« J’ai toujours été contre la peine de mort. Je suis aussi contre la chasse. Mais pour ces criminels qui ont assassiné de sang-froid mes trois filles et mon ex-épouse avant d’emmurer leurs corps, je réclame la peine capitale. » Deux semaines après la découverte du quadruple féminicide qui a horrifié la localité d’Ansar au Liban-Sud et secoué l’opinion publique, le moukhtar Zakarya Safawi est encore sous le choc. Ses propos à L’Orient-Le Jour traduisent la douleur de ce père de famille qui a perdu ce qu’il avait de plus cher. Ils viennent toutefois rappeler que chaque fois qu’un crime effroyable est commis au Liban, les proches des victimes soutenus par une partie de l’opinion publique réclament la peine capitale, relançant ainsi le débat sur l’abolition de la peine de mort.
Le Liban n’a plus recouru aux exécutions capitales depuis 2004. Un moratoire de fait est donc observé depuis 18 ans. Mais la justice continue de prononcer des peines capitales. 81 condamnés, libanais ou étrangers, attendent aujourd’hui dans le couloir de la mort, principalement à la prison centrale de Roumieh. Les textes de loi attendent toujours un consensus national pour l’abolition de la peine capitale. Le 16 décembre 2020, le Liban se prononçait toutefois à l’ONU en faveur d’un moratoire universel.
S’il est bien conscient que l’exécution des deux assassins, aujourd’hui arrêtés, ne ramènera pas les victimes, le moukhtar Safawi affirme « ne pas pouvoir accepter qu’un jour prochain les criminels puissent se retrouver dans la société s’ils n’étaient pas exécutés ». Pire, « si leur culpabilité est avérée ». « Ce n’est pas parce que le crime me touche personnellement, se défend-il. Mais si la peine de mort n’est pas prononcée et appliquée, les assassins pourraient être libérés. » C’est dire son manque de confiance dans une justice accusée d’être politisée et d’appliquer le principe de deux poids, deux mesures, dans un contexte de crise libanaise multiple aiguë.
Les autorités ont tardé à réagir
Le 25 mars dernier, la localité chiite du caza de Nabatiyé plongeait dans l’horreur. Le quadruple assassinat d’une mère, Bassima Abbas, divorcée du moukhtar Safawi, et de leurs trois filles, Rima (22 ans), Tala (20 ans), toutes deux étudiantes, et Manal (15 ans), élève du secondaire. Leurs corps criblés de balles ont été retrouvés par les forces de l’ordre dans une grotte aux abords du village, enfouis sous des blocs de béton coulés par les assassins, dont au moins un serait passé aux aveux, selon l’armée. « Ces crimes sont d’une cruauté inimaginable. Nous ne comprenons pas pourquoi. Personne n’avait rien fait aux criminels. Ni mon ex-épouse, ni mes filles et surtout pas ma benjamine qui n’avait pas 16 ans », s’insurge le notable. Le cerveau présumé de l’opération, Hussein Fayad (36 ans), de retour à Ansar après des années d’expatriation en Afrique, fréquentait la fille cadette du moukhtar. « Les deux familles se connaissaient bien. Elles étaient en bons termes. Il était question de mariage », murmure Zakarya Safawi. L’autre meurtrier, Hassan Ghannach, est un ressortissant syrien. Le 2 mars dernier, les quatre femmes étaient invitées à dîner par l’ami de Tala. Leur disparition, leur enlèvement, date de ce jour. Leur exécution aussi, dans cette grotte, selon l’armée. « Avant le drame, Manal, ma benjamine, avait adressé à sa tante maternelle un SMS la prévenant de l’invitation à dîner. Une invitation à laquelle elle n’avait pas envie de se rendre. C’est d’ailleurs ce SMS qui nous a mis sur la piste », relate encore le père, évoquant les aveux du cerveau de l’opération et une enquête toujours en cours. « Mais les autorités ont tardé à réagir. Les rumeurs les plus folles ont couru alors », accuse-t-il.
À Ansar, où tout le monde se connaît, la colère gronde et s’étale sur les réseaux sociaux, solidaire de son moukhtar dont la famille a été décimée. « La moindre des choses ? Une exécution. Et que leurs corps soient exposés sur la place publique d’Ansar », réclame Mariam. « Les exhiber sur la place d’Ansar et les torturer jusqu’à ce que mort s’ensuive », demande Lino. « Tous les habitants de la localité doivent être solidaires et ne pas voter si les assassins ne sont pas exécutés sur la place publique, devant tout le monde », renchérit Malak. Reprenant le discours populaire, l’imam du village a affirmé durant son prêche avoir informé les autorités, et notamment le chef de l’État Michel Aoun, que « la famille des victimes et les habitants du village n’accepteront pas moins qu’une condamnation à mort des coupables ». Même la famille Fayad de l’instigateur présumé réclame la peine de mort si les faits étaient avérés, et promet de renier l’assassin. « Tout le village, y compris les proches du criminel, réclame la peine maximale et l’exécution des deux assassins sur la place d’Ansar », résume à L’OLJ un autre moukhtar de la même localité, Haïdar Jaffal. « Nous attendons aussi des réponses sur les circonstances et le mobile du crime. C’est bien la moindre des choses », ajoute-t-il, dénonçant « la négligence dont a fait preuve la justice » dans une tragédie d’une telle ampleur.
La peine capitale n’a jamais empêché le crime
Face à la revendication populaire, les abolitionnistes opposent un front uni et des arguments fermes. S’ils comprennent la colère et le choc face à la barbarie du drame d’Ansar, ils n’en soutiennent pas moins que la peine capitale n’a jamais découragé le crime ni réduit la criminalité. Ils martèlent haut et fort que la peine capitale, cette justice qui tue, ne pansera pas les plaies, pas plus qu’elle ne ramènera les victimes. « Le meurtre d’Ansar est horrible, inexplicable », reconnaît l’ancien ministre Ibrahim Najjar, vice-président de la Coalition internationale pour l’abolition de la peine de mort. « Mais, constate-t-il, chaque fois que l’horreur prend le dessus, la population réclame haut et fort l’exécution judiciaire des tueurs pour venger les êtres chers disparus. Or elle n’est pas une solution et n’a jamais enrayé le crime. »
Il est certes compréhensible que les familles endeuillées réclament vengeance. Le travail en faveur de l’abolition ne s’arrête pas pour autant. « Pour l’heure, nous ne pouvons rien dire aux familles endeuillées dont nous comprenons la douleur, commente Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général de l’association mondiale Ensemble contre la peine de mort, qui milite pour l’abolition universelle. Seul le temps les convaincra que la peine de mort n’est pas la réponse adéquate au crime, même le plus horrible. » Entre-temps, « il faut toujours expliquer à la population que la peine capitale ne ramènera pas les victimes et ne pansera pas les plaies ».
Dans une société où l’État est en échec perpétuel, n’offrant à la population qu’effondrement, chaos et insécurité, la demande pour une exécution capitale accompagne l’amertume populaire. « Vu l’échec de l’État et la perte d’espoir d’une population qui subit un quotidien particulièrement difficile, le ressentiment à l’égard des autorités ne peut que s’amplifier, et avec lui les appels à la peine de mort », observe Ogarit Younan, sociologue, initiatrice depuis 1979 de la Campagne nationale pour l’abolition de la peine de mort au Liban.
L’exécution capitale empêche les familles de comprendre
Ce ressentiment va en s’exacerbant lorsque la justice ne fait pas son devoir et qu’elle est souvent téléguidée par la classe politique. « La population a perdu toute confiance dans la justice. Elle se réfugie dans la demande de la peine de mort parce qu’elle a peur du “allo” ! » déplore Antoinette Chahine, ancienne condamnée à mort innocentée, aujourd’hui militante abolitionniste. Mme Chahine fait ainsi référence aux interventions et appels téléphoniques fréquents des hommes politiques libanais aux juges, dans une volonté d’atténuer la peine d’un criminel qui leur est proche, voire de l’innocenter.
À cet état des lieux, s’ajoute la croyance populaire qu’à crime horrible, la réponse se doit d’être à la hauteur, tout aussi horrible. Sauf que pour les abolitionnistes, elle est non seulement inutile, mais c’est un crime barbare. « La peine de mort n’est pas une demande personnelle. C’est l’État qui exécute. Et je refuse qu’il exécute en mon nom. Nous avons tous le droit de dire non ! » s’emporte Ogarit Younan.« La peine de mort n’a aucun intérêt. Elle est barbare, absurde et stupide. Elle n’apporte rien aux familles des victimes. Et qui plus est, elle exacerbe les haines », souligne Lamia*, dont le père a été assassiné et ses meurtriers exécutés…
Une sanction peut d’ailleurs s’avérer exemplaire sans pour autant tuer au nom de l’État. « Je suis en faveur d’une sanction exemplaire, mais contre la peine capitale », affirme Ibrahim Najjar. « La seule chose susceptible de réduire la criminalité est une justice équitable qui refuse les compromis et dévoile la vérité », renchérit Antoinette Chahine, se prononçant en faveur d’une réclusion à perpétuité incompressible. « La perpétuité est bien plus dure à supporter que l’exécution », assure celle qui a expérimenté l’incarcération durant cinq ans et demi dans les geôles libanaises. « Une réponse exemplaire, à la hauteur du crime, pourrait aussi se traduire par un comportement humain et juridique qui montre l’intérêt des autorités pour l’affaire et leur volonté d’apporter réparation aux familles des victimes, par une arrestation rapide des meurtriers », propose Mme Younan.
Dans les propos des abolitionnistes, on retrouve aussi un argument de taille, cette entrave à la justice que représente la mise à mort d’un condamné. « La peine capitale empêche la vraie justice car elle empêche les familles des victimes de comprendre et de faire leur deuil, rappelle Raphaël Chenuil-Hazan. Dire alors qu’on va faire un symbole d’une exécution capitale est un piège. »
La tragédie d’Ansar n’a pas encore dévoilé ses secrets. Entre-temps, un autre débat s’invite sur la scène, celui de la violence envers les femmes dans la société libanaise. « La peine de mort empêche souvent les vrais débats de société, regrette M. Chenuil-Hazan. Dans ce cas particulier, il s’agit de la question des femmes dans la société et de l’acceptation des crimes commis par les hommes à leur encontre. »
*Le prénom a été modifié.
commentaires (8)
The problem is that our prison system is broken. Prisons are overcrowded, lacking food and resources. Serial killers like the ones who perpetrated the horrendous crimes in Ansar, are a danger to the public. Without the death penallty, they should receive a life in prison sentence without parole.
Mireille Kang
20 h 41, le 07 mars 2023