Quels sont les objectifs à tenir pour éviter que le réchauffement de la Terre n’atteigne des niveaux catastrophiques ?
Aujourd’hui, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne sont pas dans une trajectoire compatible avec les objectifs qui visent à stabiliser l’augmentation de la température du globe en dessous de 2 °C. On a déjà atteint une hausse de + 1,1 °C (par rapport à l’ère préindustrielle). Le rapport montre que seules des réductions immédiates et soutenues de ces émissions sont à même de nous permettre d’atteindre ces trajectoires. Pour une hausse limitée à + 1,5 °C, il s’agit de diviser par deux les émissions mondiales d’ici à 2030 et d’atteindre le zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050. Pour tenir les 2 °C, la réduction doit être de - 20 à - 30 % d’ici à 2030 et le zéro émission de CO2 visé à l’horizon 2070.
Court-on vers un désastre écologique si l’on reste sur la trajectoire actuelle ?
L’état des connaissances actuelles n’est pas de dire : il y a un seuil en dessous duquel tout va bien et au-delà duquel, rien ne va plus. Dans notre situation actuelle à + 1,1 °C, on constate déjà des effets négatifs dans toutes les régions du monde, sur la production agricole, avec des événements extrêmes - canicules, précipitations, sécheresses - plus fréquents, plus intenses et plus longs. Ils ont des effets en cascade sur les écosystèmes et les sociétés humaines, sur notre santé, nos économies, etc.
Chaque fraction de degré en plus est synonyme de risques supplémentaires, car plus on avance en température, plus les effets sont complexes, avec des événements extrêmes combinés. On se rapproche des limites à l’adaptation. C’est précisément pour cela qu’on a besoin de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour ne pas les atteindre.
Faudra-t-il laisser les gisements connus d’énergie fossile à moitié pleins pour limiter le réchauffement climatique ?
Le rapport du Giec est extrêmement clair : on connaît trop d’énergies fossiles par rapport à ce qu’on peut brûler pour rester sur des trajectoires compatibles. Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, l’utilisation de charbon doit être divisée par trois, par rapport à aujourd’hui. Il s’agit de réductions faramineuses qui posent la question d’une transition juste : comment des territoires dépendants des énergies fossiles peuvent faire cette transition et comment une solidarité internationale peut jouer.
Les pays producteurs de pétrole et de gaz accepteront-ils de faire une croix sur cette manne estimée à des milliers de milliards de dollars qui dort dans leur sous-sol ?
Cette question n’est pas vraiment l’objet du rapport. Il montre que nos infrastructures, nos sociétés, nos économies sont dépendantes des énergies fossiles dans les façons dont on se déplace, se loge, se chauffe, produit, consomme. Il met en évidence que des réductions de gaz à effet de serre nécessitent des transformations dans tous ces secteurs et que c’est une question pour l’ensemble des régions du monde.
Faudra-t-il compter sur des solutions technologiques comme le captage de C02 pour tenir les objectifs ?
Un message fort du rapport est de dire qu’il existe, dès aujourd’hui, des options disponibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mises en œuvre collectivement, elles permettraient de les diviser par deux d’ici à 2030, pour un coût raisonnable. Il s’agit d’options technologiques comme les panneaux solaires et les voitures électriques. Mais pas seulement. C’est aussi une question de transformation des modes de production et de consommation, afin d’éviter d’avoir beaucoup recours au transport de marchandises, en repensant les chaînes d’approvisionnement. Mais aussi pour avoir des biens plus durables, réparables et recyclables. Parmi les autres options mobilisables tout de suite : il y a celle de repenser nos infrastructures de ville et notre urbanisme pour un accès aux services d’éducation, de santé, aux commerces et aux lieux de travail dans des distances plus courtes, avec la possibilité d’utiliser davantage les transports en commun ou des modes de déplacement doux, le vélo et la marche.
« Une chose est très claire, il est nécessaire de décarboner la production d’électricité, pour atteindre les objectifs fixés. »
Les ambitions affichées par les États, dont la France, pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sont-elles suffisantes ? Ou doivent-elles être nettement renforcées ?
Parmi les 18 000 articles étudiés dans ce rapport du Giec, plusieurs évaluent le niveau auquel nous amènerait la poursuite des politiques déjà en place dans les pays, à l’horizon 2030. On irait grosso modo vers une stabilisation des émissions au niveau actuel, trop hautes par rapport aux trajectoires compatibles avec + 1,5 °C ou + 2 °C. Le rapport évalue aussi les contributions des pays, dans le cadre de l’accord de Paris. Elles font un peu mieux que les politiques déjà en place mais restent au-dessus des objectifs d’émission pour être sur des trajectoires compatibles.
Le nucléaire fait-il partie de la solution ou peut-on s’en passer, sans coûts excessifs ?
Ce type de recommandations est laissé au débat public et aux politiques. Mais une chose est très claire, il est nécessaire de décarboner la production d’électricité, pour atteindre les objectifs fixés. Les options qui le permettent passent par les énergies renouvelables. Le nucléaire est également évalué. Ce qui ressort dans le résumé du rapport du Giec à destination des décideurs est, qu’à l’horizon 2030, le solaire et l’éolien ont un potentiel plus grand à l’échelle mondiale que celui du nucléaire en matière de vitesse de déploiement. Les options sont ensuite à adapter en fonction des contextes de chaque pays.
« Il y a besoin de politiques publiques ambitieuses à toutes les échelles, des communes jusqu’à l’international. »
Comment inciter les Français à modifier leur comportement et réduire leurs consommations, leurs déplacements ?
L’état des connaissances actuelles montre que des petits gestes individuels, aussi vertueux soient-ils, ne sont pas suffisants. Ces choix individuels font partie de la solution mais ils sont plus efficaces dans le cadre d’une action collective. Il y a aussi besoin de politiques publiques ambitieuses à toutes les échelles, des communes jusqu’à l’international. Le rapport montre que ces politiques ont davantage de chances d’être efficaces et justes si, dans leur conception, elles impliquent tous les acteurs sociaux concernés, les citoyens, la société civile, les entreprises, les syndicats, etc.
La baisse du PIB mondial et la décroissance sont-elles un phénomène inéluctable si l’on cherche à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?
Les deux derniers rapports du Giec indiquent qu’agir aujourd’hui pour réduire les émissions de gaz à effet de serre est un investissement rentable sur le long terme. Il permet d’éviter les effets les plus graves du changement climatique, qui auraient des conséquences très importantes sur nos sociétés et notre économie. Le coût de l’action est inférieur à celui de l’inaction.
Le rapport ne tranche pas sur cette question de l’évolution du PIB mondial mais il met clairement en évidence qu’il est possible de concilier réduction des émissions de gaz à effet de serre avec les autres objectifs de développement, d’éradication de la pauvreté, de la faim, d’accès à l’énergie, à l’eau, à la santé, etc. Si on n’agit pas pour limiter le changement climatique, le changement climatique, lui-même, menace ces objectifs-là.
Beaucoup d’observateurs estiment que les questions environnementales et de changement climatique ont été quasi absentes de la campagne présidentielle. Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord. On est quand même dans une situation alarmante, les risques sont grands. Le changement climatique est un sujet qui va déterminer notre avenir commun. Or, ça fait partie de la responsabilité des politiques de préparer ce futur pour qu’il soit aussi bon que possible.
Le film « Don’t look up » illustre le manque d’attention portée par nombre de médias et de politiques sur les questions scientifiques, comme le réchauffement climatique. Depuis la publication de votre rapport, lundi, ressentez-vous aussi cela ?
Il y a une chose qu’on déplore en tant que scientifiques qui travaillent sur le climat et qui vaut aussi pour ceux qui sont spécialistes de la biodiversité : ce sont des sujets traités de façon très ponctuelle. Il faut qu’on écrive des rapports de 3 000 pages pour qu’on en parle, alors que, finalement, ce sont des sujets visibles partout où l’on regarde, qu’il s’agisse de transport, de logements, d’alimentation, d’inégalités. Il est dommage qu’on n’arrive pas, dans les médias et le débat public, à un traitement plus transversal et continu de cette question-là.
Pour le dernier volet du rapport, on manque encore un peu de recul. J’ai tout de même l’impression qu’il reçoit un peu plus d’attention que les précédents, qui sont sortis dans des contextes parfois tendus comme celui du 28 février (quatre jours après le début de la guerre en Ukraine).
Contrairement à Don’t look up, on a, là, avec ce troisième volet, un document qui montre qu’il y a des solutions, qu’elles existent et qu’il s’agit juste de les mettre en œuvre. Il ne s’agit pas de technologies qu’il faudrait développer pour dans trente ans.
Vous travaillez sur ces sujets climatiques depuis Paris mais votre nom, Guivarch, fleure bon la Bretagne. Quel est votre rapport avec la région ?
Je suis née à Rennes où j’ai passé les deux premières années de ma vie. J’ai ensuite vécu à Saint-Brieuc et dans sa proche banlieue jusqu’à mes 18 ans. Après le bac, j’ai passé deux années en prépa scientifique au lycée Chateaubriand, à Rennes, puis j’ai poursuivi mes études à Paris. Toute ma famille est en Bretagne et j’y reviens régulièrement. Mon grand-père paternel, Armand Guivarch, était d’ailleurs typographe au Télégramme, à Morlaix (29) !
J’ai vu que la Région Bretagne avait installé un Haut conseil breton pour le climat pour s’interroger sur ces questions-là. C’est une démarche intéressante. Si elle peut impliquer le plus largement possible les Bretons, elle pourrait déboucher sur des choses utiles.