Cancer du sein : et si le tatouage était devenu un outil thérapeutique à part entière ?

Avec son association Sœurs d’encre, elle permet aux femmes rescapées du cancer de se faire tatouer après une mastectomie.

Publié le |Mis à jour le |Pour information, cet article a été écrit il y a 2 ans.

Chaque tatouage a son histoire. Marquer sa chaire à vie n’est évidemment pas sans conséquences. Pour les femmes qui ont connu le cancer et l’ablation d’un ou des deux seins, ce geste est encore plus fort. Non seulement il ne se décide pas à la légère et doit être réalisé en accord avec le protocole médical en place, mais c’est aussi et surtout une façon pour elles de clore un chapitre douloureux. De se réapproprier leurs corps. Et souvent, de réinventer leur féminité, explique Nathalie Kaïd, photographe plasticienne et fondatrice de l’association Sœurs d’encre. Depuis 2016, cette femme passionnée par le tatouage facilite l’accès des femmes survivantes du cancer à cet art de l’aiguille. Car l’intervention est coûteuse, plusieurs centaines d’euros en moyenne pour une pièce de grande taille.

Avec Sœurs d’encre, elle réunit des tatoueuses professionnelles formées à l’art délicat du tatouage sur cicatrice pour “redonner de l’énergie” à ces femmes touchées par la maladie. Depuis la création de l’association, près de 300 femmes ont pu recevoir gracieusement un tatouage de la part de l’une des soixante professionnelles recensées par l’association.

Sur les corps meurtris s’épanouissent désormais de belles fleurs, comme pour remettre de la vie là où la maladie est passée. Dans son livre, S’aimer Tatouée, Nathalie Kaïd révèle ces corps ressuscités. Rencontre.

Avec la mastectomie, il faut faire le deuil de son sein. En mettant un tatouage à la place, cela permet de se réapproprier cette partie du corps. Le titre de mon livre S’aimer tatouée résume vraiment tout ça…

Comment vous est venue l’envie de créer l’association Sœurs d’encre ?

J’ai commencé à me faire tatouer il y a une dizaine d’années. J’avais alors 47 ans. L’impact que ça a eu sur mon rapport à mon corps a été tel que j’ai voulu en savoir plus sur toutes ces femmes qui faisaient le choix de se faire tatouer. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de réaliser un livre de photo-témoignages intitulé S’aimer tatouée. Le projet a duré trois ans et demi. Il compile des portraits photo de corps tatoués, accompagnés de témoignages de femmes qui sont passées sous l’aiguille d’un ou d’une tatoueuse.

Dans le même temps, je gardais encore le souvenir de femmes survivantes de cancers du sein que j’avais photographiées lors d’une exposition à Bordeaux en 2010 sur la poitrine féminine. Leurs corps, marqués dans la chair, m’avaient frappée et je me suis dit qu’elles, plus que quiconque, pourraient profiter de tous les bénéfices que le tatouage peut avoir sur le rapport au corps. 

J’ai alors décidé de contacter les tatoueuses rencontrées lors de la réalisation de mon livre pour leur demander si elles seraient capables de tatouer des cicatrices. J’ai également contacté la Maison Rose à Bordeaux, montée par l’association Rose Up qui accompagne les femmes touchées par le cancer. Ensemble nous avons monté un événement autour du tatouage au mois d’octobre 2016 (ndlr : mois de sensibilisation au cancer et au dépistage). Sept tatoueuses, dont certaines étaient déjà spécialisées dans le travail autour des cicatrices et des brûlures, se sont jointes au projet. L’événement fut très fort en émotions. De nombreuses femmes tatouées lors de cette journée se sont relevées de la table en pleurant de joie. L’une d’elles est partie en me disant : “c’est super, maintenant on est sœurs d’encre”. J’ai trouvé ça super beau et ça m’a donné envie de créer l’association l’année suivante pour pouvoir proposer davantage d’événements de ce genre.

Tatouage : Caroline Escafit

Quel est l’objectif de l’association Sœurs d’encre ?

Il y a deux objectifs. L’association est spécialisée dans le tatouage sur cicatrice, toutes les cicatrices, et plus particulièrement celles post-cancer du sein. Depuis six ans, nous sélectionnons des tatoueuses qui mettent leur art au service des femmes touchées par la maladie. Une fois par an, nous organisons l’événement Rose Tattoo au cours duquel les professionnelles tatouent gracieusement des femmes touchées par la maladie. L’événement à lieu dans plusieurs villes de France : Bordeaux, Paris, Colmar, Clermont-Ferrand. Les tatoueuses qui s’engagent avec nous suivent une formation d’information médicale et technique avec une chirurgienne et un oncologue. On offre donc ces tatouages une fois par an et le reste du temps, on collecte des fonds pour offrir d’autres tatouages au cours de l’année sur d’autres cicatrices (maladie ou accident).

L’autre objectif de l’association est de favoriser la réinsertion professionnelle de ces femmes. Car la maladie isole socialement et précarise énormément. Depuis deux ans, ce programme baptisé “Et après ?” accompagne ces femmes éloignées de l’emploi pendant plusieurs années à cause de la maladie. On les suit pendant trois, six ou neuf mois pour qu’elles puissent retrouver le chemin de l’emploi.

Se faire tatouer après des traitements contre le cancer est-il sans danger ?

Depuis le début, on travaille avec des professionnels du monde médical : chirurgiens, oncologues, radiologues qui ont cautionné notre association. Ils répondent à de nombreuses interrogations médicales qui pourraient empêcher le tatouage. Avec l’association, nous veillons à ce que le tatouage n’empiète pas sur la santé des patientes. On étudie donc leur protocole de traitement en amont, et en cas de doute, on demande l’avis d’un ou d’une experte. On demande quoi qu’il arrive un certificat médical de suivi de la personne que l’on va tatouer.

Tatouage : Laurette Salvador

Avec l’ensemble du corps médical, nous avons également travaillé main dans la main pour définir des points de vigilance. Il est par exemple important que le tatouage ne perturbe pas la deuxième chirurgie (changement de prothèse) ou le suivi de la patiente. En effet, selon les appareils, un tatouage mal placé pourrait perturber le dépistage d’une nouvelle tumeur.

Peut-on penser le tatouage comme un outil thérapeutique ?

Oui, j’en suis convaincue ! D’ailleurs, cette année, nous avons mis en place un partenariat expérimental avec la CPAM de Gironde, sous condition de ressources. C’est une grande victoire pour nous de faire reconnaître le tatouage artistique comme outil thérapeutique. Pour y avoir accès, il faut que la personne habite en Gironde, mais elle peut aller se faire tatouer chez l’une de nos tatoueuses n’importe où en France. On monte ensemble un dossier et si ses conditions de ressources peuvent passer auprès de la CPAM, le tatouage peut être réalisé et remboursé directement à la tatoueuse. C’était très important pour nous que la personne tatouée n’ait rien à avancer car bien souvent la maladie précarise.

En plus de cette grande nouveauté, nous avons été référencés comme soin oncologique de support par l’AFSOS, l’association francophone des soins oncologiques de support, en 2019. Ces derniers regroupent tous les soins qui vont accompagner la patiente dans son parcours hors médical : socio-esthétique, yoga adapté etc. L’an dernier, nous avons également reçu le prix qualité de vie remis par l’association Ruban rose qui finance la recherche. 

Quelle est la marche à suivre pour les femmes qui aimeraient se faire tatouer via votre association ?

C’est très simple, il lui suffit de prendre contact avec nous en expliquant un peu ses problématiques. Puis, Laura Kastel, chargée de mission à l’association, va la contacter ou la diriger vers le site pour découvrir les informations médicales qui peuvent la concerner. Elle va aussi y trouver toutes nos tatoueuses, une soixantaine au total, réparties dans toute la France.

Tatouage : Caroline Escafit

Qu’est-ce que ce tatouage représente pour ces femmes survivantes du cancer ?

De nombreuses femmes nous ont dit que c’était pour elle une façon de mettre un point final à la maladie. Ne plus voir la cicatrice, reprendre confiance, accepter à nouveau de regarder son corps, c’est très fort. Le tatouage permet à certaines de reprendre une vie intime qu’elles avaient pu mettre entre parenthèses pendant la maladie. C’est plutôt chouette ! C’est vraiment une façon de se réapproprier son corps. Ça redonne une énergie. 

On constate également que les femmes qui se sont fait retirer un sein ou les deux, adoptent généralement une posture recroquevillée comme pour protéger la cicatrice. Quand elles se regardent dans la glace avec leur nouveau tatouage, on remarque immédiatement qu’elles bombent le torse. Au niveau postural c’est très important, et niveau estime de soi, ça veut tout dire !

Le tatouage va-t-il permettre d’éviter la reconstruction mammaire ou cela peut-il être complémentaire ?

Il y a plusieurs cas de figure après une mastectomie. Parfois, on va réussir à conserver l’enveloppe du sein pour pratiquer une reconstruction par la suite. En revanche, souvent, on n’a pas pu garder le mamelon et le téton, à la place on observe une cicatrice qui traverse le sein de part en part. De nombreuses femmes décident alors de camoufler la cicatrice avec un tatouage. En optant pour un motif floral on peut par exemple choisir de positionner le pistil au niveau du téton pour redonner une sensation visuelle de téton. Les motifs englobent généralement le sein, parfois jusqu’à l’épaule ou plus bas sous le sein. Cela permet, grâce à un effet de perspective, de redonner une forme harmonieuse et du volume à la poitrine. L’avantage de ces tatouages artistiques est qu’ils durent dans le temps, contrairement aux tatouages qui reproduisent le mamelon et le téton. Il faut généralement les refaire tous les deux ans, en raison de la qualité de ces encres couleur peau.

Tatouage : Laurette Salvador

Mais il y a aussi d’autres femmes qui ont eu une mastectomie sans reconstruction (mastectomie à plat), sans l’avoir choisi. C’est-à-dire que la reconstruction n’a pas fonctionné. Dans ces cas-là, la personne arrive généralement dans un état psychologique très dégradé et se faire tatouer devient quasiment la seule solution pour reprendre possession de son corps et s’aimer à nouveau. 

Enfin, il y a aussi des femmes qui ont opté pour une reconstruction, mais le résultat n’est vraiment pas esthétique. Elles optent donc pour le tatouage pour améliorer la situation, tout simplement.

Avec la mastectomie, il faut faire le deuil de son sein. En mettant un tatouage à la place, cela permet de se réapproprier cette partie du corps. Le titre de mon livre, S’aimer tatouée, résume vraiment tout ça…

Pour en savoir plus sur le travail de l’association Sœurs d’encre et leur apporter votre soutien, rendez-vous sur leur site par ici. Et pour découvrir le livre de Nathalie Kaïd, S’aimer tatouée, aux éditions Véga, c’est par là.

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