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"On a un cadenas sur notre porte": un Français raconte le confinement extrême à Shanghai

Face au rebond du Covid, la ville de Shanghai (Chine) est confinée dans presque tous ses districts de façon extrêmement stricte, causant la révolte de nombreux habitants. Alexandre, un Français habitant Shanghai, décrit pour RMC une situation chaotique et très inquiétante.

La dureté du confinement à Shanghai, de l'intérieur. Alexandre, un Français qui habite dans cette ville tentaculaire aux 27 millions d'habitants. La situation y est totalement chaotique, avec une grande partie de la métropole confinée depuis trois semaines face au rebond du Covid, avec des règles parfois extrêmement strictes selon les quartiers. Une séverité qui conduit certains à se révolter. La Chine poursuit en effet sa stratégie "zéro Covid" et la ville de Shanghai affronte sa plus forte poussée de contaminations depuis le début de la pandémie.

Alexandre raconte en longueur pour RMC un quotidien très anxiogène, marqué notamment par de grosses difficultés pour s'approvisionner en nourriture et en eau dans son immeuble de 18 étages.

"Il y a un cadenas sur la porte d'entrée, on ne peut absolument pas sortir de notre immeuble"

"Nous sommes confinés depuis le 1er avril, mais le district de Pudong (Est) est même confiné depuis le 26 mars. Je vis avec ma copine, il y a une centaine de personnes dans l'immeuble avec au bas plusieurs gardes qui s’occupent des entrées et sorties. Là, en ce moment, c’est plus pour fliquer les arrivées de marchandises et les désinfecter plutôt que pour nous laisser sortir. Il y a un cadenas sur cette porte donc on ne peut absolument pas sortir de notre immeuble. C’est anxiogène, disproportionné par rapport à ce qui se passe. Avoir la porte d’entrée scellée... On se dit qu’il peut y avoir un feu et qu’on ne pourrait pas évacuer."

"Une fois tous les deux jours, des tests PCR sont faits en bas de notre immeuble"

"On ne peut pas sortir et donc tous les matins, on se réveille, les rues sont quasi-désertes, des ambulances passent, les voitures de police... Des voitures passent avec des messages enregistrés pour rassurer la population. Et une fois tous les deux jours, des tests PCR sont faits en bas de notre immeuble. On les fait 10 par 10. Et il se trouve qu’on a eu un cas positif le 6 avril. J’étais dans le groupe de ce test positif. En général, on reçoit les résultats 8 heures après, mais là je n’ai pas reçu ce résultat. Les autorités sont ensuite venues me voir pour me dire qu'il fallait que je refasse des tests et qu’ils allaient sceller ma porte avec une feuille pendant 24 heures. C’est assez anxiogène car je pensais que j’allais être positif. C’était la semaine dernière."

"On avait peur d’être positifs et d’être emmenés dans des camps"

"On ne sait pas trop comment ça se passe au niveau du temps d’incubation. De toute façon, ici, on n’a pas du tout d’informations. On avait peur d’être positifs et d’être emmenés dans des camps où on reste une semaine, une semaine et demie, dans des conditions assez spartiates. On a la chance d’être dans un bel appartement, je connais des gens qui sont dans 15 m², où ils ne peuvent pas spécialement bouger de chez eux. C’est très difficile de sortir dehors, même pour prendre un peu le soleil. C’est assez frustrant et anxiogène."

"On aurait une potentielle date de sortie le 20 avril s'il n’y a pas d’autres cas dans notre bâtiment"

"Cette situation de cas qui augmentent a commencé début mars. On avait été contraints au télétravail et à cinq jours de confinement, puis à un deuxième confinement après… C’est très démoralisant et surtout on a peu d’informations. On se réfère à WeChat, le Facebook chinois. On discute avec des groupes de Français, avec des gens rattachés à l’ambassade et à la CCI qui font un super travail. Mais on n'a aucune information officielle. On lit et parle chinois donc on voit qu’on aurait une potentielle date de sortie le 20 avril si, et seulement si, il n’y a pas d’autres cas dans notre bâtiment. Donc on espère que les tests des voisins seront négatifs."

"L’eau du robinet n’est pas potable à Shanghai"

"Sur le manque de nourriture, il est très flagrant. L’eau aussi. L’eau du robinet n’est pas potable à Shanghai. Le conseil de faire bouillir l’eau pour la boire… Avec tous les métaux lourds et la pollution, ça ne me donne pas très envie. Tout marche par application, par livraison rapide. Habituellement, on se fait livrer par un supermarché en ligne. Mais tout le monde s’est rué dans les supermarchés pour se préparer, aux premiers jours du confinement. On avait une grosse commande mais on n’a jamais été livrés. On a été en rupture d’eau en bouteille et de nourriture assez rapidement."

"C’est assez difficile de manger à sa faim et surtout de boire de l’eau potable"

"Tout est fermé. En moins de 20 minutes, habituellement, on a un fast food qui peut arriver chez soi. Là, on est obligés d’attendre de pouvoir se connecter à l’application. Il y a tellement de monde qui essaye de valider son panier qu’on n’arrive même pas à se connecter à l’application. Après dix jours de labeur, on vient tout juste de savoir qu’on peut faire des commandes groupées via des compagnies habilitées par le gouvernement, mais il faut commander en très gros. Ce sont des 'emergency box' avec du lait, des pâtes, de la nourriture pour survivre. Mais c’est assez difficile de manger à sa faim et surtout de boire de l’eau potable. Dans mon frigo, ça reste sommaire, on a assez pour survivre trois-quatre jours."

"La première semaine de confinement a été très chaotique, le gouvernement de Shanghai n’était pas préparé à ce confinement assez strict. C’est fatigant moralement et psychologiquement. Si jamais on a un cas dans notre bâtiment, tout le monde va malheureusement se reprendre 14 jours de confinement."

"Il n'est pas possible de rester en quarantaine chez soi si on est positif, sans l’accord de tous les voisins"

"Il y a beaucoup de vidéos de Chinois qui se révoltent, bien sûr censurées par l’internet chinois. Avec des Chinois qui se plaignent de ne plus avoir à manger, qui n’arrivent pas à sortir, qui sont laissés dans des conditions pitoyables. Le manque d’information et le manque d’aide, où on vit, est catastrophique. Quand on leur demande quand est-ce qu’on sort, il n’y a aucune information de leur part. Il y a des drones qui parcourent les districts avec un mégaphone qui disent les messages de propagande officiels."

"Il y a eu des enfants positifs séparés de leurs familles. Des articles expliquant pourquoi ont été publiés sur WeChat et il n'est pas possible de rester en quarantaine chez soi si on est positif, sans l’accord de tous les voisins. Les voisins sont assez individualistes donc ne vont pas autoriser les gens positifs à rester chez soi. Nous, on n’aura jamais l’accord de tout l’immeuble si on est positif. On parle avec le consulat si on est positif et prêt à être envoyé dans ces camps. La procédure est de contacter le consul pour se déclarer positif."

"Il y a la peur aussi de voir notre chat euthanasié"

"La peur qu’on a aussi, c’est qu’on a un chat. Si on est positif, c’est pas grave, mais on ne veut pas qu’on vienne nous prendre le chat, car des documents tournent disant qu’ils auraient tous les droits sur notre animal de compagnie. C’est choquant. Il y a la peur de voir notre petite bête euthanasiée."

"Heureusement que nous avons une solidarité formidable entre Français à Shanghai. On est 4.600 Français recensés, on n’a pas pu voter pour le premier tour. On était à 20.000 avant le début du Covid. On ne peut pas voyager en France comme on voudrait. C’est très dur de se dire qu’on ne peut pas rentrer dans ce genre de situations."

J.A. avec Martin Cadoret