Mort de Michel Bouquet, monument du théâtre et du cinéma français, à l’âge de 96 ans : un roi se meurt
Comédien d'exception, fidèle serviteur de Molière et Ionesco, notable préféré de Chabrol, Michel Bouquet a marqué des générations. Il est mort aujourd’hui à 96 ans.
Ses « vrais partenaires », pour lui, étaient les auteurs qu'il relisait et rejouait en fidèle serviteur. Bien avant d'être récompensé, à 70 ans passé, aux Molières et aux Césars, Dieu sait qu'il en a fréquenté de grands. A 96 ans, Michel Bouquet s'éclipse en bon en vieux maître de l'art dramatique français. Un monument dont la longévité professionnelle, sur près de sept décennies, impressionne. Au théâtre il a servi sans faille Molière, Shakespeare, Anouilh, Camus, Bernhard, Ionesco ou Beckett...
Au cinéma il a tourné pour Truffaut, Resnais, Chabrol, en tout une centaine de films, dont beaucoup de téléfilms où son physique austère représente souvent l'autorité, la loi du notable. Sur scène, on se souvient de lui dans Le Roi se meurt de Ionesco, Fin de Partie de Beckett, deux incontournables qu'il a souvent rejoué. Et beaucoup, beaucoup Molière : Harpagon de L'Avare, Argan du Malade Imaginaire, sans oublier Orgon, une dernière fois embobiné par Tartuffe dans la mise en scène de Michel Fau fin 2017 au théâtre de la Porte Saint-Martin. Il y eu aussi l'âpre univers de Thomas Bernhard, Minetti, l'acteur vieillissant, Rudolph Höller, l'ancien officier S.S. de Avant la retraite. Mais encore Macbeth, La Tempête, Gilles de Rais, le Neveu de Rameau de Diderot etc.
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Son chemin de comédien en « page blanche »
Identifié à ses rôles plus que tout autre acteur, Michel Bouquet fit son chemin de comédien en « page blanche » disparaissant derrière ses personnages un jour aimables, un autre antipathiques. De la douceur généreuse à la stricte retenue, sa voix profonde nous a emmené partout, y compris aux camps de la mort quand, dès 1956, il fait la voix off de Nuit et Brouillard, mythique documentaire d'Alain Resnais.
Né en 1925 à Paris, fils d'un officier taiseux souvent au front et d'une modiste aimant emmener ses fils au théâtre, Michel Bouquet est apprenti pâtissier dans Paris occupé quand, en 1943, il décide de s'orienter vers le théâtre. A la faveur d'une rencontre avec Maurice Escande, célèbre sociétaire du Français, ce garçon réservé se forme au conservatoire le pas de Gérard Philippe, au TNP et au festival d'Avignon auprès de Jean Vilar. A Paris, au théâtre de l'Atelier, il côtoie longtemps Jean Anouilh dont il jouera au moins six pièces, plus d'autres contemporains tels Maurice Clavel, Paul Geraldy, Georges Neveux. Il participe à la création de Caligula d'Albert Camus dès 1945, à celle des Justes en 1949, et enfin Les Possédés en 1959.
Au fil des années 60 et 70 il joue aussi bien TS Eliott, John Osborne, Shakespeare et Ionesco, travaille avec Jean-Louis Barrault, Claude Regy, accompagne René de Obadia, Roger Planchon, Samuel Beckett... Fin de partie, Le Roi se meurt et d'autres pièces le poursuivent d'une décennie à l'autre. Dans Les Côtelettes, de Bertrand Blier avec son complice de toujours Philippe Noiret, il joue un vieil emmerdeur. Au théâtre de la Porte Saint-Martin c'est un triomphe, le Molière du meilleur acteur lui revient en 1998. L'année suivante, il incarne le chef d'orchestre Furtwängler dans A Torts et à raison face à Claude Brasseur, rôle qu'il reprendra en 2016, cette fois avec Francis Lombrail, comédien et directeur de l'un de ses théâtres fétiches, l'Hébertot.
« Un phrasé, intelligence des textes »
Au cinéma, Michel Bouquet était un acteur saisissant qui se détachait aussi bien dans des œuvres mineures que des pépites comme ces films de Claude Chabrol, qui l’a fait mari trompé ou beau-père autoritaire face à Stéphane Audran dans La femme infidèle, La Rupture, Juste avant la nuit, etc. Il a tourné avec Jean Grémillon, Abel Gance, Henri Verneuil, et bien sûr François Truffaut (La mariée était en noir avec Jeanne Moreau, La Sirène du Mississipi avec Belmondo et Deneuve), Yves Boisset (Un Condé avec Françoise Fabian, L'Attentat avec Jean Seberg, Trintignant, Piccoli), José Giovanni (Deux hommes dans la ville avec Gabin et Delon), Alain Corneau, Nadine Trintignant…
Il croisera plus tard ceux qui le mèneront aux Césars du meilleur acteur en 2002 et 2006 : Anne Fontaine avec Comment j'ai tué mon père, et Robert Guédiguian, pour qui il devient le président Mitterrand en fin de règne dans Le promeneur du Champs-de-Mars. Dans Villa Caprice, son tout dernier film sorti l’année dernière, il jouait le vieux père acariâtre de Niels Arestrup. Bouleversant. On le verra une ultime fois en juin dans un premier film : Cérémonie secrète, un drame fantastique de Tatiana Becquet-Genel. Un documentaire est aussi annoncé, joliment titré Juste avant la nuit : isolé dans un hôtel face à la mer, Michel Bouquet voit resurgir les œuvres et le pensées des plus grands auteurs qui ont jalonné sa vie et forgé sa pensée.
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« Michel c'est une voix, un phrasé et une intelligence exceptionnelle des textes, c'est un mystique de Molière, un orfèvre » a pu dire Fabrice Luchini. Patrick Chesnais et Claude Brasseur le tenaient pour maître. Ses élèves de conservatoire (Muriel Robin, Anne Consigny, Isabelle Gelinas, Charles Berling) gardent de lui l'œil aigu, l'étincelle chaleureuse, la bienveillance, l'humour. Et la rigueur quand-même. « Sous un abord généreux, calme et gentil, Michel reste un hypersensible, très anxieux, qui a toujours craint ne pas être à la hauteur » disait son épouse, la comédienne Juliette Carré, lors de son ultime retour sur les planches, fin 2017 pour Le Tartuffe de Michel Fau à la Porte Saint-Martin. Pour sa part, Michel Bouquet avait confié au JDD se sentir « fatigué » mais « pas infatigable » non plus. La scène encore ? « Je ne peux pas m'en empêcher. C'est l'admiration pour les grands auteurs qui me fait continuer. Il y a aussi la musique et la peinture mais je ne suis qu'un acteur, le métier réservé aux moins doués des artistes… »
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