Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Débat de l’entre-deux-tours : les affirmations de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron vérifiées

Retrouvez les erreurs factuelles ou le contexte de plusieurs des thèmes abordés lors du débat entre les deux candidats au deuxième tour de la présidentielle 2022.

Par , , , , , et

Publié le 21 avril 2022 à 00h44, modifié le 21 avril 2022 à 18h57

Temps de Lecture 21 min.

Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés, mercredi 20 avril, lors du débat de l’entre-deux-tours. Leur précédente confrontation, en 2017, avait été très virulente et le débat n’avait été qu’invectives et fausses informations. Le ton, cette année, était plus policé, bien que les désaccords fussent manifestes sur la plupart des points abordés. A défaut d’erreurs factuelles évidentes, chacun des candidats a tenté de décrédibiliser le programme de l’adversaire en prenant des libertés avec les faits et en s’abstenant de préciser le contexte nécessaire pour les appréhender.

Sur le pouvoir d’achat

Marine Le Pen : « Vous avez pris la décision de vous opposer au fait de pouvoir accorder l’allocation [aux adultes handicapés] quel que soit le revenu du conjoint. »

Emmanuel Macron : « C’est vrai que nous nous sommes opposés à cette réforme. Vous ne l’avez pas non plus votée, vous n’étiez pas là. »

Comprendre la polémique sur l’AAH

L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une aide d’un montant maximum de 904 euros censée assurer aux personnes handicapées un minimum de ressources ; 1,2 million de personnes la perçoivent. Elle est notamment calculée en fonction des revenus du ou de la conjointe et commence à diminuer dès que le ou la partenaire gagne plus de 1 065 euros par mois. Autrement dit, une personne handicapée a de grandes chances de voir ses revenus baisser si elle est en couple. Ce mode de calcul est dénoncé par plusieurs collectifs, qui estiment qu’il entretient les personnes handicapées dans la dépendance, et il est devenu un sujet de débat politique.

Des députés venant de différents partis s’y sont intéressés. La députée du Parti communiste français (PCF) Marie-George Buffet a déposé une proposition de loi dès 2017. En 2021, une nouvelle proposition de loi à l’initiative de la députée du Parti radical de gauche (PRG) Jeanine Dubié est mise au vote à l’Assemblée nationale, mais elle est, finalement, retoquée en raison du blocage de la majorité présidentielle. Le gouvernement a préféré à la déconjugalisation un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint, craignant qu’une telle réforme n’ouvre une brèche à la déconjugalisation d’autres minima sociaux. Le président Emmanuel Macron a toutefois changé d’avis récemment à ce sujet, à l’issue du premier tour de la présidentielle 2022, en affirmant qu’il allait « bouger sur ce point ».

En 2021, les députés du Rassemblement national (RN), y compris Marine Le Pen, ne sont pas dans l’Hémicycle le jour du vote en deuxième puis troisième lecture, comme le précise le site de l’Assemblée nationale. Le parti d’extrême droite soutient, pourtant, cette mesure depuis plusieurs années : la déconjugalisation ainsi que la revalorisation de l’AAH figuraient dans le programme de Marine Le Pen en 2017 et y figurent de nouveau en 2022.

Emmanuel Macron

« Madame Le Pen, vous avez voté contre le bouclier tarifaire. »

Vrai

A plusieurs reprises durant le débat, Emmanuel Macron a accusé Marine Le Pen d’avoir voté contre le projet de « bouclier » énergétique. C’est exact. Lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, adopté en première lecture le 19 octobre 2021 avec 349 voix pour et 205 contre, Marine Le Pen figurait parmi les opposants.

Il comportait le fameux « bouclier tarifaire », proposé par la majorité, pour contrer les effets de la hausse des tarifs du gaz et de l’électricité. Il prévoit notamment le blocage à 4 % jusqu’au printemps 2022 du prix du gaz, puis un lissage des prix du gaz et de l’électricité jusqu’en juin.

Durant la campagne, Marine Le Pen avait agité la menace d’un possible doublement du prix du gaz, une fois cette période révolue, estimant qu’il aurait dû augmenter de 73 %, sans préciser qu’elle s’était opposée à cette mesure.

Marine Le Pen

« L’inflation est supérieure d’un point à la croissance. »

Faux, pour l’instant

Marine Le Pen a défendu sa proposition d’instaurer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à taux zéro sur les produits de première nécessité quand l’inflation est supérieure d’un point à la croissance. Emmanuel Macron a affirmé que ce n’est pas le cas aujourd’hui et que la mesure prônée par la candidate du RN ne s’appliquerait donc pas. Cette dernière le conteste.

Le Monde
-50% sur toutes nos offres
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 11,99 € 5,99 €/mois pendant 1 an.
S’abonner

Que disent les chiffres ? En 2021, l’inflation (2,8 %) était nettement inférieure à la croissance (7 %, après une baisse de 8 % en 2020), selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Mais la guerre en Ukraine a amené une pression supérieure sur les prix, qui étaient en hausse de 4,5 % sur un an, selon l’Insee. La croissance, elle, ralentit : elle était en hausse de 0,3 % au premier trimestre 2022, selon les derniers chiffres de l’Insee, et de 5,5 % sur un an.

Emmanuel Macron a donc raison d’affirmer qu’à ce stade l’inflation reste inférieure à la croissance et que la TVA à taux zéro, proposée par Marine Le Pen, ne s’appliquerait donc pas dans la situation actuelle. Mais ce constat pourrait, cependant, ne plus être valable dans quelques mois, si la tendance se poursuit.

Marine Le Pen

« Je vais baisser la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’énergie. »

Pourquoi c’est compliqué

Marine Le Pen affirme vouloir baisser la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’énergie (carburants, gaz, électricité et fioul). Pour ce faire, la candidate doit passer par l’Union européenne (UE), qui encadre les niveaux de TVA pour ses Etats membres. Le droit européen permet, en effet, déjà d’appliquer une TVA réduite sur certains produits de première nécessité. Mais sur les carburants, la tâche s’avère compliquée, car ils ne figurent pas dans la liste des produits qui peuvent bénéficier d’une taxe réduite, selon la Commission européenne.

Marine Le Pen devrait donc renégocier au préalable avec Bruxelles, ce qui pourrait prendre du temps (lorsque Jacques Chirac, alors président de la République, avait entamé au début des années 2000 des négociations pour réduire la TVA dans la restauration, cela avait pris plusieurs années). A défaut, elle devrait s’affranchir des règles, à l’instar de la Pologne, qui a réduit la TVA à 8 % sur les carburants en février sans accord au préalable, mais qui pourrait en subir les conséquences financières dans les semaines à venir.

Marine Le Pen

« Il y a 400 000 pauvres supplémentaires sous votre quinquennat. »

Vrai

Si la candidate du Rassemblement national ne précise pas sur quelle source elle s’appuie, les instituts de référence lui donnent raison. Selon l’Insee et l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, en 2017, 8,9 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire ; ce chiffre monte à 9,2 millions en 2019 et même à 9,3 millions en 2020, dernière année connue, soit effectivement une hausse de 400 000 personnes.

Cette évolution contredit les affirmations d’Emmanuel Macron, qui s’était félicité en novembre 2021 que « la pauvreté n’[ait] pas augmenté », malgré la pandémie de Covid-19. Le président s’appuyait alors sur un rapport de l’Insee, qui jugeait que le taux de pauvreté était resté relativement stable en 2020, à 14,6 % de la population française, et ce, malgré la crise, grâce notamment aux nombreuses aides mises en place. Mais cette stabilité étonnante s’expliquait, en partie, par un biais méthodologique : l’Insee concentrait son enquête sur les ménages dits « ordinaires », dont sont notamment exclues toutes les personnes vivant en collectivité ou communauté – en particulier les étudiants, qui comptent parmi les personnes les plus touchées par la crise.

Par ailleurs, la situation des personnes vivant déjà dans la pauvreté s’est, elle, aggravée. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et l’Insee estiment que les associations de distribution d’aide alimentaire ont enregistré une hausse de 7,3 % des inscriptions de 2019 à 2020 et de 10,6 % des volumes de denrées distribuées. Un indicateur mis en place pour la première fois, justement pour refléter l’ampleur de cette nouvelle pauvreté.

Sur les relations internationales

Emmanuel Macron

« Vos positions [sur l’Ukraine], Marine Le Pen, ne correspondent pas aux positions que votre parti et vos parlementaires défendent au Parlement européen. »

Vrai

Emmanuel Macron rappelle que les eurodéputés ont voté contre un soutien financier à l’Ukraine au Parlement européen. « C’est faux », lui répond Marine Le Pen.

Pourtant, le 16 février 2022, tous les eurodéputés du Rassemblement national avaient, en effet, voté contre une résolution du Parlement européen approuvant l’octroi d’un prêt de 1,2 milliard d’euros à l’Ukraine, qui rencontrait des difficultés financières, en raison de la menace militaire russe.

Pour justifier leur opposition à ce texte, les eurodéputés RN ont expliqué que cette dépense était inutile, car les précédentes aides fournies à l’Ukraine n’avaient pas eu de résultats en matière de lutte contre la corruption.

Marine Le Pen

« J’ai été obligée d'aller faire un prêt à l’étranger (...). Je n’ai pas d'autre dépendance que de rembourser mon prêt. »

Comprendre la polémique

Emmanuel Macron souligne les liens financiers du Rassemblement national avec la Russie. Le RN a, en effet, pu trouver à Moscou un soutien financier qui lui faisait souvent défaut en France, en raison de la frilosité des banques à prêter de l’argent à l’extrême droite.

En avril 2014, le microparti de Jean-Marie Le Pen, Cotelec, a reçu un prêt de 2 millions d’euros de la part d’une obscure société offshore chypriote, Vernonsia Holdings Ltd. Si l’identité du propriétaire de cette société n’a jamais été clairement établie, Mediapart a révélé qu’elle était alimentée par des fonds russes et liée à Yuri Kudimov – un ancien agent du KGB qui a dirigé la banque d’Etat russe VTB, considéré comme proche de l’influent oligarque Konstantin Malofeev. Le RN a indirectement bénéficié de ce prêt, puisqu’il a emprunté de l’argent à Cotelec pour financer la campagne présidentielle de 2017.

En 2014, le FN a aussi directement contracté un prêt auprès d’une banque russe, la First-Czech Russian Bank, pour financer sa campagne pour les élections régionales et départementales de 2015. Un crédit de 9,4 millions d’euros que le parti doit rembourser jusqu’en 2028 auprès des créanciers de la banque, qui a fait faillite entre-temps.

L’opposant russe Alexeï Navalny a souligné quelques heures avant ce débat, dans plusieurs tweets, les liens qu’entretenait cette dernière banque avec des proches de Vladimir Poutine.

Marine Le Pen

« Vous avez reçu M. Poutine en grande pompe à Versailles. »

Vrai, mais…

Accusée de complaisance avec Moscou, Marine Le Pen a tenté de retourner le compliment au président actuel, arguant qu’il avait « reçu Vladimir Poutine en grande pompe à Versailles ». Ce n’est pas la première fois que le RN tente d’affaiblir le locataire de l’Elysée avec cet argument. « Poutine est le premier chef d’Etat que Macron est allé voir en 2017 », avait déjà affirmé le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, lors d’un débat, le 17 avril, avec le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal (en réalité, c’est à Angela Merkel qu’Emmanuel Macron a réservé sa première visite officielle, le 15 mai 2017).

Le président fraîchement nommé a bien rencontré Vladimir Poutine peu de temps après, le 29 mai, mais il n’est pas allé le voir : il l’a reçu, en l’occurrence au château de Versailles – sur ce point, Marine Le Pen a raison, quand son numéro deux se trompe.

En revanche, il ne s’agissait pas vraiment d’un tapis rouge déroulé à Vladimir Poutine : la rencontre avait, en effet, été marquée par l’évocation de plusieurs « points de friction », comme les avait pudiquement caractérisés le président russe, tels que l’Ukraine, la Syrie, les droits de l’homme en Tchétchénie et la propagande russe en France. Emmanuel Macron, qui avait alors cherché à marquer son territoire et sa différence, s’était félicité d’un « dialogue direct et franc ».

Sur l’emploi

Marine Le Pen : « Le chômage, c’est un chiffre contesté. Les chômeurs A, B, C étaient 5,5 millions quand vous avez été élu, ils sont 5,4 millions. Vous n’avez pas spectaculairement fait baisser les chiffres. »

Emmanuel Macron : « Contrairement aux chiffres que vous donnez, on a baissé le chômage, il est passé de 9,6 % à 7,4 %, et le Bureau international du travail est l’organisme qui fait référence. Personne n’utilise les catégories B et C. »

Une baisse réelle

Emmanuel Macron a raison lorsqu’il explique que le taux de chômage est passé de 9,6 % à 7,4 % entre 2017 et le quatrième trimestre 2021. Le taux de chômage en France a reculé de 0,6 point au quatrième trimestre 2021, pour concerner 7,4 % de la population active, selon l’Insee, un taux calculé selon la définition du Bureau international du travail (BIT). Ce sont les seules données internationalement reconnues. Et il était bien de 9,6 % au premier trimestre 2017.

Ce taux de 7,4 % est « à son plus bas niveau depuis 2008, si l’on excepte la baisse ponctuelle en trompe-l’œil du printemps 2020, liée à la crise sanitaire », détaille l’Insee. Toutefois, cette baisse du taux de chômage cache, notamment, l’émergence d’une nouvelle forme de précarité : le travail à la tâche, souvent qualifié d’« ubérisation de la société », l’un des principaux marqueurs économiques du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Fin 2021, le taux de chômage au plus bas depuis 2008

Taux de chômage au sens du BIT pour toute la France (hors Mayotte), en % de la population active

Source : Insee

Marine Le Pen conteste ces chiffres en affirmant que le nombre de chômeurs est le même qu’au début de son mandat. Elle se fonde sur les chiffres de Pôle emploi, qui livre mensuellement les chiffres des demandeurs d’emploi inscrits dans ses agences en fin de mois et possède ses propres catégories : A pour les chômeurs n’ayant pas travaillé du tout, B et C pour ceux qui ont eu une activité partielle. Emmanuel Macron a donc raison de lui dire qu’elle a tort d’employer dans son calcul les catégories B et C, car ce sont des personnes en activité partielle.

En général, on retient le chiffre de la seule catégorie A et pour la seule France métropolitaine. Comme le note le ministère du travail, les chiffres du chômage au sens du BIT sont généralement retenus comme étant l’« indicateur de référence pour l’analyse des évolutions du marché du travail ».

Marine Le Pen

« J'ai oublié les 17 000, 15 000, 14 500, pardon, emplois industriels perdus sous votre quinquennat. »

Un chiffre un peu surestimé

Dans sa critique du bilan du président sortant, Marine Le Pen a reproché à Emmanuel Macron la destruction de 14 500 emplois dans l’industrie durant son mandat. Le constat est juste, au sens où l’emploi industriel a baissé en cinq ans, mais le chiffre est gonflé.

Selon les chiffres de l’Insee, lorsque Emmanuel Macron accède à l’Elysée au second trimestre 2017, l’industrie représente 3 135 200 emplois en France. Au dernier trimestre connu, fin 2021, elle se situe à 3 131 500 au quatrième trimestre 2021, soit 4 700 emplois détruits. C’est trois fois moins que ce qu’affirme Marine Le Pen.

A noter qu’Emmanuel Macron avait très largement embelli son bilan sur le sujet, dans sa lettre aux Français publiée dans la presse régionale le 3 mars. « Nous avons tenu bon sans jamais renoncer à agir. Grâce aux réformes menées, notre industrie a pour la première fois recréé des emplois », s’y félicitait le locataire de l’Elysée. Une déclaration justifiée sur quelques périodes, notamment d’avril 2018 à mars 2019 et lors des six premiers mois de l’année 2021, mais mensongère sur l’ensemble de son quinquennat.

Marine Le Pen

« Vous avez licencié 15 000 soignants, sans salaire du jour au lendemain, parce que vous vouliez à tout prix qu’ils soient vaccinés. »

Un manque de données

Marine Le Pen revient sur le sort des personnels hospitaliers et d’établissements de santé qui étaient soumis à l’obligation de se faire vacciner contre le Covid-19.

A l’automne 2021, le ministère a bien évoqué la proportion de 15 000 personnels suspendus (et non pas « licenciés »). Il s’agissait d’un ratio correspondant à environ 0,5 % des 2,7 millions de personnels concernés par l’obligation.

Ce chiffre doit être pris avec précaution. D’une part, il ne s’agissait pas uniquement de soignants, mais aussi de tous les personnels administratifs des hôpitaux. Or, selon le ministère de la santé, les soignants étaient minoritaires parmi les suspendus.

D’autre part, il s’agit de 15 000 personnes à qui la suspension a été notifiée en octobre 2021, mais qui ont pu être réintégrées ensuite, après avoir discuté avec les ressources humaines, et être entrées dans un schéma vaccinal. Le ministère de la santé assure qu’ils ont été nombreux à se mettre en conformité, mais n’a communiqué aucun chiffre final.

Emmanuel Macron

« Il n’y a pas des centaines de milliers de travailleurs détachés. Il y a environ 500 000 tâches en France, qui correspondent à environ 50 000 travailleurs détachés. »

Un chiffre très sous-estimé

Selon les données publiées en 2021 par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), sur l’ensemble de l’année 2019, hors transport routier, 261 300 salariés ont été détachés au moins une fois en France par des entreprises établies à l’étranger et ont effectué au total 675 300 détachements. « Le nombre de travailleurs détachés présents à une date donnée, qui est plus comparable au nombre de salariés en emploi, s’établit en moyenne à 72 600 en 2019 (+ 5,9 % par rapport à 2018). En effet, les travailleurs recensés en 2019 cumulent en moyenne 101 jours de détachement sur l’année, avec des durées plus longues dans la construction (123 jours en moyenne) et plus courtes dans les services (68 jours). Les travailleurs détachés sont à 34 % dans l’industrie, 34 % dans la construction, 20 % dans les services et 9 % dans l’agriculture », explique encore l’étude de la Dares.

Donc les travailleurs détachés sont plus nombreux que les « environ 50 000 » mentionnés par Emmanuel Macron, mais ils ne sont pas des centaines de milliers, comme l’a affirmé Marine Le Pen.

Sur l’environnement

Marine Le Pen

« Vous voulez mettre [des éoliennes] sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet. (…) Tous les projets ont été actés, sauf celui en face du Touquet. »

Exagéré

Opposée à l’éolien, la candidate accuse de manière voilée le président sortant de tenir un double discours, poussant au développement de dizaines de projets d’éolien en mer, à l’exception de celui du Touquet, où le couple Macron possède une villa.

Elle dit vrai sur un point : comme le relevait France 3 Hauts-de-France en août 2017, le projet d’installation de quarante éoliennes offshore face au Touquet a bien été suspendu par le gouvernement, en l’occurrence par le ministre de l’environnement d’alors, Nicolas Hulot, face à la forte opposition locale, notamment portée par… plusieurs militants de La République en marche (LRM).

La candidate du RN exagère néanmoins lorsqu’elle affirme qu’il s’agit du seul projet du genre qui n’ait pas été validé : de nombreux projets ont été également abandonnés, comme à Jans, en Loire-Atlantique, à Ruesnes, dans le Nord, à Trédias, dans les Côtes-d’Armor, à Armaillé, en Maine-et-Loire…, que ce soit sur intervention de la justice, de la préfecture ou encore du Conseil d’Etat. Chaque fois, des riverains ou des élus locaux ont obtenu la suspension, voire l’annulation d’une installation.

Emmanuel Macron

« J’ai doublé le rythme de réduction de gaz à effet de serre durant ce quinquennat. »

Plutôt vrai

Le président de la République a loué son bilan en matière d’écologie, en affirmant notamment avoir « doublé le rythme de réduction de gaz à effet de serre durant ce quinquennat ». Les chiffres lui donnent plutôt raison.

Lors du quinquennat précédent, les émissions de gaz à effet de serre (GES) en métropole ont diminué de 5 %, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa). Entre 2012 et 2016, les émissions de GES sont passées de 471 à 447 millions de tonnes de CO2 (hors puits de carbone), soit une réduction de 5 %. Sous le mandat d’Emmanuel Macron, avec les données dont on dispose actuellement, les émissions de GES sont passées de 447 à 407 millions de tonnes de CO2, soit une baisse de 9 % sur ces quatre dernières années.

La crise sanitaire liée au Covid-19 a bien évidemment eu un impact sur cette baisse – les émissions liées aux transports étaient moindres, notamment –, mais d’autres facteurs sont à prendre en compte : les évolutions peuvent être des effets « en retard » de politiques ou réglementations passées, souligne le Citepa, ou d’effets conjoncturels sans lien avec les politiques nationales – par exemple, la variation de la consommation énergétique pour le chauffage provoquée par des hivers rigoureux.

Marine Le Pen

« Les importations représentent la moitié de l’empreinte carbone. »

Plutôt vrai

Marine Le Pen a dénoncé « l’hypocrisie qui consiste à refuser de voir que c’est le modèle économique fondé sur le libre-échange qui est responsable d’une grande partie de l’émission des gaz à effet de serre en France ». Selon la candidate du RN, les importations représentent 50 % des GES.

C’est vrai, selon les estimations du ministère de la transition écologique, les émissions associées aux importations représentaient en 2020 près de la moitié (49 %) de l’empreinte carbone, c’est-à-dire de la quantité de GES induite par la demande finale intérieure d’un pays. Le rapport précise que celles-ci proviennent :

  • des biens et services importés et destinés à la demande finale intérieure (114 mégatonnes en équivalent de CO2) ;
  • des matières premières ou des produits semi-finis importés et consommés par l’appareil productif intérieur (154 mégatonnes en équivalent de CO2).

L’analyse du ministère précise d’ailleurs que, « par rapport à 1995, l’empreinte carbone de la France a diminué de 15 % : les émissions intérieures se sont réduites de 31 % tandis que les émissions associées aux importations se sont accrues de 12 % ».

M. Macron a rétorqué à son adversaire que ces importations étaient majoritairement des hydrocarbures, sur lesquelles elle souhaite baisser la fiscalité, et donc le prix.

Sur l’éducation

Emmanuel Macron : « Je veux continuer à investir dans les fondamentaux en remettant les mathématiques jusqu’au baccalauréat. »

Marine Le Pen : « Là encore, vous êtes un peu confus. Vous avez supprimé les mathématiques, vous les avez rétablies. »

Un revirement récent

La situation est, en effet, confuse du fait des réformes successives et récentes. A la rentrée 2019, en raison de l’entrée en vigueur de la réforme du lycée, les mathématiques étaient devenues une spécialité au choix à partir de la première. Mais face au constat d’une discipline en recul, avec 18 % d’heures d’enseignement en moins entre 2019 et 2021, et un décalage entre filles et garçons, plusieurs rapports ont recommandé une nouvelle réforme. En mars, l’éducation nationale a donc choisi de suivre la principale recommandation du comité d’experts mandaté par le ministre, Jean-Michel Blanquer, pour trouver une solution. Ainsi, à la rentrée 2022, une heure et demie supplémentaire par semaine sera ajoutée au tronc commun des élèves de 1re générale qui ne suivent pas la spécialité mathématiques. Emmanuel Macron affirme lors de ce débat qu’il souhaite poursuivre la réforme pour que les maths restent au tronc commun tout au long du lycée.

Sur la sécurité

Marine Le Pen

« Dans la rue, de manière gratuite, il y a une agression toutes les quarante-quatre secondes. »

Un chiffre mal interprété

Le chiffre énoncé par la candidate d’extrême droite se fonde sur un article du Figaro de 2020. Il s’agit, en fait, d’un entretien avec le pédopsychiatre et psychanalyste Maurice Berger publié le 12 juillet dans lequel il déclarait que : « En 2018, une enquête de l’Insee a indiqué une violence gratuite toutes les quarante-quatre secondes en France. Tout citoyen peut s’y trouver confronté. »

L’Insee est bien à l’origine de la publication d’une enquête annuelle intitulée « Cadre de vie et sécurité ». Cette étude dite de « victimation » consiste à demander à un échantillon représentatif de personnes si elles ont été victimes de différents types d’infractions. Cela permet d’estimer le nombre de faits qui ne donnent pas toujours lieu à un dépôt de plainte.

Contrairement à ce que M. Berger avance et à ce que relaie Mme Le Pen, l’étude ne mesure pas des « violences gratuites » ou des « agressions gratuites ». Le terme n’y est tout simplement pas employé. Elle aborde, en revanche, le cas des violences physiques en dehors du ménage, vols et tentatives de vol mis à part. En 2018, 710 000 personnes en ont été victimes, selon la dernière enquête. Soit environ 1 945 agressions par jour, donc environ une « toutes les quarante-quatre secondes ». Le chiffre existe donc bel est bien, mais il recouvre une multiplicité de situations.

Sur les institutions

Marine Le Pen

« Dans mon référendum sur l’immigration, il y a une révision constitutionnelle. Je passerai par l’article 11, comme le général de Gaulle l’a fait en 1962. Le souverain, c'est le peuple. »

Un projet difficile à mettre en œuvre

La candidate d’extrême droite a réitéré son projet d’utiliser l’article 11 de la Constitution pour mener à bien sa réforme, à l’instar du général de Gaulle en 1962, qui avait mobilisé cet article pour instaurer le suffrage universel direct à l’élection présidentielle. Mais, selon de nombreux juristes, le programme de Marine Le Pen ne respecte pas la Constitution.

Dans les faits, Mme Le Pen peut engager une procédure de révision constitutionnelle avec l’article 89, mais le texte doit être approuvé par le Parlement. Consciente de la difficulté d’obtenir une majorité parlementaire, la candidate du RN entend contourner l’obstacle en passant par l’article 11 de la Constitution. Le texte dispose qu’on peut soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Les textes qui peuvent être soumis à référendum portent donc sur des sujets limités.

Mais la tâche s’annonce ardue. D’une part, Mme Le Pen aurait des difficultés à faire entrer la politique migratoire et sécuritaire dans le champ de l’article 11. D’autre part, l’instauration de la « priorité nationale » prendrait la forme d’une discrimination institutionnalisée et porterait directement atteinte au principe d’égalité et de tradition républicaine exprimé dans la Constitution. Aussi, le coup de force du général de Gaulle en 1962 avait provoqué l’ire d’une grande majorité de juristes qui jugeaient « abusive » l’utilisation de l’article 11.

Surtout, le Conseil d’Etat a pris position en expliquant que l’article 11 « porte uniquement sur des matières législatives et ne peut donc pas implicitement réviser la Constitution », résumait auprès du Monde Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines. « Le Conseil d’Etat a dit qu’il y a, d’une part, l’article 89 pour réviser la Constitution, et, d’autre part, l’article 11 pour les projets de loi ordinaires », renchérissait Patrick Wachsmann, professeur émérite de droit public à l’université de Strasbourg, pour qui « les choses sont claires du point de vue juridique ». Ainsi, la grande majorité des juristes s’accorde à dire que la seule voie possible pour réviser la Constitution passe par l’article 89, et non l’article 11.

Emmanuel Macron

« J’ai échoué durant ce quinquennat à faire la réforme constitutionnelle que je voulais faire, je n'ai pas eu d'accord. (...) L'Assemblée qui sera élue dans quelques semaines ne sera pas élue à la proportionnelle car je n'ai pas réussi à faire ce changement. J'y suis favorable à titre personnel. »

Une simple loi aurait pu suffire

Promesse du candidat Macron en 2017, l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives (15 %) a d’abord été intégrée à la réforme constitutionnelle présentée en avril 2018. Celle-ci prévoyait la concrétisation de trois autres promesses : la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps et l’accélération de la procédure parlementaire. D’abord suspendue par l’affaire Benalla, la réforme est relancée à l’été 2019 par Emmanuel Macron, avec un nouveau projet de loi légèrement modifié. Mais l’exécutif anticipe notamment une opposition du Sénat, dominé par la droite. Or, une révision de la Constitution prévoit l’accord des deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat. Ainsi, cette nouvelle mouture n’a jamais été examinée par le Parlement.

Contrairement à ce que laisse entendre Emmanuel Macron, l’introduction d’une dose de proportionnelle aurait cependant pu être mise en place en dehors d’une révision constitutionnelle, par une loi simple votée au Parlement (où l’Assemblée, acquise au président, a le dernier mot). « On pourrait décider de passer seul, malgré l’opposition du Sénat, mais je pense que ce n’est pas le bon cadre aujourd’hui », avait lui-même concédé Christophe Castaner, président du groupe LRM à l’Assemblée, le 18 mars 2021 sur Franceinfo.

François Bayrou, proche soutien d’Emmanuel Macron, avait rendu publique en février 2021 une lettre adressée au président dans laquelle il lui demandait de relancer cette réforme : il évoquait également la possibilité de faire passer cette mesure par référendum, grâce à l’article 11 de la Constitution.

Mise à jour le 21 avril : ajout de deux vérifications sur le thème de l’environnement.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.