French far-right Rassemblement National (RN) party Member of Parliament and presidential candidate Marine Le Pen (C) waves to onlookers during a campaign visit to Saint-Remy-sur-Avre, northwestern France, on April 16, 2022, ahead of the second round of France's presidential election. - Marine Le Pen faces the incumbent president in a run-off vote on April 24, 2022. (Photo by JULIEN DE ROSA / AFP)

Marine Le Pen en campagne avant le second tour, dimanche 24 avril 2022.

AFP

Avec l'élection présidentielle, la France vit son moment trumpien. Elle prend conscience qu'elle repose sur un socle démocratique assez fragile pour pouvoir détruire les alliances même imparfaites qui sont pourtant la seule condition de sa force, dans un monde tenu par les grandes puissances. Ces alliances structurantes, ce sont l'Otan, l'Union européenne, l'euro.

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Comme ce fut le cas avec l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, une large majorité des électeurs français du premier tour (60 %), ajoutés aux abstentionnistes (26 %), ont voté pour, ou laissé gagner, des partis extrêmes, populistes de gauche ou nationalistes populistes, protestataires, antiélites, antisystème, antieuropéens, pro-Poutine ou indulgents avec lui.

Ils ont voté de fait, et quelles que soient leurs motivations ou tactiques initiales, pour des candidats qui refusent de livrer des armes à l'Ukraine et d'imposer des sanctions à la Russie, et qui n'hésitent pas, au nom d'un soi-disant "pacifisme", à adouber l'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine et à lui donner quitus pour sa guerre d'agression. Ils ont voté pour des candidats qui ménagent le dictateur russe ou le soutiennent franchement, en renvoyant dos à dos l'Alliance atlantique et la Russie de Poutine dans les responsabilités de la guerre. Ils ont voté pour des candidats qui n'établissent pas de hiérarchie ni de préférence entre la dictature et la démocratie.

Une élection cruciale pour la marche du monde

Cette élection est historique car elle est un point de bascule géopolitique. Elle se tient au moment même où une ligne de fracture se redessine sur la planète comme jamais depuis la fin de la guerre froide, entre d'un côté le camp des dictatures et régimes autoritaires (Russie, Chine et partenaires) et de l'autre celui des démocraties occidentales - certes pas toujours exemplaires (Etats-Unis, Union européenne, alliés de l'Otan).

Elle se tient au moment où les alliances se nouent et se défont autour d'une guerre d'invasion sauvage livrée par une puissance nucléaire sur le continent européen, pour la première fois dans le monde d'après 1945. Elle est aussi un référendum déguisé sur le Frexit, au coeur de la bataille idéologique toujours vivace entre nationalistes et européens. Jamais un scrutin français n'aura été à ce point au coeur des enjeux mondiaux.

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Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui s'affrontent en finale pour la seconde fois, livrent une bataille beaucoup plus serrée. Emmanuel Macron, qui n'a plus la fraîcheur de la disruption, incarne un centrisme fragile qui n'est plus central, pris en tenaille entre une gauche et une droite radicalisées. Marine Le Pen, elle, a changé de stratégie : elle ne veut plus qu'on la dise ni d'extrême droite, ni amie de Poutine, ni antieuro, ni anti-Europe. Depuis son catastrophique débat de 2017 face à Macron et sa tirade ratée contre la monnaie unique, elle a opéré un virage sur l'aile, du moins dans les mots. Les Français sont attachés à l'UE et à l'euro ? Elle les garde ! Depuis la guerre en Ukraine, autre virage express. Les images de crimes de guerre sont impopulaires ? Elle se distancie de son mentor du Kremlin et envoie au pilon les brochures électorales où figurait la photo de sa rencontre de 2017 avec lui.

Son programme signe la fin de la France dans l'UE

Marine Le Pen avance désormais en tenue de camouflage. Porte-parole volontaire (ou non) de Vladimir Poutine, elle reprend mot pour mot les deux piliers de ce qu'il proclame être sa "guerre contre l'Occident" : la division de l'Alliance atlantique et l'affaiblissement de l'Union européenne. Frexiteuse masquée, ses généralités rassurantes sur le maintien de l'euro ne résistent pas à la réalité de son programme, qui conduit tout droit à une sortie de l'UE.

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En instaurant un "contrôle national aux frontières", elle remet en cause le marché unique, pilier de la construction européenne. En contestant la coopération franco-allemande ou la primauté du droit européen, elle anéantit les moteurs de l'UE. En limitant la contribution nette de la France au budget commun, elle crée un casus belli. Et qui dit Frexit dit sortie de l'euro (ce à quoi elle avait, raisonnablement, décidé de renoncer).

Reste son "alliance des nations" - sous-entendu : des nations fidèles au modèle poutinien de la "démocratie illibérale". Problème : la guerre en Ukraine a pulvérisé le groupe des copains illibéraux, tous anti-Poutine, sauf deux : Marine Le Pen et Viktor Orban, réélu à la tête de la Hongrie (10 millions d'habitants). Lui reste l'alliance avec un grand dictateur russe et un petit autocrate hongrois, avec lesquels elle a contracté des prêts bancaires. La gloire patriotique selon Le Pen.

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