Chronique «Ré/Jouissances»

Voter blanc, c’est voter brun

Election Présidentielle 2022dossier
Appel aux rouges fâchés et aux décolorés désabusés pour qu’ils se résignent au bulletin Macron, seule manière d’éviter Le Pen.
par Luc Le Vaillant
publié le 18 avril 2022 à 20h02

Allez, tant pis si cet humble avis irrite ceux qui s’estiment au-dessus des prescriptions et qui, comme moi, rejettent les injonctions. Pour une fois, disons les choses clairement, sans pirouettes amusées ou ricanements qui se croient malins. Prenons l’affaire au sérieux puisqu’elle l’est et qu’une catastrophe électorale menace. Pour éviter l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, il faut voter Emmanuel Macron. Atermoiements et défausses reviennent à envoyer l’extrême droite à l’Elysée. S’abstenir, comme déposer dans l’urne un bulletin nul ou blanc, signifie confier l’avenir du pays à la tenancière d’un parti xénophobe et autoritaire.

J’ai longtemps cru que chez les Le Pen, Marine ne pourrait jamais être élue, tant l’ombre portée de Jean-Marie écrasait sa destinée. Le nom du père fatal valait malédiction. Ce maraboutage psycho-politique me soulageait honteusement. Il semble que l’oubli qui gagne et la mise au ban de l’ancêtre survivant par sa benjamine aient changé la donne. A l’inverse, le lâchage de Marine Le Pen par sa nièce Marion Maréchal l’a allégée de toute charge sentimentale. Mieux, cela l’a nimbée d’une aura victimaire, où se mêlent compassion devant l’esseulement d’une quinqua à chat et désolation devant la répétition de ces petits meurtres en famille.

Je ne suis pas certain que la montée électorale de Le Pen tienne à une dédiabolisation menée à bien. Je sais juste que diaboliser quiconque me déplaît, tant je ne crois ni aux diables, ni aux dieux qui toujours vont par deux. Marine Le Pen n’est pas Hitler. Elle se rapproche des populistes et des illibéraux façon Trump, Bolsonaro, Orbán ou même du Poutine d’avant l’Ukraine. Sous couvert de souverainisme et de protectionnisme, elle cache ses préférences nationales et son souci de l’ordre policier, ses attaques contre les libertés fondamentales et son envie de contrôle des idées et de répression des mœurs. Côté économie, le libéralisme boutiquier de toujours du FN-RN a repris le pas sur la fibre vaguement sociale et colbertiste de la campagne 2017. Tout cela a été dit et redit. Inutile de rabâcher plus avant. Chacun sait désormais ce qu’il en est et peut agir en conséquence.

Je ne prétends pas que rallier Macron me remplisse d’allégresse. En cinq ans, j’ai vu le ministre de Hollande se droitiser franchement, joliment rétropédaler à l’heure du coûteux Covid puis préconiser de retarder l’âge de la retraite. Hormis les moments de crise majeure où il se hausse au-dessus de lui-même, j’ai bien peur que Macron appartienne à un centre droit pro-business, fier de ses «disruptions» qui sont autant de régressions. Son «en même temps» n’est qu’un rideau de fumée dans lequel il entortille sa pensée.

L’ennui, c’est que désormais les choses sont claires : toute autre solution que le bulletin Macron mène à Le Pen. Désolé d’avoir à le répéter aux ulcérés de gauche qui s’arrachent les cheveux par touffes et se roulent dans le dépit : Mélenchon est éliminé. Il faut cesser d’en accuser Roussel, Jadot ou Hidalgo ! Les gamineries culpabilisatrices ne sont plus d’actualité. Essayons malgré tout de répondre à trois déplorations parmi les plus fréquentes. 1) Le front républicain serait trop craquelé pour être replâtré ? D’accord, mais s’il s’écroule, les fondations démocratiques seront menacées sans qu’on sache ce qui surgira des ruines. 2) Les mêmes castors, toujours de corvée de bois pour faire barrage, auraient les dents irritées au point de préférer déchiqueter la forêt entière ? D’accord, mais à ce compte-là le torrent va tout emporter. 3) La génération climatique n’en pourrait plus des boomers qui ne penseraient qu’à leur confort ? D’accord, mais eux au moins ont su rallier Chirac en 2002, sans barguigner.

Selon la vulgate en cours à La France insoumise, les «fâchés» qui songent à donner sa chance à Le Pen ne seraient pas «fachos». Il s’agirait de ne pas les braquer afin d’espérer leur remettre le grappin dessus. Il faudrait les accompagner, quitte à se perdre avec eux dans une équivalence mortifère. Sauf qu’à force d’être compréhensif avec les mauvaises humeurs et d’excuser les haines spasmodiques, la contagion menace. Les sondages indiquent que 20 % des voix LFI pourraient se reporter sur Le Pen. Et une récente consultation interne précise que les deux tiers des sympathisants Mélenchon annuleront ou banniront le président-candidat. J’espère sans trop y croire que Mélenchon ne va pas se contenter de proscrire le suffrage Le Pen. J’espère qu’à la toute fin il indiquera précisément la seule manière d’en finir avec cette tentation dévastatrice. J’espère qu’il se résignera au bulletin Macron. Car voter blanc, c’est voter brun.

Il y a cinq ans, face à un danger déjà non négligeable, ce journal avait titré un judicieux et malicieux : «Faites ce que vous voulez, mais votez Macron». Aujourd’hui, à l’heure où les sondages ne donnent plus envie de blaguer, il faudrait plutôt dire : «Pour continuer à faire ce que vous voulez, votez Macron».

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