Après avoir été acheté 2,9 millions de dollars, le NFT du premier tweet du fondateur de Twitter est remis aux enchères. Problème : personne ne veut l’acheter. L’offre la plus haute ne dépasse pas 2 ethers, soit 5 000 euros.

C’est une histoire importante dans le monde des NFT, car elle permet de poser quelques rappels nécessaires sur une industrie qui repose à la fois sur une technologie aux potentiels infinis, mais aussi sur énormément de spéculation.

Ce 14 avril 2022, un NFT du premier tweet jamais publié en ligne est en vente : son propriétaire, l’entrepreneur Sina Estavi, espère en tirer 48 millions de dollars. Il l’a acquis pour 2,9 millions l’an passé. En une semaine de mise aux enchères pourtant, Sina Estavi n’a recueilli qu’une vingtaine d’offres, la plus haute de 2 ethers, soit environ 6 000 dollars (5 000 euros). Cela correspond à 0,2 % du montant que le propriétaire a dépensé un an plus tôt pour acquérir ce NFT. Et moitié moins de la somme qu’il espère en obtenir.

Une vingtaine d’offres pour le NFT du premier tweet, bien en dessous de son prix d’achat

Bien qu’à la mode, le terme NFT (pour non fungible token) n’est pas toujours très clair. Pour rappel, il ne s’agit pas d’un objet tangible, mais de la preuve de l’identité numérique d’un objet virtuel. On peut imaginer un NFT comme un jeton d’authentification. Moins abstraitement, il s’agit d’une suite de chiffres, inscrite sur la blockchain (une sorte de livre de comptes où tout est inscrit et stocké publiquement, sans contrôle d’un organe centralisé).

Ce qu’a précisément acheté Sina Estavi en mars dernier, c’est le jeton d’authentification de la capture d’écran du premier tweet de Jack Dorsey. Ne souhaitant visiblement pas le garder très longtemps, il l’a remis en vente le 7 avril en annonçant qu’il verserait 50 % des gains (environ 25 millions de dollars selon lui) à des œuvres caritatives. Dorsey a d’ailleurs répondu avec un message salé : « pourquoi ne pas reverser 99 % de la somme ? », ce que le propriétaire s’est finalement dit prêt à faire si Dorsey « le voulait ».

L'échange ente Estavi et Dorsey
L’échange ente Estavi et Dorsey

Le problème, c’est que le montant obtenu pour l’instant est ridicule par rapport à ce que l’entrepreneur espérait en tirer. En une semaine, la plus haute enchère n’avait même pas dépassé 280 dollars : ce n’est que depuis un article du 13 avril du site Coindesk, qui a repéré cette histoire insolite, que le montant a augmenté jusqu’à 6 000 dollars, avec une deuxième mise aux enchères.

Comment un NFT peut-il passer de 2,9 millions de dollars à 6 000 dollars ? Comme dans le marché de l’art, la valeur d’un objet dépend de nombreux facteurs, dont l’originalité de l’œuvre, son créateur, mais aussi le poids de l’offre et de la demande. Les NFT qui s’arrachent à prix d’or (comme les Bored Apes par exemple) sont par exemple très recherchés parce qu’ils… sont très recherchés. Comme dans les mécanismes boursiers, la valeur d’un actif augmente parfois simplement parce qu’assez de monde croit qu’elle va encore plus augmenter.

D’où vient la valeur d’un NFT ?

Il y a deux jours était organisé à Paris le premier salon entièrement dédié aux NFT : Numerama y a rencontré de très nombreux entrepreneurs (le masculin n’est pas utilisé ici par règle grammaticale ; les NFT sont très majoritairement plébiscités par les hommes) persuadés que les NFT sont « une révolution », formant une large communauté d’autoproclamés « utopistes ».

La technologie d’inscription de données sur la blockchain pourrait permettre, en soi, de très grandes avancées numériques, en matière de sécurité notamment, ou de rémunération des artistes — l’émission Le Meilleur des Mondes sur France Culture, où Numerama tient une chronique hebdomadaire, a d’ailleurs accueilli récemment un artiste qui a vu ses profits décupler depuis qu’il s’est lancé dans les NFT.

Cependant, le milieu regorge encore, pour l’instant, d’individus mus par l’opportunisme et la quête de profit : de nombreuses personnes investissent le milieu des NFT par crainte de louper le prochain virage numérique et de manquer l’occasion de peser dans un web du futur, paradoxalement vanté comme un lieu d’horizontalité. Comme pour le Métaverse, le monde des NFT existe parce que l’on dit qu’il existe. C’est peut-être le début d’une révolution, et peut-être faut-il en passer par de la spéculation et des investissements démesurés dans certains projets superficiels pour qu’émerge, d’ici quelques années, quelque chose de solide et de sérieux. Toujours est-il qu’un jeton virtuel qui s’échangeait 3 millions de dollars vient de perdre 99.8 % de sa valeur en un an, montrant bien combien le futur est encore et toujours une histoire de croyance.


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