Interdiction du voile : retour sur 20 ans de législation

Interdiction du voile : retour sur 20 ans de législation

Si Marine Le Pen semble moins arc-boutée sur ce sujet, l’interdiction du voile dans l’espace public figure dans son projet. Au fil des années et des polémiques, la restriction au port de signes religieux est régulièrement au cœur du débat public en France. Retour sur vingt ans de législation.
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Marine Le Pen Présidente, interdira-t-elle le voile dans l’espace public ? Difficile d’y voir clair dans la proposition de la candidate RN qui a renvoyé ces derniers jours, ce « problème complexe » à la « discussion » du Parlement tout en précisant « ne pas être obtuse » sur le sujet.

» Lire notre article. L’interdiction du port du voile est toujours d’actualité, assure le Rassemblement national

Intéressons-nous justement aux différentes lois adoptées par le Parlement et aux textes qui ne sont restés qu’au stade de propositions. Rappelons que la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, socle de la laïcité telle qu’elle existe en France, ne se prononce pas sur le port des signes religieux.

Comme souvent, c’est lorsque cela concerne les enfants, qu’un sujet a de fortes chances de devenir explosif. A la rentrée de 1989, trois collégiennes sont exclues de l’établissement Gabriel-Havez de Creil pour avoir refusé d’enlever leur voile au nom de leur religion. Le principal du collège estimait que le port du voile était incompatible avec le principe de laïcité. Face au vide juridique qui entoure cette question du port du voile à l’école, le ministre de l’Education de l’époque, Lionel Jospin saisit le Conseil d’Etat.

Dans une décision rendue quelques semaines plus tard, le Conseil indique que le port du voile islamique n’est pas incompatible avec le principe de laïcité et que l’exclusion du collège « ne serait justifiée que par le risque d’une menace pour l’ordre dans l’établissement ». Lionel Jospin publie par la suite une circulaire stipulant que ce sont aux enseignants d’accepter ou de refuser le voile en classe.

Loi de 2004 : Interdiction du port de signes religieux ostensibles à l’école

Durant les années 90, plusieurs dizaines de jeunes filles seront exclues de lycées publics. Malgré deux autres circulaires ministérielles, les proviseurs sont les seuls décisionnaires et font du cas par cas. Afin de faire respecter le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, Jacques Chirac décide en décembre 2003 de légiférer sur cette question. Il installe le médiateur de la République, Bernard Stasi à la tête d’une commission pour préparer un texte. La loi qui interdit tout port de signe religieux ostensible à l’école est votée le 15 mars 2004.

Le texte interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les écoles, collèges et lycées publics. Une circulaire précise par ailleurs que les signes visés sont « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa, ou une croix de taille manifestement excessive ». Les signes religieux discrets demeurent toutefois autorisés.

Loi de 2010 : interdiction du voile intégrale dans l’espace public

« Le problème de la burqa n’est pas un problème religieux, c’est un problème de liberté, de dignité de la femme […]. Je veux le dire solennellement, elle [la burqa] ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République ». Devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles en 2009, Nicolas Sarkozy esquisse les motivations d’un futur texte. Quelques mois plus tôt, le député de sa majorité, Jacques Myard avait déposé une proposition de loi visant à lutter contre les atteintes à la dignité de la femme résultant de certaines pratiques religieuses.

Le projet de loi mettra en avant la liberté de la femme et l’égalité hommes/femmes. C’est Michèle Alliot-Marie, la garde des Sceaux qui est chargée de présenter le texte adopté par le Parlement le 11 octobre 2010.

La France devient alors le premier pays européen à interdire le voile intégral (burqa, niqab). Le texte interdit précisément « la dissimulation du visage dans l’espace public » (rues, mais aussi commerces, transports, mairies etc.). Des amendes jusqu’à 150 euros d’amende sont prévues en cas d’infraction. Cinq ans après l’adoption du texte, 1 500 amendes avaient été prononcées.

2016 : neutralité religieuse au travail

Les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, seront marqués par l’affaire de la crèche Baby Loup. En 2008, une salariée est licenciée d’une crèche associative car elle refuse d’ôter son voile alors que le règlement intérieur de l’association impose le principe de laïcité et la neutralité religieuse de son personnel. La Cour de cassation validera son licenciement pour « faute grave » en 2014.

Sur l’impulsion des radicaux du Sénat, une proposition de loi va consacrer cette jurisprudence en rappelant le principe de neutralité dans les structures accueillant des enfants de moins de six ans. L’obligation de neutralité s’applique aux structures publiques ainsi qu’aux établissements privés chargés « d’une mission de service public ». Pour les autres crèches privées, le texte indique que celles-ci pourront envisager « des restrictions, de caractère proportionné, à la liberté de leurs salariés de manifester leur conviction religieuse ». Ces restrictions « figurent dans le règlement intérieur ou, à défaut, dans une note de service ». La proposition de loi n’ira pas au bout de la navette parlementaire. Elle sera reprise en partie par voie d’amendement dans la loi travail de 2016 qui prévoit que « le principe de neutralité puisse être inscrit dans le règlement intérieur par accord d’entreprise ».

La droite sénatoriale demande la neutralité des accompagnants scolaires

Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, la droite sénatoriale va être à l’œuvre pour aller encore plus loin dans l’application du principe de neutralité. Un texte et plusieurs amendements portés par la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio avaient pour but d’imposer la neutralité religieuse des accompagnants scolaires. Le gouvernement s’y est montré à chaque fois défavorable. « Nous ne sommes pas démunies, en fonction du droit existant, pour regarder au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d’élève correspond à un signe de prosélytisme ou de pression inacceptable sur les élèves […] Une loi irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs », soutient Jean-Michel Blanquer dans l’hémicycle.

» Lire notre article : Port du voile et sorties scolaires : le Sénat adopte la proposition de loi Eustache-Brinio

Dans la dernière ligne droite du quinquennat, le projet de loi séparatisme sera également l’occasion pour la droite sénatoriale de voter l’interdiction du port du voile dans l’espace public aux mineurs et l’interdiction du burkini dans les piscines publiques. Faute d’accord avec les députés, ces apports ne seront pas conservés ans la version définitive du texte.

La dernière tentative en date pour renforcer la neutralité religieuse provient une fois de plus de la majorité sénatoriale de droite. Elus de la chambre Haute et exécutif, s’opposeront autour de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. La Haute assemblée souhaitait interdire « le port de signes religieux ostensibles dans les événements et compétitions organisés par les fédérations sportives et les associations affiliées. Roxana Maracineanu dénoncera « l’obsession » des sénateurs LR. La séance sera houleuse, les élus « outrés » par les propos de la ministre feront un rappel au règlement et finiront par rejeter l’ensemble du texte via une motion préalable.

 

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