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Abandonnée il y a 38 ans dans une gare de Barcelone, une fratrie d'orphelins cherche des réponses

Ramon, Elvira et Ricard (de gauche à droite), en 2021 et sur la photo de l'avis de recherche diffusé en 1984.

Ramon, Elvira et Ricard (de gauche à droite), en 2021 et sur la photo de l'avis de recherche diffusé en 1984. - BFMTV

Elvira, Ricard et Ramon n'avaient que 2, 4 et 6 ans lorsqu'ils ont été abandonnés par leurs parents dans une gare de Barcelone en 1984. Depuis plusieurs années, les trois frères et soeurs cherchent désespérement des informations sur qui étaient leur père et leur mère, et ce qu'ils sont advenus. Ils racontent leur quête à BFMTV.com.

Leur père faisait-il partie du grand banditisme qui opérait entre la France et l'Espagne? Lui et leur mère ont-ils été tués dans les années 80 à Paris? Elvira, Ricard et Ramon n'en savent rien. Cela fait pourtant des années que la petite fratrie essaie de retracer ce qu'il s'est passé le jour où ils ont été abandonnés à leur sort dans une gare de Barcelone, alors qu'ils n'avaient respectivement que 2, 4 et 6 ans.

"Nous essayons de comprendre ce qu'il s’est passé"

Ce jour-là, le 22 avril 1984, les trois enfants arrivent "à la 'estaciόn de Francia' (gare de France) de Barcelone en voiture, dans une Mercedes de couleur blanche, conduite par un homme qui s’appelle Denis, un ami de (leur) père". Selon Elvira, cet homme "les accompagne jusque dans la gare, (leur) dit d’attendre un peu ici car il va (leur) acheter des bonbons.

"Nous nous sommes mis à jouer en l’attendant mais il n’est jamais revenu", raconte à BFMTV.com Elvira Morral.

À ce moment-là, les trois enfants sont décrits comme "propres, correctement habillés, bien nourris et sans aucune marque de sévices" par la police espagnole. Mais eux parlent en français, ne connaissent pas leur nom de famille ni même les prénoms de leurs parents. Des avis de recherche sont diffusés en français comme en espagnol, en vain.

"On a tellement d’hypothèses", confie-t-elle. "Ils auraient pu avoir été tués, expliquant pourquoi Denis nous aurait laissé à la gare mais ça n'est qu'une hypothèse, je pourrais dérouler 30.000 autres scenarii possibles. Encore aujourd’hui nous essayons de comprendre ce qu'il s’est passé".

"Nous avons disparu tous les cinq"

La jeune femme de 41 ans a été adoptée par une famille aimante en Espagne avec ses deux frères à l'âge de 4 ans, et dit avoir ressenti l'envie d'en savoir plus sur ses origines une fois qu'elle est devenue mère à son tour, "durant le confinement" de 2020. "Je commençais à me poser des questions: 'comment était mon enfance? Qu’a fait ma mère avec moi lorsque je suis née? Est-ce qu’elle m’avait donné le sein? Est-ce qu’elle m’a nourri comme ceci ou comme cela?' Lorsqu’on a un bébé c’est le genre de questions que l’on se pose".

Elvira, aujourd'hui enseignante, se lance alors dans des recherches acharnées, notamment généalogiques via un test ADN, grâce auxquelles elle retrouve des cousins éloignés. En mai 2021, elle parvient à rencontrer "une tante, des oncles et tout un tas de cousin" du côté maternel, et des tantes et des cousines "du côté paternel".

"Nous étions choqués, on n’arrivait pas à croire ce qui nous arrivait. (...) Lorsque que j’ai contacté ma famille pour la première fois, la première question qu’eux-mêmes m’ont posé c’est 'où sont tes parents?' C’était… wahou… Je leur ai répondu: 'ah non, c’est moi qui vous contacte pour savoir où ils sont'".

La famille d'Elvira lui révèle de précieuses informations sur ses parents, et sur leur histoire. Elle apprend qu'ils s'appellent Rosario Cuetos Cruz (née à Madrid en 1949) et Ramon Martos Sanchez (né en 1949 à Séville). Ils "sont partis en France", "c'est là qu'ils nous ont eu" et que "c'est à partir de 1983 que plus personne n’a plus jamais eu de nouvelles de nous, nous avons disparu tous les cinq".

"Comme nous parlions français en arrivant ici, nous pensions que nous étions Français mais nous nous sommes rendus compte qu’en vérité nous étions Espagnols", s'étonne encore Elvira à notre micro.

Un père baignant dans le grand banditisme?

"Ils nous ont dit que nos parents nous ont toujours aimé, que nous vivions avec eux et que nous voyagions beaucoup. Nous avons découvert qu'ils s’étaient enfuis à Paris, que nous avions voyagé en Belgique, en Suisse et dans différents endroits en France". Une interrogation demeure toutefois: la fratrie ne sait toujours pas ce que faisaient exactement ses parents dans la vie.

"Nous pensons que notre père s’adonnait à des activités illégales, qu’il versait dans la délinquance", nous confie Elvira Morall. "La famille nous a dit que nos parents n'étaient pas des personnes avec des métiers stables (...) Nous n'en sommes pas sûrs, mais par exemple il n’avait pas de numéro de sécurité sociale. Après c’étaient des personnes qui avaient de l’argent, on se déplaçait en voiture de luxe, on avait des vêtements de luxe. Et lorsqu’on a rencontré nos familles, ils nous ont montré des photos qui correspondaient aux souvenirs de mon frère".

Ceux qui en savaient sans doute le plus, à savoir leurs grands-parents, sont malheureusement morts. Aujourd'hui, Elvira Morral espère "trouver quelqu’un à qui cette histoire dirait quelque chose ou qui se rappellerait de nous ou de nos parents".

Récemment, grâce à l'aide d'un généalogiste et d'autres criminologues, la jeune femme a pu dénicher un certain nombre de documents précieux, tels que son acte de naissance. Après toutes ces années dans l'ignorance, Elvira Morall peut enfin fêter son anniversaire, et sait désormais qu'elle est née le 29 décembre 1981 à l'hôpital Bichat.

>> Si quiconque a des informations à ce sujet, merci d'écrire à "ramonricardelvira84@gmail.com".

Sarafina Spautz et Jeanne Bulant