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RD Congo : en Ituri, la "psychose totale" après de nouvelles attaques des ADF

Plus d’une trentaine de personnes ont été tuées dans des attaques dimanche 10 et lundi 11 avril en Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Des images montrent des corps étendus sur le bord d’une route près de la ville de Komanda, des maisons incendiées et des centaines de villageois fuyant l’insécurité. Ces attaques ont été menées par des rebelles islamistes d’origine ougandaise - connus sous le nom de Forces démocratiques alliées (ADF) - qui ont prêté allégeance à l’organisation État islamique (EI). Nos Observateurs craignent que les violences asphyxient économiquement la région.

Des échoppes et des maisonnettes ont été incendiées lundi 11 avril non loin du pont traversant la rivière Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Photo envoyée par un Observateur et publiée avec autorisation.
Des échoppes et des maisonnettes ont été incendiées lundi 11 avril non loin du pont traversant la rivière Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Photo envoyée par un Observateur et publiée avec autorisation. © Observateurs
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Les corps sans vie d’une dizaine de personnes ont été découverts lundi 11 avril sur le bord d’une route dans le village de Mangusu, à cinq kilomètres de Komanda, dans la province de l’Ituri. Des vidéos ainsi que des photos, parvenues à notre rédaction et publiées sur les réseaux sociaux, révèlent l’horreur de la scène : certains de ces villageois ont été attaqués à l’arme blanche et ont des cordes autour de la taille. Un homme a encore une machette plantée dans le dos.

Dimanche 10 et lundi 11 avril, plusieurs attaques ont eu lieu non loin de Komanda, sur la route menant à Mambasa, dans la province de l'Ituri, dans l'est de la République démocratique du Congo.
Dimanche 10 et lundi 11 avril, plusieurs attaques ont eu lieu non loin de Komanda, sur la route menant à Mambasa, dans la province de l'Ituri, dans l'est de la République démocratique du Congo. © Studio graphique FMM

Selon le baromètre sécuritaire du Kivu, un groupe de chercheurs présents dans les zones de conflits dans l’est de la RD Congo, ce sont au moins 18 civils qui ont été assassinés lundi 11 avril à Mangusu. Neuf personnes ont également été tuées dans la localité de Shauri Moya la vieille, dimanche 10 avril, et quatre personnes ont été retrouvées mortes près d’un pont, selon un représentant de la Croix-Rouge locale.

Cette série d’attaques a été revendiquée lundi 11 avril par la cellule de communication de l’organisation État islamique (EI), comme le signale sur Twitter Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes. L’EI affirme avoir tué dix civils à Mangusu ainsi qu'un militaire, et avoir incendié des "échoppes tenues par des chrétiens". Dans son communiqué, l’organisation détaille un total de neuf attaques menées contre des chrétiens entre vendredi 8 et lundi 11 avril à Komanda et dans plusieurs villages de l’Ituri ainsi que près de Beni, dans la province voisine du Nord-Kivu.

"On a vu les rebelles débarquer sur le pont Ituri"

Patrick (pseudonyme), qui travaille dans le secteur forestier près de Komanda, a été témoin de l’incursion des rebelles au niveau du pont Ituri le 11 avril et a vu les corps gisant le long de la route à Mangusu. 

Lundi, vers 8 heures du matin, j’ai pris la route depuis le village où je travaille, vers Komanda. Pour rejoindre Komanda, je dois traverser le pont Ituri. C’est là que j’ai pu voir de nombreux déplacés venant dans notre direction. On entendait des coups de feu. On a appris que des rebelles avaient attaqué Mangusu [village situé derrière le pont, NDLR]. On a attendu et vers 10 heures, on a vu les rebelles débarquer sur le pont Ituri. Chacun a pris la fuite. On a entendu des coups de feu. Des maisonnettes ont été brûlées, pour effrayer les gens, au niveau du pont Ituri. Les FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo, NDLR] n’étaient pas là. Nous avons fait demi-tour.

Les rebelles ont semé le désordre pendant près d’une heure au niveau du pont Ituri. Puis ils ont pris une autre route, accessible seulement à pied, et ils ont disparu dans les forêts. Aux alentours de 14 heures, on a repris la route pour Komanda. C’est là qu’on a vu les corps à Mangusu. C’était simplement de paisibles citoyens.

Les corps d'une dizaine de personnes ont été découverts par des habitants de la région dans le village Mangusu, au bord d'une route allant du pont Ituri à Komanda, le lundi 11 avril 2022. Capture d'écran d'une vidéo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24. Les images, choquantes, ont été floutées.
Les corps d'une dizaine de personnes ont été découverts par des habitants de la région dans le village Mangusu, au bord d'une route allant du pont Ituri à Komanda, le lundi 11 avril 2022. Capture d'écran d'une vidéo envoyée à la rédaction des Observateurs de France 24. Les images, choquantes, ont été floutées. © Observateurs

Des images diffusées par l'EI au niveau du pont Ituri

Des images de propagande diffusées par l’EI montrent des rebelles sur le pont traversant la rivière Ituri, sur la route reliant Mambasa à Komanda. C’est sur cette route et près de ce pont que se trouvait notre Observateur Patrick, qui a confirmé à notre rédaction que les images de l’organisation (voir ci-dessous) ont bien été prises sur le pont Ituri et dans les villages à proximité.

Dans l’est de la RDC, l’EI a constitué une partie de sa branche en Afrique centrale (ISCAP) grâce à l’allégeance prêtée à son organisation en 2019 par les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé islamiste d’origine ougandaise.

Les ADF commettent depuis 2014 des exactions d’une extrême violence sur des civils congolais, principalement dans le Nord-Kivu. Cette province et celle de l’Ituri sont placées depuis mai 2021 sous état de siège, une mesure exceptionnelle qui donne plein pouvoir aux militaires et vise à mettre fin à l'activité des groupes armés. La lutte contre les ADF s'est encore intensifiée avec le lancement d'une opération militaire conjointe ougando-congolaise fin novembre 2021. Mais l'insécurité continue de régner.

"C’est la politique de l’envahissement : faire peur aux autochtones et les pousser à laisser leur milieu par force"

Marc (pseudonyme), qui travaille également sur l’axe Mambasa - Komanda, a envoyé à la rédaction des Observateurs de France 24 des images des villages dévastés lundi 11 avril. Il s’inquiète pour l’approvisionnement de la ville de Bunia, chef-lieu de l’Ituri, situé à un peu plus de 70 km au nord de Komanda : 

Les attaques augmentent dans l’Ituri et la population vit dans une psychose totale. Il y a eu un peu d’accalmie en janvier et février, mais ça revient. Dans la zone élargie autour de Komanda, les attaques des ADF durent depuis 2020 et elles avaient lieu surtout en périphérie. À Komanda même, les attaques ont commencé vraiment entre septembre et décembre 2021. 

La montée en puissance de ces attaques semble être liée aux opérations militaires pour les repousser de Beni (Nord-Kivu). Les ADF semblent donc se déverser chez nous, en Ituri. On ne voit pas encore l’effectivité de la mutualisation entre les deux armées, congolaise et ougandaise. Dans la zone de Komanda, il y a seulement les FARDC qui opèrent.

"La population des champs se déplace et les villageois ne peuvent plus travailler"

En novembre et décembre, les attaques ont touché l’axe Beni-Komanda et la population a vidé cette zone. Or, c’était un axe important pour ravitailler la ville de Bunia en produits champêtres et forestiers comme le bois de chauffe et le charbon. La route Mambasa-Komanda est alors devenue l’axe principal de ravitaillement de Bunia. Mais après les dernières attaques, la population des champs se déplace et les villageois ne peuvent plus se donner à leurs activités champêtres.

Peut-être les ADF veulent-ils couper la ville de Bunia de ses axes d’approvisionnement ? Ce que je comprends de ces attaques, c’est la politique de l’envahissement : faire peur aux autochtones et les pousser à laisser leur milieu par force.

De nombreuses familles ont quitté lundi 11 avril les villages situés près du pont Ituri pour se diriger plus à l'ouest vers Mambasa. Photo envoyée par un Observateur et publiée avec autorisation.
De nombreuses familles ont quitté lundi 11 avril les villages situés près du pont Ituri pour se diriger plus à l'ouest vers Mambasa. Photo envoyée par un Observateur et publiée avec autorisation. © Observateurs

Les ADF, apparues en Ouganda en 1995, sont aujourd’hui considérées comme le groupe armé le plus meurtrier de l’est de la République démocratique du Congo. Depuis 2019, certaines de leurs attaques sont revendiquées par l’EI, et les ADF renouvellent régulièrement, vidéo à l'appui, leur allégeance à l’organisation.

Au mois de mars, 52 personnes avaient déjà été tuées dans des attaques attribuées aux ADF contre plusieurs villages de l'Ituri. Le 25 décembre 2021, à Beni, dans le Nord-Kivu, un kamikaze a fait exploser sa bombe dans un restaurant où plus d’une trentaine de personnes célébraient Noël, six sont mortes.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : RD Congo : nouvel attentat à Beni, où les habitants vivent "la peur au ventre"

Le bilan de l’ensemble des attaques de ce groupe, qui opère généralement dans des zones peu accessibles et des forêts denses, est toutefois difficile à obtenir. Selon le bureau des droits de l’homme des Nations Unies, entre janvier 2019 et juin 2020, 1 066 civils ont été tués dans le Nord-Kivu et l’Ituri. L'épiscopat congolais estime qu'au moins 6 000 personnes ont été tuées depuis 2013.

>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Après la revendication d’une attaque près de Béni, que sait-on du groupe État islamique en RD Congo ?

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