Denis Mukwege, Nobel de la paix contraint de vivre sous protection

Il est célèbre dans le monde entier pour son combat en faveur des femmes violées, ces corps « transformés en champs de bataille » que le gynécologue formé à Angers tente de réparer. Et obtenir, pour toutes les victimes des carnages perpétrés au Congo, justice et vérité.

Mis à jour le 31 août 2023 à 08:55

Il a, le temps d’un passage à Paris, troqué sa blouse de chirurgien pour un élégant costume et reçoit chaleureusement quelques journalistes et représentants d’ONG dans un discret hôtel parisien. Denis Mukwege, 67 ans, vit en permanence sous protection depuis qu’il dénonce, avec le renfort et l’autorité de son prix Nobel de la paix décerné en 2018, les carnages incompréhensibles perpétrés en République démocratique du Congo.

Personne ne connaît avec certitude le bilan humain de la guerre qui ravage cet immense pays grand comme l’Europe occidentale. Un conflit qui a débuté en 1996, dans le sillage du génocide perpétré au Rwanda et de la chute du maréchal Mobutu, et qui n’a jamais véritablement cessé depuis.

Un massacre inoubliable

Choqué par les images qui parviennent d’Ukraine, où le gouvernement accuse la Russie d’avoir pris pour cible une maternité à Marioupol, il se souvient de ce premier massacre auquel il a réchappé de justesse, à l’hôpital de Lemera, où il était médecin directeur. Aux prémices de la guerre, des hommes en armes surgissent et massacrent le personnel soignant avant d’achever les malades dans leur lit.

« Comment peut-on faire une chose pareille ? La plupart de ces personnes avaient été opérées la veille et ne pouvaient même pas se lever. Les gens qui venaient dans mon hôpital pour se faire soigner me faisaient confiance. En quoi, en posant cette question de savoir qui est responsable de cette tuerie, serais-je manipulé ? » s’interroge-t-il.

Car Denis Mukwege veut mettre fin à l’impunité qui caractérise le pillage et les massacres du pays considéré comme le plus riche du monde, convoité pour ses minerais rares, son cuivre, son or, ses diamants, ses terres incroyablement fertiles.

Publiquement, James Kabarebe, qui fut ministre de la Défense du Rwanda de 2010 à 2018, a dénoncé le gynécologue comme un pantin « manipulé par des forces obscures » et l’a désigné comme un ennemi de son pays. Car Kigali combat avec férocité ceux qui comme Denis Mukwege tentent d’exhumer le rapport Mapping, publié en 2010 et qui dort depuis dans les tiroirs des Nations unies. Ses quelque 600 pages regorgent de tueries de masse, villageois sans défense massacrés à coups de marteau, de baïonnette, de fusil, de grenade ou de machette, femmes et enfants exterminés indistinctement.

« Abattoir à ciel ouvert »

Tous les pays impliqués dans cette « guerre mondiale africaine » y ont commis des crimes, mais les troupes rwandaises sont particulièrement ciblées. Ce sont elles qui ont encadré les troupes de Laurent-Désiré Kabila, un ex-guérillero « marxiste » reconverti dans les trafics, jusqu’à Kinshasa, transformant l’ex-Zaïre, selon l’expression d’Emma Bonino, alors commissaire européenne pour l’aide humanitaire d’urgence, en véritable « abattoir à ciel ouvert ».

Icon QuoteCes tentatives de meurtre existent, j’ai perdu des proches (…). Ces personnes veulent me faire taire simplement parce que je demande la justice. Mais elles n’arriveront pas à me faire plier. »

Mais Denis Mukwege ne sait pas avec certitude qui en veut à sa vie. « Si c’était le cas, ça serait plus facile de me protéger. Ces tentatives de meurtre existent, j’ai perdu des proches, j’ai été attaqué chez moi, à mon bureau, sur la route », raconte le miraculé : « Ce sont des personnes qui veulent me faire taire simplement parce que je demande la justice. Mais elles n’arriveront pas à me faire plier, la justice ne se négocie pas. J’ai parlé du rapport Mapping aux Nations unies en septembre 2012, et j’ai été pris pour cible dès mon retour chez moi. Les assaillants avaient déjà pris mes enfants en otage. Puis ils se sont précipités dans ma voiture et m’ont obligé à sortir sous la menace d’une arme. Joseph, mon collaborateur qui m’accompagnait, a pris ma place et a été touché par plusieurs balles, une dans le flanc, une dans la tête, nous étions tous les deux couverts de sang. Ils m’ont laissé pour mort. »

Un film coup de poing

Le docteur prend ensuite la route du cinéma les 7 Parnassiens, où deux séances du film documentaire l’Empire du silence, du réalisateur belge Thierry Michel, doivent être projetées. Toujours en salle, ce film coup de poing raconte et illustre, avec des images et des paroles inédites, quelques-unes des pages imbibées de sang du rapport Mapping. Pour la première fois, les noms de certains des responsables de crimes que le rapport Mapping, pour des raisons diplomatiques, a gardés secrets sont dévoilés, à l’instar de celui de James Kabarebe…

À l’heure où les États-Unis de Joe Biden dénoncent un « génocide » perpétré par la Russie en Ukraine, Denis Mukwege fustige ce deux poids deux mesures, tout en refusant de comparer les souffrances. « Partout où elles existent, il faut se dire qu’elles ne doivent plus jamais se passer ailleurs. Et partout, nous devons les dénoncer avec toujours la même humanité. »

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