Comment Günther Anders nous aide à penser les catastrophes ?

Essai nucléaire à l'atoll de bikini, îles Marshall, le 21 octobre 1952 ©Getty - Digital Vision
Essai nucléaire à l'atoll de bikini, îles Marshall, le 21 octobre 1952 ©Getty - Digital Vision
Essai nucléaire à l'atoll de bikini, îles Marshall, le 21 octobre 1952 ©Getty - Digital Vision
Publicité

Moins connu qu'Hannah Arendt, qui fut un temps son épouse, le philosophe allemand Günther Anders a été l'un des premiers, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à penser le régime nouveau sous lequel nous faisait vivre la menace atomique, ainsi que les conséquences éthiques de la Shoah.

Avec
  • Ninon Grangé Agrégée et docteure en philosophie, maîtresse de conférence à l'université Paris 8.

À l'image de son parcours biographique, la philosophie de Günther Anders a été traversée par les grands tourments du XXe siècle. Il reste encore un peu dans l'ombre de ses maitres Edmond Husserl et Martin Heidegger, de son épouse Hannah Arendt ou même de son cousin, Walter Benjamin. De la même manière que la théoricienne de la "banalité du mal", Anders a toute sa vie cherché à éprouver la philosophie au contact des circonstances historiques inédites qui informent le monde contemporain. Dans ce souci constant de donner à la pensée la mesure des circonstances historiques, il ira même plus loin que celle-ci, jusqu'à considérer que la philosophie comme matière autonome pouvait faire obstacle à la compréhension du monde dans ses bouleversement en cours, et qu'il fallait dans ce cas s'affranchir des voies traditionnelles de la discipline.

Peut-être est-ce pour cette raison qu'Anders est toujours moins étudié que les précédents, ou même que son camarade Hans Jonas, qui connut sa première traduction en français vingt ans avant celui-ci. Or si son œuvre ne comporte pas de grand traité philosophique classiquement articulés, elle n'en reste pas moins hautement originale. Il a ainsi noué une correspondance avec Claude Eatherly (pilote de reconnaissance météorologique qui a donné le feu vert au largage de la bombe sur Hiroshima) dans laquelle il réfléchit au degré de conscience qu'un individu peut avoir de sa puissance à l'ère industrielle. De même, sa lettre ouverte au fils d'Adolf Eichmann, Nous, fils d'Eichmann, consiste en une réflexion étayée sur l'entreprise d'extermination nazie comme la conséquence hyperbolique du décalage d'échelle entre ce que l'homme est désormais capable de faire et ce qu'il est capable de penser. Enfin, L'Obsolescence de l'Homme est, prenant appui sur Beckett ou sur l'influence des médias sur l'expérience, son travail qui a le plus profondément pensé l'être humain face à la possibilité de son propre anéantissement…

Publicité
À lire aussi : Arendt, la courageuse
Ils ont pensé...
9 min

L'invitée :

  • Ninon Grangé est chercheuse en philosophie à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis. Elle est notamment l'autrice de L’urgence et l’effroi - L’état d’exception, la guerre et les temps politiques (ENS-éditions, 2018) et de Oublier la guerre civile ? Stasis : chronique d’une disparition (Vrin/EHESS, 2015), et elle a codirigé l'ouvrage Günther Anders et la fin des mondes, publié par Classiques Garnier en 2020.

L'équipe