Guerre en Ukraine : les forces russes font des listes de journalistes à interpeller

Dans la région de Zaporijjia, en grande partie occupée, les soldats russes dressent des “listes de personnalités locales à kidnapper” et sont à la recherche des journalistes pour les forcer à collaborer ou les faire taire. Reporters sans frontières (RSF) rappelle aux autorités russes que cibler les journalistes est un crime de guerre.

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Une menace de plus, sous forme de “conte” cette fois. La rédaction du site d’information local 061.ua a reçu aujourd’hui un douzième e-mail d’avertissement depuis le début de l’invasion le 24 février. Le précédent, le 17 avril, était clair : “Tous les journalistes seront responsables de la diffusion de fausses informations sur la Russie et de la propagande du régime nazi ukrainien”. Un “tribunal militaire sera mis en place pour tous ceux qui ont soutenu le régime nazi dirigé par [le président ukrainien] Zelensky”, précisait l’expéditeur à ce média situé à Zaporijjia (sud-est), seule ville de la région éponyme non occupée par les forces russes. Un autre média indépendant, inform.zp.ua, reçoit des messages similaires. Ces sites sont régulièrement soumis à des attaques DDOS, qui consiste à envoyer de multiples requêtes à la ressource Web attaquée dans le but de la bloquer. 

 

Dans d’autres villes importantes de la région, Melitopol, Berdiansk, Enerhodar et Tokmak, des journalistes ont reçu des “visites” des forces russes, subi des interrogatoires, des perquisitions, des saisies d’équipements, voire des prises d'otages. Ceux qui refusent de collaborer voient leurs médias fermer par la force ou sont parfois enlevés, comme Irina Doubtchenko le 26 mars. La journaliste qui collabore notamment avec l’agence de presse UNIAN et l'hebdomadaire Subota-plus a été emmenée à Donetsk, dans le Donbass, avant d’être libérée le 11 avril.

 

Pour Natalia Vyhovska, représentante dans la région de Zaporijjia du partenaire local de RSF, l’Institute of Mass Information (IMI), “les occupants disposent de listes de journalistes et d’activistes qu’ils surveillent”. A Berdiansk, lors d’une prise d’otage violente des rédactions le 8 mars, Serhii Starouchko, un journaliste du groupe de médias PRO-100, a vu des soldats interroger des collègues pour obtenir les noms d’autres journalistes et les noter sur une liste. Ils peuvent ensuite retrouver leurs lieux de résidence enregistrés sur des bases de données administratives, dont ils ont le contrôle dans les territoires occupés. Un recensement signalé par plusieurs correspondants internationaux sur place ainsi que le chef de l’administration militaire régionale de Zaporijjia, Oleksandr Staroukh.

 

“Cette chasse à l’homme menée par les forces russes pour débusquer les journalistes ukrainiens vise à les terrifier, et les forcer à se taire s’ils refusent de diffuser la propagande du Kremlin, dénonce la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. RSF rappelle aux autorités russes que cibler les journalistes est un crime de guerre.”

 

Pour échapper à ces “listes de personnalités locales à kidnapper”, la directrice du site d’information RIA-Melitopol Svitlana Zalizetska a quitté la ville sous une fausse identité. Peu de temps après, le 23 mars, son domicile à Melitopol a été perquisitionné par deux soldats et un civil russes. Ils ont pris en otage son père, âgé de 75 ans et malade, exigeant qu’elle se présente à eux pour le relâcher. Deux jours plus tard, ils ont accepté de le libérer à condition que la journaliste transfère le contrôle du journal à des tiers. Mais la journaliste reçoit toujours des menaces identiques à celles envoyées aux sites de Zaporijjia 061.ua et inform.zp.uaharcelée par téléphone, e-mail et sur les réseaux sociaux.

 

“La ville est petite, quelqu’un a pointé du doigt [ma maison]” : A Tokmak, le domicile du rédacteur en chef du journal Nashe misto-TokmakVitaly Golod a également été perquisitionné le 22 mars par des agents russes, deux jours seulement après son départ pour la capitale, Kyiv. Ils ont emporté des documents et un disque dur.

 

La correspondante de Industrialne Zaporijjia Katerina Danilina-Levotchko, avait elle aussi déjà quitté Melitopol quand les soldats russes sont venus l’arrêter le 21 mars à l’adresse à laquelle elle était enregistrée, où habitent ses parents. Ils ont tenté de se renseigner sur son activité et sur le propriétaire du groupe de presse Melitopolskie Vedomosti (MV), Mikhaïlo Koumok, pour lequel elle a travaillé par le passé. Le même jour, ce dernier ainsi que deux journalistes du titre, Ioulia Olkhovskaïa, Lioubov Tchaïka, et la rédactrice en chef Evguenia Boriane ont été arrêtés à leurs domiciles respectifs, pour quelques heures. S’en est suivi la suspension des activités du groupe et la fermeture de son imprimerie. Le 7 avril, les forces russes ont publié un faux numéro de ce journal, empreint de propagande.

 

Tous les journaux imprimés à Melitopol, Berdiansk, Enerhodar et Tokmak ont cessé de paraître, leurs rédactions refusant de coopérer avec les occupants russes. Début mars, l’armée russe avait coupé la diffusion des chaînes ukrainiennes dans ces quatre villes. 

 

L'Ukraine occupe la 97e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 2021. La Russie se situe à la 150e position.

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