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"Priorité nationale" pour le logement social : Marine Le Pen propose une mesure inapplicable
Marine Le Pen : un programme pas toujours très réaliste...
EMMANUEL DUNAND / AFP

"Priorité nationale" pour le logement social : Marine Le Pen propose une mesure inapplicable

Fadaise

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Marine Le Pen souhaite « remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers » afin de mettre en place « la priorité nationale pour les foyers dont au moins l’un des parents est Français ». Une mesure dont l'applicabilité est plus qu'incertaine, sur le plan pratique comme sur le plan du droit.

Les calculs sont pas bons Marine… et les conséquences sociales non plus. Dans sa volonté de flatter les instincts nationalistes, la candidate du Rassemblement national avance une proposition « radicale » en matière de logement : « Instituer une priorité nationale d’accès au logement social. » Soit expulser des locataires étrangers des HLM pour les remplacer par des ménages comptant au moins une personne française. Or, sans même aborder les implications morales d’une telle mesure, sa faisabilité est plus qu’incertaine, sur le plan pratique comme sur le plan du droit.

Comment Marine Le Pen compte-t-elle procéder ? La réponse se trouve dans le livret « famille » de son programme : « La mise en place de la priorité nationale pour les foyers dont au moins l’un des parents est Français permettra de remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers, selon les chiffres de l’Insee pour 2017 », explique le document.

Un chiffre mécaniquement surestimé

Premier problème : le nombre de logements que Marine Le Pen prétend « remettre sur le marché » – en expulsant leurs occupants actuels, donc – est tout à fait discutable. Il est le résultat d’un calcul en effet réalisé à partir de l’étude sur le logement de l’Insee de 2017 (dernière en date), dont les données remontent à 2013. Celle-ci établit qu’11,8 % des locataires du secteur social avaient cette année-là une personne de référence étrangère. Pour aboutir à son chiffre, le Rassemblement national a appliqué cette proportion au parc de logements sociaux français en 2021, soit 5,2 millions de logements, ce qui donne un peu moins de 615.000 logements sociaux « occupés par des étrangers ».

Seulement voilà : Marine Le Pen et son équipe vont un peu trop vite en besogne, dans la mesure où l’Insee ne prend en compte que la « personne de référence » pour comptabiliser les foyers étrangers. Or celle-ci peut tout à fait vivre avec une personne de nationalité française : époux, épouse, concubin, concubine, etc. De sorte que le nombre de foyers qui pourraient tomber sous le coup d’une expulsion en raison de l’application de la « priorité nationale » est mécaniquement moindre que ce qu’avance Marine Le Pen, puisqu’« au moins l’un des parents » sera Français dans de multiples cas.

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A titre indicatif, l’Insee recensait en 2018 4,3 millions de personnes vivant dans un ménage « mixte », c’est-à-dire composé d’une personne née française et d’une née à l’étranger – mais ayant tout à fait pu être naturalisée par la suite. Le nombre de personnes vivant dans un ménage entièrement composé de personnes nées à l’étranger était quant à lui de 5,2 millions. Là encore, ces personnes peuvent tout à fait avoir acquis la nationalité française par la suite.

Le RN semble également oublier que des enfants français vivent dans des foyers dont les deux parents sont étrangers. Bien que Marine Le Pen veuille totalement réformer le droit du sol, ce dernier permet actuellement d’octroyer la nationalité française à un enfant né sur le territoire français dès ses 13 ans, dans le cas de figure le plus précoce. Seraient-ils également concernés par les expulsions ? Rappelons que le préambule de la Constitution de 1946, intégrée dans le bloc de constitutionnalité, « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

« C’est de la pure démagogie »

Avant même de remonter jusqu'à la loi fondamentale, la mesure de Marine Le Pen se heurterait à un obstacle légal évident, comme l’explique Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat (organisation représentative réunissant cinq grandes fédérations d’organismes HLM) : « Les étrangers qui occupent un logement social ont signé un bail. Donc on le remet en question rétroactivement ? Le bailleur ne peut pas résilier un bail en claquant des doigts. C’est un contrat, qui a la valeur juridique qui va avec. »

« On peut s’asseoir sur tout : les contrats, la Constitution, les chartes européennes… mais à ce moment-là, on bascule dans un autre régime », tacle Marianne Louis. Selon elle, la proposition de Marine Le Pen « n’a pas de sens » : « L’attribution des logements sociaux est réservée aux Français, aux Européens et aux étrangers détenteurs d’un titre de séjour long. Il est tout à fait normal qu’il y ait des étrangers dans le parc social : ils assurent leurs obligations sur le territoire national, paient leurs impôts... Pourquoi paieraient-ils des cotisations sociales sans avoir accès aux protections qu’elles confèrent en contrepartie ? »

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Fût-elle acceptée en principe et en droit, à quelle situation aboutirait l’application de la priorité nationale souhaitée par Marine Le Pen ? « C’est de la pure démagogie. Comment procéder en pratique à 620 000 expulsions ? », souligne Marianne Louis. Expulsions qui toucheraient évidemment une population fragile sur le plan économique. Toujours selon l’Insee, 62,6 % des ménages immigrés appartiennent aux trois déciles les plus pauvres de la population, dont 27,8 % dans le décile le plus pauvre. Cette statistique passe à 38,6 % pour les ménages mixtes, dont 13,8 % dans le décile le plus pauvre, à comparer aux 25,7 % de ménages faisant partie des trois premiers déciles pour les non immigrés, dont 7,7 % dans le décile le plus pauvre. Conclusion de Marianne Louis : « Ces expulsés se logeraient en bonne partie auprès de marchands de sommeil. On se dirigerait vers une explosion du mal-logement et vers une explosion sociale. »

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Article mis à jour le 15 avril 2022 à 17 h 30 :

Très mécontent de notre article, Jean-Philippe Tanguy, directeur de campagne adjoint de Marine Le Pen, nous a fait savoir que « remettre rapidement sur le marché » les logements sociaux occupés par des étrangers ne signifiaient pas leur expulsion. « Ça veut dire que lorsque ces logements seront libérés par leurs occupants, ils seront réattribués en priorité aux Français », assure-t-il. Comment seront-ils libérés ? Selon Jean-Philippe Tanguy, à la fois par la sortie du parc social des étrangers occupant les logements sociaux – à un rythme forcément très lent, compte-tenu de la très faible « mobilité » au sein du parc social –, et par l’expulsion du territoire d’étrangers en situation régulière, mais connaissant par exemple une période de chômage. Les étrangers concernés ne seraient donc pas expulsés de leurs HLM, mais de France. Nuance.

Par ailleurs, l’argumentaire de Jean-Philippe Tanguy est contredit par le chiffre avancé par le RN dans son programme. Ce dernier est calculé, comme indiqué dans notre article, à partir du nombre total d’étrangers occupant des logements sociaux en France, et non du nombre d’étrangers sortant du parc locatif social chaque année, ou du nombre d’étrangers occupant un logement social tout en étant au chômage. Par conséquent, de deux choses l’une : soit le RN envisageait effectivement d’expulser les étrangers des logements sociaux, soit le parti de Marine Le Pen avançait cette mesure chiffrée sans avoir prévu les moyens adéquats à sa mise en œuvre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne