Même les formes légères du COVID-19 peuvent endommager notre cerveau

Des imageries cérébrales montrent que le COVID-19 peut entraîner des troubles cognitifs tels que des problèmes de mémoire ou des difficultés de concentration chez certains patients, même si leurs symptômes étaient légers durant la maladie.

De Sanjay Mishra
Publication 20 avr. 2022, 16:48 CEST
Brain

Un technicien prépare un cerveau donné pour la conservation. De tels échantillons d’organes sont essentiels pour étudier l’impact du COVID-19, des maladies neurodégénératives et du vieillissement sur le cerveau.

PHOTOGRAPHIE DE Luca Locatelli for National Geographic

Après avoir été clouée au lit par la fièvre et la toux pendant trois jours et demi, Elena Katzap pensait que le COVID-19 était derrière elle. Cette écrivaine et enseignante de Los Angeles a contracté le virus à la fin du mois de janvier 2022, et elle était reconnaissante de n’avoir eu qu’une forme bénigne de la maladie : elle n’a pas eu de difficultés respiratoires, n’a pas dû être hospitalisée, et s’est rétablie en quelques jours.

« Je me souviens très précisément avoir dit : "C’est si bon d’être à nouveau en bonne santé" », confie Katzap. « Puis, tout d’un coup, le lendemain, ça m’a frappée, et je ne savais pas ce que c’était, parce que ça a commencé par des nausées, des problèmes d’estomac et des oublis bizarres. »

Depuis, Katzap a connu une perte de mémoire aiguë accompagnée d’un manque de concentration. Elle a des blancs au milieu des conversations, et les mots lui manquent parfois en plein milieu d’une phrase. « Ce n’est pas physiquement douloureux, mais c’est tellement frustrant », déplore-t-elle.

Aux États-Unis, sur les 80 millions de personnes ayant été infectées par le COVID-19 à ce jour, environ une sur quatre souffre de troubles cognitifs, communément appelés « brouillard cérébral ». Selon Edward Shorter, professeur de psychiatrie à l’université de Toronto, bien qu’il ne s’agisse pas d’un terme médical officiel, celui-ci est devenu un terme générique pour décrire un ensemble de symptômes tels que la confusion, les difficultés à trouver les mots, les pertes de mémoire à court terme, les vertiges ou encore l’incapacité à se concentrer.

Les patients atteints du COVID-19 qui sont hospitalisés sont presque trois fois plus susceptibles de présenter des troubles cognitifs que ceux qui ne sont pas hospitalisés. Mais les scanners cérébraux montrent désormais que même un cas léger de COVID-19 peut rétrécir une partie du cerveau, provoquant des changements physiques équivalents à une décennie de vieillissement.

« Il existe des preuves de lésions neurologiques [post-COVID-19] qui sont persistantes », déclare Ayush Batra, neurologue à l’école de médecine Feinberg de l’université Northwestern. « Nous en voyons les preuves biologiques et biochimiques, nous en voyons les preuves radiographiques et, surtout, les patients se plaignent de leurs symptômes. Cela affecte leur qualité de vie et leur fonctionnement au quotidien. » Batra, avec ses collègues, a mis en évidence des indicateurs chimiques de neurones cérébraux endommagés chez les patients atteints du COVID long et présentant des symptômes neurologiques.

 

L’IMPACT DRASTIQUE DU COVID-19 SUR LE CERVEAU

Certaines des preuves les plus convaincantes de l’existence de lésions neurologiques après un COVID-19 léger ont été trouvées par des chercheurs britanniques qui ont étudié les changements cérébraux chez des personnes avant et après la maladie.

Les 785 participants, âgés de 51 à 81 ans, à qui on avait déjà fait des scanners avant le début de la pandémie, en ont refait à trois ans d’intervalle en moyenne dans le cadre du projet britannique Biobank. Les analyses ou les dossiers médicaux ont montré que 401 de ces volontaires avaient été infectés par le SARS-CoV-2. La plupart avaient eu des infections bénignes : seuls 15 avaient été hospitalisés parmi les 401.

Les résultats ont montré que quatre mois et demi après un cas léger de COVID-19, les patients avaient perdu, en moyenne, entre 0,2 et 2 % de leur volume cérébral et présentaient une matière grise plus fine que les personnes en bonne santé. À titre de comparaison, les personnes âgées perdent chaque année entre 0,2 et 0,3 % de leur matière grise dans l’hippocampe, une région liée à la mémoire.

Dans la région du cerveau liée à l’odorat, les patients ayant été atteints par le COVID-19 présentaient 0,7 % de lésions tissulaires de plus que les personnes en bonne santé.

Les performances des participants infectés lors des tests cognitifs ont également diminué plus rapidement qu’avant la maladie. Dans le cadre des deux tests mesurant l’attention, la capacité de dépistage visuel et la vitesse de traitement, ils ont mis 8 et 12 % plus longtemps. Les patients n’étaient toutefois pas significativement plus lents lors des tests de mémoire, de temps de réaction ou de raisonnement.

« Nous avons pu établir un lien entre ce déclin plus marqué des capacités mentales et la perte plus importante de matière grise dans une partie spécifique du cerveau », explique Gwenaëlle Douaud, neuroscientifique à l’université d’Oxford, qui a dirigé l’étude britannique.

Comment se développe notre cerveau au fil du temps ?

Dans l’ensemble, les études montrent systématiquement que les patients qui ont été atteints par le COVID-19 obtiennent des résultats significativement plus faibles aux tests d’attention, de mémoire et de fonctions exécutives que les personnes en bonne santé. Jacques Hugon, neurologue à l’hôpital Lariboisière de l’université de Paris, affirme qu’il n'est pas certain que le cerveau se répare de lui-même ou que les patients puissent un jour se rétablir, même avec une rééducation cognitive.

« Nous ne savons pas exactement ce qui se passe dans le cerveau », dit Hugon. Peut-être que les dommages causés par le COVID-19 dans le cerveau évolueront vers divers troubles neurodégénératifs. « Nous n’en sommes pas sûrs pour le moment, mais c’est un risque, et nous devrons suivre [les patients] très attentivement pendant les années à venir. »

 

LES CAUSES DE CES TROUBLES COGNITIFS

Même avant l’apparition du COVID-19, les infections virales étaient connues pour provoquer des déficiences cognitives durables, et il est bien établi que les infections virales augmentent considérablement le nombre de maladies neurologiques dans le monde. Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus sur la cause exacte des impacts cognitifs du COVID-19, ses effets sur divers organes peuvent être catastrophiques, ce qui signifie que la maladie est capable d’affecter le cerveau de bien des façons.

Puisque le COVID-19 affecte la respiration, il peut priver le cerveau d’oxygène, comme le montrent des données d’autopsie en Finlande. Dans de rares cas, le COVID-19 peut également endommager le cerveau en provoquant une encéphalite, une forme d’inflammation cérébrale. De manière plus générale, le COVID-19 peut susciter une réponse immunitaire sévère qui déclenche de nombreuses protéines appelées cytokines, qui amplifient l’inflammation dans tout l’organisme. Il a été démontré qu’une inflammation à long terme favorise le déclin cognitif et les maladies neurodégénératives, et pourrait donc être à l’origine de la neurodégénérescence chez les survivants et survivantes du COVID-19.

Le COVID-19 augmente également le risque de formation de caillots sanguins pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois, ce qui peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux qui privent le tissu cérébral d’oxygène. Une étude a révélé que de grandes cellules de la moelle osseuse, responsables de la production de plaquettes coagulantes, étaient logées dans les capillaires cérébraux d’individus décédés de l’infection par le COVID-19. Ces cellules pourraient provoquer des accidents vasculaires cérébraux chez les patients atteints du COVID-19 et déclencher certaines déficiences neurologiques.

Certains scientifiques craignent même que les survivants du COVID-19 soient davantage exposés à la maladie d’Alzheimer, en raison de la présence d’une protéine appelée bêta-amyloïde dans le cerveau de patients plus jeunes décédés du COVID-19.

Les études montrant des preuves directes que le virus SARS-CoV-2 envahit le cerveau sont également de plus en plus nombreuses. Une étude des National Institutes of Health des États-Unis, actuellement en cours de validation, illustre comment le SARS-CoV-2 peut se propager bien au-delà des poumons et des voies respiratoires. Cette étude suggère que l’incapacité du système immunitaire à éliminer le virus de l’organisme pourrait être un facteur contribuant aux symptômes du COVID long, et notamment au brouillard cérébral.

 

RECENSER LES CAS BÉNINS DE COVID-19

Au-delà de l’identification des causes, une préoccupation majeure est qu’il est difficile d’obtenir le nombre exact de patients atteints du COVID-19 ayant développé des problèmes cognitifs, notamment parce que ces symptômes ne se manifestent pas toujours immédiatement après l’infection.

C’est le cas de Richard Newman, un vétéran de l’armée américaine qui est aujourd’hui responsable informatique à Houston, au Texas. Il a été victime d’une grave infection au COVID-19 en juin 2021 et a passé deux semaines en soins intensifs. Mais il n’a commencé à rencontrer des problèmes cognitifs, notamment des difficultés à reconnaître les personnes autour de lui, qu’un mois après sa sortie de l’hôpital.

« Je connaissais leur visage, je savais que j’étais censé les connaître, mais je ne pouvais pas me souvenir de leur nom », affirme Newman. Huit mois après son premier diagnostic de COVID-19, ses symptômes ne se sont guère améliorés. « C'est vraiment horrible, c'est très débilitant et ça affecte vraiment notre qualité de vie », déplore-t-il.

Au moins une étude montre que les deux tiers des survivants du COVID-19 admis dans cinquante-neuf hôpitaux des États-Unis ont été diagnostiqués avec des problèmes cognitifs lors d’un suivi de six mois. Cependant, comme le montre la récente étude britannique, même les cas les plus bénins peuvent présenter un risque, et le suivi de ces patients sera difficile s’ils ne font pas le lien entre leur COVID-19 bénin et les symptômes neurologiques qui apparaissent plus tard. D’autres survivants peuvent être réticents à mentionner leur expérience avec le COVID-19 et les problèmes neurologiques qui en découlent, par crainte de stigmatisation et de discrimination.

Les experts s’inquiètent également du fait qu’entre la grande disponibilité des vaccins et la croissance des variants Omicron qui sont relativement plus légers, les personnes baissent trop rapidement leur garde car elles ne s’inquiètent pas des éventuels dommages cognitifs liés à la maladie. Bien que les vaccins contre le COVID-19 soient très efficaces pour protéger contre les cas graves de la maladie, ils ne protègent pas contre le « COVID long » chez les personnes qui sont infectées malgré la vaccination.

« Nous devons cesser de ne quantifier l’impact de la maladie qu’en termes de décès et de cas graves », déclare Douaud, de l’université d'Oxford, « car les études sur le COVID long, ainsi que notre étude, montrent que même une infection légère peut causer des dégâts ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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