Les crises se succèdent, l’extrême pauvreté s'installe

Oxfam appelle les dirigeants du G20, du FMI et de la Banque Mondiale à agir immédiatement face à l’inflation, qui pourrait plonger plus de 260 millions de personnes dans l'extrême pauvreté.

De Margot Hinry
Publication 26 avr. 2022, 11:22 CEST
Comté de Wajir au Kenya.

Comté de Wajir au Kenya.

PHOTOGRAPHIE DE Khadija Farah/Oxfam

La pauvreté extrême, selon les chiffres de la banque mondiale, c’est être contraint de vivre avec moins de 1,90 dollar par jour (1,78 euros). Cette année, près de 65 millions de personnes pourraient passer sous ce seuil de pauvreté extrême. Ces chiffres sont les nouvelles estimations d’Oxfam, basées sur les projections de la Banque mondiale et des recherches du Center for Global Development concernant l’envolée des prix de l’alimentation.

D’après le récent rapport d’Oxfam, intitulé « First crisis, then catastrophe » (D’abord la crise, puis la catastrophe), près de la moitié de la population mondiale vit actuellement sous le seuil de pauvreté, qui correspond à 5,50 $ par jour (5,15 euros).

Concrètement, survivre dans un pays en développement avec moins de 6 dollars par jour (5,62 euros), c’est un accès à l’eau potable non-garanti ou insuffisant, un moindre accès à l’éducation, à la santé. « Environ 70 % des personnes dites pauvres, âgées de 15 ans et plus, n'ont jamais fréquenté l'école ou n'ont reçu qu'une éducation de base. En Afrique subsaharienne, la région la plus touchée par ce phénomène, l’espérance de vie en bonne santé y est de 53 ans. 20 ans en deçà de la moyenne des pays du G7 » explique Oxfam France.

Dans ce nouveau rapport, Oxfam met en lumière les problèmes que subit la population mondiale face aux conséquences de la crise sanitaire, amplifiées par la guerre en Ukraine. Les experts déplorent un recul de dix ans en arrière dans la lutte contre la pauvreté, voire, pour certaines régions d’Afrique subsaharienne, de plus de vingt ans. « À ce rythme et sans aucune mesure ambitieuse, la promesse des États du monde de respecter les objectifs du développement durable d’ici 2030, et donc entre autres d’éradiquer l’extrême pauvreté et mettre fin à la faim dans le monde, est devenue complètement impossible » étaye Oxfam France face aux chiffres catastrophiques.

Cette accumulation des crises implique un constat « alarmant ». Après avoir passé vingt ans à diminuer, « la courbe de l’extrême pauvreté a remonté en 2020 pour la première fois ». D’après Oxfam, en 1984, le monde comptait 1,9 milliard de personnes sous ce seuil, contre 600 millions début 2020, « alors que dans le même temps, la population mondiale est passée de 4,5 à 7,4 milliards d’individus ».

Oxfam consacre une partie entière de son rapport à mettre en lumière le fait que certains gouvernements sont au bord de la faillite. Surendettement, financement des vaccins contre la Covid-19, réchauffement climatique, les raisons sont multiples.

Pourtant, d’après Oxfam France, cette banqueroute était présente avant l’apparition du coronavirus. « Début 2020, on considérait que 40 % des pays à faible revenu étaient déjà confrontés à une crise de la dette ou à un risque élevé de surendettement. La dette totale des pays en développement (dette privée, publique, domestique et externe) s’élevait en 2018 à 191 % de leurs PIB combinés, un record ! » précise l’une des porte-parole d’Oxfam France.

Les experts et militants de l’organisation dénoncent un manque de financements internationaux, dont les promesses « de consacrer 0,7 % de leur richesse nationale à l’aide internationale » ne se concrétisent pas depuis de nombreuses années, excepté pour le Luxembourg, le Danemark, la Norvège et la Suède.

« Dans le même temps, des créanciers privés peu scrupuleux ont vu les besoins de financements croissants des pays pauvres comme une opportunité. […] Aujourd’hui, 60 % des remboursements de dette des pays les plus pauvres sont à destination des créanciers privés ».

Mareya Ibrahim, se tient parmi les carcasses de son bétail. Sur les cinquante animaux qu'elle possédait, il ne lui en reste plus que sept.

PHOTOGRAPHIE DE Khadija Farah/Oxfam

QUELLES CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LES POPULATIONS ?

Avant même l’apparition de la crise du Covid-19, « quarante-six pays consacraient en moyenne quatre fois plus d’argent au remboursement de leurs dettes qu’au financement de leurs services de santé publique » précise Oxfam France. « Le poids de la dette provoque une asphyxie empêchant de dépenser plus pour l’éducation, la santé ou la protection sociale. »

En février 2022, le prix de l’alimentaire mondial a bondi, en dépassant le pic de la crise de 2011. L’inflation touche toutes les populations du monde, des pays en développement aux pays les plus développés. Les chiffres recensés par Oxfam indiquent que les dépenses alimentaires dans les pays les plus riches représentent 17 % des dépenses et jusqu’à 40 % de ceux des pays les plus pauvres.  

Les prêts accordés par le FMI aux pays lors de la crise sanitaire vont de pair avec des « mesures d’austérité » impactant les dépenses publiques. « Quarante-trois des cinquante-cinq États membres de l'Union africaine sont confrontés à des réductions des dépenses publiques d'un montant total de 183 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années ». Selon ces chiffres, le scénario de pauvreté extrême ne fera qu’empirer, entraînant avec lui des millions de personnes affamées et sans économies pour vivre dignement.

Parmi les populations les plus touchées par ces inégalités, les femmes et les enfants. « Tous les facteurs liés à la pandémie (confinement, fermeture de certains secteurs, tensions économiques, etc.) ont aggravé les violences et inégalités basées sur le genre. C’est ce que nous appelons “l’autre pandémie” » indique Oxfam France.

Comparé à 2019, le monde compte 13 millions de femmes en moins sur le marché de l’emploi aujourd’hui, en 2022. Cela s’explique par une surreprésentation des femmes dans certains secteurs durement touchés par les restrictions liées à la crise sanitaire. « Elles ont également vu leurs accès au marché de l’emploi et aux ressources financières drastiquement réduits, ce qui les a cantonnées à la sphère domestique et au domaine des soins non rémunérés ». L’économie et la valeur des différents métiers représentés ici sont colossales et pourtant, bien souvent invisibles et peu reconnus par la société.

« Elles ont aussi été forcées à accepter des emplois précaires et peu rémunérés, souvent dans le secteur informel. À l’échelle mondiale, 740 millions de femmes travaillent dans le secteur informel, et lors du premier mois de la pandémie, leurs revenus ont chuté de 60 %, soit une perte de plus de 396 milliards de dollars (370 milliards d'euros). En plus d’être maintenues en bas de l’échelle économique, les femmes sont davantage exposées aux violences basées sur le genre (violences domestiques, économiques, etc.) et ont été davantage exposées au virus ».

Ces menaces pourraient faire reculer les efforts accomplis pour éloigner la pauvreté depuis un quart de siècle. Afin d’éviter et de limiter les dégâts sur les populations et les pays endettés, Oxfam réclame des mesures, détaillées dans le rapport. Parmi lesquelles, la demande de supprimer la dette des pays en développement qui ont besoin d’aide en urgence. La question de la faisabilité politique et économique se pose. Oxfam rappelle les mots prononcés par le président de la République Emmanuel Macron en avril 2020, concernant une « annulation massive des dettes africaines ».

L’une des porte-parole d’Oxfam précise que « depuis plusieurs décennies maintenant, la question de l’annulation de ces dettes se pose régulièrement. » D’ailleurs, en 1996, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale avaient lancé à ce sujet l’initiative « Pays pauvres très endettés » (PPTE).

« En 2005, le G8 de Gleneagles efface la dette de 18 PPTE et établit pour 20 autres un effacement de leurs créances. […] Non seulement trop peu de pays ont pu bénéficier de l’initiative du G8, mais l’enjeu de la lutte contre la corruption fut totalement absent des discussions, pourtant fondamental pour les sociétés civiles du Sud, face aux détournements massif d’argent orchestrés par certaines élites économique et politique en place » déplore Oxfam.

Diyaara montre la nourriture qui lui reste pour cuisiner pour sa famille et nourrir son bétail restant.

PHOTOGRAPHIE DE Khadija Farah/Oxfam

Aujourd’hui et depuis plus de deux ans, la pandémie continue et les difficultés des pays pauvres s’aggravent et continueront de s'aggraver avec la guerre d’Ukraine. Depuis le début de la crise, nombre de pays ont dépensé de fortes sommes pour faire face au virus. « À l’époque, nous alertions déjà sur la nécessité de diriger ces mesures de protection vers les plus précaires. Or, cet argent a été en partie capté par les plus riches, au détriment des populations qui en avaient le plus besoin. En effet, en un an et demi, les milliardaires se sont plus enrichis que sur les dix dernières années. »

D’après les chiffres d’un rapport publié en janvier 2022, les dix hommes les plus riches du monde seraient passés de « 700 milliards de dollars à 1 500 milliards de dollars, à un rythme de 15 000 dollars par seconde » pendant les deux premières années de pandémie. Pendant ce temps, 160 millions de personnes de plus seraient passées sous le seuil de pauvreté.

Oxfam demande à ce que les plus fortunés contribuent à rembourser l’argent dépensé par les États pendant la crise sanitaire. L’Argentine serait sur ce point l’exemple à suivre, grâce à sa proposition de taxes extraordinaires sur la fortune. « Il y a un an, le pays a instauré un impôt sur la fortune, permettant de rembourser ses dépenses liées à la crise. Censé être temporaire, le gouvernement argentin vient de le renforcer et de le rendre plus pérenne » conclut Oxfam France. Cet « impôt des milliardaires » aurait permis au pays de récolter près de 2,4 millions de dollars (2,23 millions d'euros).

L’organisme rejette l’idée d’un manque d’économies de la part des gouvernements des pays riches pour éliminer la faim dans le monde et l’extrême pauvreté. « Nous constatons seulement un manque d’imagination économique et de volonté politique » déclare au sein d’un communiqué Gabriela Bucher, directrice générale d’Oxfam International.

Oxfam, dont le slogan « le pouvoir citoyen face à la pauvreté » résonne d’autant plus à ce jour, appelle « les pays du G20, la Banque mondiale et le FMI » à aider au plus vite les pays pauvres en réagissant face à « cette catastrophe évitable ».

loading

Découvrez National Geographic

  • Animaux
  • Environnement
  • Histoire
  • Sciences
  • Voyage® & Adventure
  • Photographie
  • Espace
  • Vidéos

À propos de National Geographic

S'Abonner

  • Magazines
  • Livres
  • Disney+

Nous suivre

Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.