
On était prévenus par plusieurs partenaires internationaux que cette aggravation et escalade militaires étaient à prévoir. Mais cela fait huit ans qu’on le vivait, qu’on voyait des formations russes tout au long de l’Ukraine et rien ne se passait, on ne voulait pas y croire. J’y pensais beaucoup, mais même si on avait pris ces informations au sérieux, que devait-on faire ? Les attaquer avant qu’ils nous attaquent ? Nous n’avions pas les armements pour contrer. Évacuer les gens ? Vous voyez que toute l’Ukraine a été frappée, où pouvait-on envoyer tous ces habitants ? En plus, la Russie aurait utilisé cela et frappé les villes et les endroits avec une grande concentration de réfugiés. Parler à nos voisins, pour qu’ils prennent des réfugiés ? Personne ne l’aurait fait puisqu’il n’y avait pas de danger…

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Quelles mesures appelez-vous la communauté internationale à prendre ?
Nous avons toujours besoin des sanctions, qui doivent être renforcées et poursuivies jusqu’à la fin de l’agression et que tous les soldats russes aient quitté le territoire ukrainien, et encore quelques temps après, une période d’essai pour être sûrs que les Russes ne reviendront pas en Ukraine. Pour les sanctions, je pense à un embargo total sur le réseau énergétique en provenance de la Russie : le pétrole, le gaz, le charbon. On devrait aussi parler du débranchement de toutes les banques russes du système SWIFT, et pas seulement les plus grandes : cela donne les moyens de trouver comment contourner ces sanctions. On doit toujours viser les oligarques russes et leur argent , on a déjà des sanctions qui gèlent leurs comptes et leurs maisons à l’étranger, mais ce n’est pas assez car ils utilisent leurs familles et leurs proches pour dissimuler leurs biens. C’est la voie de la guerre économique, puisqu’on a besoin d’affaiblir la Russie de l’intérieur. Mais l’autre voie est la voie militaire : l’armée ukrainienne doit être renforcée. Nous avons besoin de plus d’armes et d’armements. On est en train de combattre la plus grande armée en Europe, ce que nous recevons n’est pas suffisant. On a besoin de fournir notre armée avec des matériels performants pour qu’elle puisse combattre en limitant ses pertes. Nous avons besoin de ce soutien international.

Pensez-vous que la découverte des civils tués à Boutcha, des images qui ont marqué à travers le monde , marque un tournant dans la guerre ?
Je l’espère. Quand j’étais en France la semaine dernière, nous avons vu le président Macron et je lui ai spécifiquement demandé de ne pas arrêter les sanctions jusqu’à ce que le dernier soldat russe ait quitté le territoire ukrainien. Il m’a répondu qu’il comprenait très bien, qu’il faisait tout son possible et que tout devait être fait pour que le monde continue de parler de l’Ukraine, que l’Ukraine ne tombe pas dans l’oubli. Les Russes ne donnent pas la possibilité au monde d’oublier l’Ukraine, avec de telles preuves de crimes de guerre. Nous avons vu Boutcha, Irpin et les environs de Kiev, il y a désormais le nouveau crime de guerre lorsque les Russes ont visé la gare de Kramatorsk , où se trouvaient des centaines de personnes, des femmes, des hommes, des personnes âgées, qui voulaient quitter la ville. On sait déjà que c’était une frappe délibérée, ils savaient que c’étaient des civils et n’ont aucune excuse de dire qu’il s’agissait de militaires.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Boutcha, le 4 avril 2022.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Boutcha, le 4 avril 2022. © Efrem Lukatsky/AP/SIPA

Vous êtes restée à Kiev, mettant vos enfants à l’abri loin de la capitale. Comment vivez-vous cette situation ?
J’ai des nouvelles, je peux parfois les voir mais ce n’est pas la même chose. Il y a de nombreuses familles séparées et la mienne en fait partie. Le pire est que Poutine a volé l’enfance de millions d’enfants ukrainiens : personne ne pourra compenser cela. Le niveau de stress, d’inquiétude avec lesquels les enfants ukrainiens grandissent aura des conséquences dans le futur et on ne peut rien y faire, c’est déjà fait. J’en suis navrée car en tant que mère, je voulais donner le meilleur du monde à mes enfants mais ce sont des conditions hors de mon contrôle. J’ai mon travail de parlementaire, j’ai des responsabilités envers le peuple ukrainien et je ne peux pas toujours être avec eux. Ils ont déjà le privilège d’être sains et saufs, à l’abri, de ne pas entendre les bruits de guerre, mais c’est tout ce que je peux leur offrir. Je ne peux pas leur offrir une vie avec leur maman.

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Vous avez créé une organisation qui vient en aide aux Ukrainiens de l’est et aux vétérans de cette guerre…
Je l’ai créée en 2014, au début de la guerre, lorsque j’étais volontaire dans les hôpitaux militaires. Et puisque je suis juriste, je leur ai ensuite donné des conseils sur comment faire pour avoir les aides sociales de l’État. Cette organisation existe toujours et je suis très fière que l’équipe que j’ai formée travaille toujours et désormais avec l’armée.

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