La différence de teinte a sauté aux yeux des conservateurs de l'Art Institute of Chicago lorsque le tableau Madame Léon Clapisson, peint par Auguste Renoir en 1883, a été sorti de son cadre pour une inspection il y a quelques années : les couleurs de l'arrière-plan, sur la partie de la toile cachée par l'encadrement, étaient beaucoup plus vives que sur la partie exposée à la lumière. « C'est vraiment frappant, témoigne Francesca Casadio, l'une des scientifiques, dans le New York Times. C'est un violet presque écarlate. »
Il y a quatre ans, à l'occasion de la création d'un catalogue numérique de son fonds Renoir, le musée a pu réaliser une batterie de tests sur la toile afin d'identifier la nature exacte de l'altération. L'observation au microscope a d'abord révélé que la différence de couleur n'était pas un choix de l'artiste ou le résultat d'un nettoyage malencontreux qui aurait retiré une couche de vernis. « Il était clair qu'il s'agissait de la peinture d'origine, explique Kelly Keegan, l'une des conservatrices. On peut voir que certaines particules, à la surface, sont devenues translucides. » A contrario, sur les bords, ces mêmes particules n'ont pas perdu leur pigmentation.
CARMIN DE COCHENILLE
Pour déterminer l'origine du pigment manquant, les scientifiques du musée ont utilisé une technologie de pointe, une spectroscopie Raman exaltée de surface, sur un minuscule échantillon de couleur rouge prélevé en bordure de la toile. Et le mystère a été dissipé : il s'agit de carmin de cochenille, conçu à partir de cet insecte vivant sur les cactus, une couleur qui résiste mal à la lumière. « Je pense que les artistes de l'époque n'imaginaient pas que ces couleurs pourraient complètement disparaître », indique Francesca Casadio.
Le musée n'envisage pas de restituer les teintes d'origine au portrait, mais a reconstitué l'image grâce à un logiciel, faisant apparaître les gris, bleus et verts de l'arrière plan dans des teintes plus chaudes et vibrantes de rouge et de violet. « C'est très étrange, vous avez l'impression de connaître un artiste, et la science vous révèle quelque chose de différent », analyse Gloria Gloom, l'une des conservatrices. Car si ces modifications ne touchent pas les couleurs du visage de Madame Clapisson, femme de l'un des riches clients du peintre, elles en changent la perception : « Cela fait ressortir le teint rose de sa chair, assure Kelly Keegan. Ça la rajeunit. »
AUTRE PORTRAIT, AUTRE FOND ROUGE... RÉSISTANT
La découverte a par ailleurs soulevé une nouvelle interrogation : un an après avoir peint ce portrait, Renoir réalisait celui d'un jeune garçon, Portrait de Paul Haviland, aujourd'hui possédé par le Nelson-Atkins Museum of Art, à Kansas City. Or, ce tableau a un arrière-plan dans les tons rouges qui a, lui, résisté au temps. Est-ce qu'entre-temps, le peintre avait abandonné le carmin de cochenille au profit d'un autre pigment, ou bien ce portrait a-t-il été mieux protégé, d'une manière ou d'une autre ?
La question ne laisse pas le musée indifférent : « Nous avons hâte de pouvoir contribuer à cette discussion sur les pigments disparus et sur la palette de Renoir », assure Mary Schafer, conservatrice au Nelson-Atkins Museum of Art.
En attendant, le long travail scientifique sur le Portrait de Madame Léon Clapisson fait l'objet d'une exposition jusqu'au dimanche 27 avril à l'Art Institute de Chicago.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu