C’est une situation pour le moins inquiétante. Les prix mondiaux des denrées alimentaires ont atteint en mars leurs "plus hauts niveaux jamais enregistrés", a annoncé l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à la mi-avril. En raison de la guerre en Ukraine, qui a considérablement bouleversé les marchés alimentaires mondiaux, le prix du blé, du maïs et de l’huile de tournesol ont bondi de 12,6 %. En février déjà, l’indice de la FAO, qui suit la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier des produits alimentaires de base avait atteint un record depuis sa création en 1990.
(Source : FAO)
Les prix sont notamment tirés par la flambée des céréales, dont l’indice a enregistré un boom de 17,1%. Pour bien comprendre il faut savoir que la Russie et l’Ukraine, respectivement premier et cinquième exportateurs de blé, représentent 30 % de l’approvisionnement mondial. Or, depuis le 24 février, date du début de l’invasion russe, des tonnes de céréales sont restées à quai de ports ukrainiens comme Marioupol, ville bombardée et assiégée par l’armée russe pour sa position stratégique. Cette situation entraîne des répercussions dans le monde entier, particulièrement dans des pays qui importent une grande partie de leur blé d’Ukraine et de Russie. C’est notamment le cas pour l’Égypte, le Liban, la Somalie, le Soudan ou encore le Yemen.
Spéculation des denrées alimentaires
Conséquence du conflit, la famine au Sahel et en Afrique de l'Ouest, pourrait encore s'aggraver et toucher 38,3 millions de personnes d'ici juin faute de mesures appropriées, indique la FAO. "Ce conflit provoque un état de tension qui montre la fragilité de notre système alimentaire mondial. Cela amène un certain nombre de spéculateurs à tirer parti de la situation", explique Olivier Mevel, consultant en stratégie et marketing de la transition alimentaire. "Cela met en danger la sécurité alimentaire mondiale".
Pour atténuer cette crise alimentaire, l’Union européenne a lancé fin mars l’initiative Farm qui vise à maintenir une offre disponible à un prix abordable, en rendant les marchés agricoles plus efficaces et en soutenant la production en Ukraine malgré la guerre. "Les leaders mondiaux, dans les huit à neuf mois à venir, ont un rôle à jouer" pour soutenir les populations vulnérables, et prévenir de toute famine pouvant conduire à une déstabilisation politique, a défendu David Beasley, le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial (PAM).
Une transition alimentaire contrariée
Dans des pays moins vulnérables, comme la France, cette hausse des prix pourrait avoir des répercussions plus détournées. "Dans un contexte de stagflation, c’est-à-dire une combinaison d'une forte hausse des prix et d'une croissance molle et donc une absence de revalorisation de la feuille de paye, les Français vont devoir faire des choix. L’alimentation sera une variable d’ajustement", décrypte Olivier Mevel. "Les Français vont se détourner du haut de gamme comme le bio, le vegan, les produits équitables… pour maintenir le volume de leurs achats tout en dépensant moins. Cette offre de transition alimentaire avait commencé à percer mais les priorités ont changé pour beaucoup, il s’agit de manger pour subsister".
Pour Olivier Mevel, la baisse des ventes des produits bios est un premier signe de ce détournement. Avant même la guerre en Ukraine, les experts observaient une baisse de dynamique avec une chute de 4 % des ventes en bio pour la première fois en 20 ans. Si l’experte RSE et grande distribution Karine Sanouillet évoquait une "rupture de tendance", elle relativisait ce décrochage. "La transition alimentaire est une volonté sociétale qui aura lieu mais elle est aujourd’hui contrariée et il va falloir l’accompagner", prône Olivier Mevel. Le maître de conférences à l’université de Brest propose ainsi la mise en place d’un chèque alimentaire permettant d’éviter que les rangs des millions de personnes faisant la queue devant les Restos du cœur ne viennent encore gonfler.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP