Il y a 110 ans, le naufrage du « Titanic » : dans la presse, des faux espoirs aux récits déchirants

Le choc du « Titanic » avec un iceberg, imaginé par un illustrateur de presse

Le choc du « Titanic » avec un iceberg, imaginé par un illustrateur de presse LE PETIT JOURNAL DU 28 AVRIL 1912 / BNF RETRO NEWS

Archives  En 1912, le naufrage du « Titanic » faisait 1 500 morts. Des journaux rapportèrent que les passagers étaient tous sauvés, puis ils firent place aux témoignages. En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF.

Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le « Titanic » coulait au large de Terre-Neuve, après avoir heurté un iceberg. Le naufrage du paquebot lors de son voyage inaugural est resté dans toutes les mémoires : par l’ampleur de la catastrophe d’abord, avec environ 1 500 morts, par les nombreuses failles qu’il révéla - défauts dans les compartiments étanches, canots de sauvetage en nombre insuffisant, évacuation d’urgence mal organisée - et par les représentations qui en ont été faites depuis, la plus célèbre étant le film « Titanic » de James Cameron en 1997 (11 Oscars et un triomphe mondial).

La revue de presse ci-dessous, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France, montre que certains journaux rapportèrent à tort que tous les passagers étaient saufs - en réalité, plus de la moitié périrent. La presse raconta ensuite les circonstances du drame, et publia des témoignages de rescapés. Le naufrage entraîna plusieurs changements dans la sécurité maritime, de l’organisation des secours à la construction de la coque, comme le montrent les articles reproduits ici.

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Aucune photo du naufrage n’existant, les illustrateurs de presse ont été mis à contribution pour le représenter. Exemple avec « le Petit Journal », qui titre cette image de la collision « La perte du plus grand paquebot du monde ». Le dessinateur montre un choc de plein fouet, mais en réalité le navire avait tenté une manœuvre d’évitement en virant à babord (à gauche).

Le Petit Journal, supplément du dimanche du 28 avril 1912 : illustration du choc avec l’iceberg

Fausse nouvelle : tout le monde serait sauvé

C’est un faux espoir pour les proches que donne une partie des journaux, en assurant que tous les passagers étaient sauvés. La presse américaine et anglaise (exemples avec l’« Evening Sun » et le « World ») d’abord, puis des journaux français, écrivent qu’il n’y a pas de victimes.

« Le Petit Journal » titre à la une :

« Le Paquebot “Titanic” de la compagnie anglaise “White Star Line” est entré en collision avec un iceberg près de Terre-Neuve. Les 2.700 personnes qui étaient à bord ont été sauvées. »

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Le Petit Journal, 16 avril 1912

De même « la Dépêche » cite sa source, « une dépêche de New York » : dans une brève en page intérieure :

« Sauvés ! 

Londres, 15 avril - D’après une dépêche de New-York, un radiogramme reçu d’Halifax annonce que tous les passagers du Titanic sont sauvés.

D’autre part, la compagnie à laquelle appartient le Titanic fait savoir que le Virginian a porté secours au Titanic et que la vie des passagers n’est pas en danger. »

« La Dépêche », 16 avril 1912

Le naufrage à la une

La tragique vérité s’impose cependant rapidement, et « Le Journal » titre en une :

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« Le Titanic a coulé par 3,200 mètres de fond

Il y a dix-huit-cents victimes »

Dans ce grand article, le journaliste explique longuement ce qui peut expliquer un tel désastre pour un paquebot dernier cri. Il souligne les défauts de structure des compartiments étanches, et rappelle un manque crucial :

« Il y aurait aussi beaucoup à dire sur l’insuffisance manifeste des moyens de sauvetage à bord du paquebot. On assure que presque toutes les embarcations ont pu être sauvées, et cela est tout à fait normal, puisque la mer était plate et que des navires sont arrivés sur les lieux quelques heures après la catastrophe. [...] Il est difficile d’imaginer que des tous les moyens du bord n’aient pu être utilisés en quatre heures [temps que le bateau aurait mis à couler - en réalité, moins de trois heures]. Donc, s’il est vrai qu’à peine un tiers des passagers et de l’équipage aient pu être sauvés, on doit en conclure que les ressources du navire ne représentaient que le tiers des moyens de sauvetage nécessaires. Il y a là une situation véritablement inadmissible. »
« Le Journal », 17 avril 1912

« Le Petit Parisien » affiche en surtitre « Le plus grand sinistre maritime » (à l’époque, c’est un record, il sera battu plus tard par les 4 000 morts du « Lancastria » en 1940, les 9 340 victimes du « Wilhelm Gustoff » en 1945, et en temps de paix les 4 000 morts du « Doña Paz » en 1987 et les 1 863 victimes du « Joola » en 2002).

Le quotidien titre : « Le “Titanic” en sombrant a entraîné 1.400 victimes ».
Il revient sur le « loupé » antérieur annonçant l’absence de victimes chez les passagers :

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« Comme le Petit Parisien l’a signalé hier, les télégrammes un peu détaillés reçus à la fin de l’après-midi, soit de Montréal, soit d’Halifax, soit de la station de T.S.F. du cap Race à Terre-Neuve, étaient d’accord pour déclarer que tous les passagers avaient été recueillis par les paquebots accourus à leur secours, à savoir : le Parisian, le Carpathia, le Baltic et le Virginian, ce dernier remorquant vers la côte le Titanic. Toutes ces dépêches devaient être la reproduction arrangée du même message. A la vérité, aucun navire n’arriva sur les lieux de la catastrophe en temps utile. Le Carpathia, qui y parvint le premier, ne trouva que les vingt bateaux de sauvetage bondés de femmes et d’enfants et quelques débris du naufrage. Le Titanic avait déjà été englouti avec tous ceux qui étaient restés à bord. »
« Le Petit Parisien », 17 avril 1912

Les témoignages des survivants dans la presse

Les jours suivants, c’est au tour des récits, forcément poignants, des rescapés d’être reproduits dans les journaux.

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« Le Petit Parisien » du 20 avril 1912 cite les témoignages recueillis à New York sous le titre « Les survivants du Titanic font d’effroyables récits » :

« M. Lawrence Beesley, de Londres [monté dans un canot], passager à bord du Titanic [...] : le Titanic resta dans la position debout et pendant peut-être cinq minutes nous vîmes au moins 150 pieds du vaisseau se lever au-dessus du niveau de la mer, droit vers le ciel. Puis dans une plongée oblique, il disparut sous l’eau. [...] Puis le son le plus épouvantable que l’oreille de l’homme ait jamais entendu retentit: c’étaient les cris de centaines de nos semblables luttant dans l’eau glaciale avec l’espoir d’être sauvés, cris qui, nous le sûmes plus tard, ne trouvèrent pas de réponse. Nous désirions vivement aller au secours de ceux qui nageaient, mais nous sentions qu’en le faisant nous aurions fait chavirer notre bateau et nous serions tous morts. [...] Mme Marivin, de New-York, qui faisait son voyage de noces, apprit avec terreur, en arrivant hier à New-York, que son mari n’avait pas été sauvé par les autres paquebots.

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- Quand je suis montée dans le canot de sauvetage, dit-elle, mon mari me cria : ‘Tout va bien, ma chérie. Pars, je resterai.’ Il m’envoya un baiser, et depuis je ne l’ai plus revu.” »
« Le Petit Parisien », 20 avril 1912

« Le Petit Marseillais » consacre en une, le 3 juin 1912, un court article aux musiciens du « Titanic »... et au cynisme de la White Star Line, la compagnie propriétaire du paquebot :

« La mort des héroïques musiciens du Titanic va être l’occasion de nombreux procès. On se souvient de leur admirable courage au moment de la catastrophe : sacrifiant leur vie, ils restèrent à leur poste, jouant jusqu’à la dernière minute et empêchant ainsi la panique de se répandre parmi les passagers. Dans la hâte du départ d’Angleterre, ces humbles héros n’avaient pu signer le livre de règlement de bord et furent, par suite, embarqués sur le Titanic juridiquement au titre de passagers.

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M. Williams, secrétaire général de l’Union des musiciens anglais, agissant au nom de la famille de l’un des disparus, s’était adressé à la White Star Line: il apprit avec stupeur que la compagnie rejetait toutes les réclamations formulées par les familles des musiciens, pour le motif qu’ils ne faisaient pas partie de l’équipage. L’Union des musiciens est, par contre, en possession d’un témoignage de l’aviateur français Maréchal, qui déclare avoir entendu le capitaine donner l’ordre formel aux musiciens de jouer sans relâche jusqu’au dernier moment: elle a l’intention de défendre, en une série de procès, les intérêts des humbles héros qui sont l’honneur de la corporation. »

« Le Petit Marseillais », 3 juin 1912

Commissions d’enquête et nouvelles mesures de sécurité

Si l’ampleur du drame amena immédiatement à s’interroger sur les erreurs pouvant l’expliquer, elle eut ensuite pour conséquence la recherche des responsabilités, puis des réformes améliorant la sécurité maritime.

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« La Petite Gironde » cite, le 22 avril 1912, les travaux que va engager la commission d’enquête du Sénat américain. Le président de la White Star Line, qui était à bord du navire, est fortement attaqué :

« M. Bruce Ismay est l’objet de haines implacables. Il est tenu, malgré ses arguments, pour responsable au premier chef de la catastrophe. Pour expliquer son départ du paquebot, il allègue qu’il n’était qu’un passager volontaire. Mais à l’unanimité ici [l’article indique en en-tête New York, 21 avril] on estime que, comme président de la White Star Line, il se devait de rester auprès du commandant Smith et de ne quitter son poste que le dernier. [...] Le sénateur William Allen Smith, du Michigan, membre de la commission d’enquête, a été interviewé ce matin. Un journaliste lui demande s’il était exact que M. Bruce Ismay eût envoyé trois radio-télégrammes pour enjoindre au steamer “Cedric” de s’arrêter en mer et de prendre à son bord les rescapés appartenant à l’équipage du “Titanic” pour les ramener en Angleterre, afin de les soustraire ainsi aux investigations de la commission américaine. “Le fait est exact, répondit le sénateur Smith: le gouvernement put intercepter ces messages. M. Ismay voulait repartir sans toucher New-York, et c’est pourquoi nous fîmes diligence et empêchâmes cette manoeuvre. Il faudra que nous sachions la vérité entière.” »

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Ismay sera ensuite déclaré exempt de toute faute par la commission d’enquête britannique.

« La Petite Gironde », 22 avril 1912

Vient ensuite le temps des réformes pour éviter la répétition d’un tel drame. « L’Action » du 26 juillet 1912 souligne sous le titre « La leçon du Titanic » que « une entente internationale est nécessaire pour l’adoption d’un nouveau code de la navigation maritime ; c’est le vœu du Congrès de sauvetage ».

Ce congrès (français) organisé par la fédération nationale des sociétés de natation et de sauvetage recommande entre autres une réglementation de la route et de la vitesse des paquebots, ainsi que l’amélioration des embarcations et radeaux et l’augmentation de leur nombre.

« L’Action », 26 juillet 1912

Plusieurs mesures de sécurité seront effectivement adoptées les années suivantes, dont l’augmentation du nombre de canots de sauvetage et la localisation des icebergs par la Patrouille internationale des glaces, créée en 1914.

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