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Trop blanche pour interviewer Angela Davis : une journaliste belge sous protection policière
Militante des droits civiques, Angela Davis, 78 ans, a mené une conférence à Bruxelles devant une salle comble, le 25 avril.
BELGA PHOTO PAUL-HENRI VERLOOY (Photo by PAUL-HENRI VERLOOY / BELGA MAG / Belga via AFP)

Trop blanche pour interviewer Angela Davis : une journaliste belge sous protection policière

Cancel culture

Par Nora Bussigny

Publié le

L'essayiste afro-américaine Angela Davis était reçue, lundi 25 avril, au Théâtre national de Bruxelles pour débattre avec de jeunes militants et associations, la journaliste choisie pour animer la rencontre a fait l'objet de menaces. La raison ? Safia Kessas, engagée contre les inégalités, n’est pas noire. Un affront pour certains militants antiracistes.

À quelques jours de l’arrivée à Bruxelles d’Angela Davis, icône américaine des mouvements féministes et anti-racistes depuis les années 1970, une polémique a éclaté en Belgique sur les réseaux sociaux, le 22 avril dernier. La journaliste Safia Kessas, une intellectuelle pourtant engagée sur les questions coloniales et qui se définit comme intersectionnelle, s’est retrouvée sous le feu des critiques après la publication d'une « carte blanche » sur les réseaux sociaux.

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Pour la dizaine de signataires de ce texte, le choix d’une « personne non noire pour dialoguer » avec Angela Davis représente un « nouveau crachat au visage des militant.e.s noir.e.s ». Selon eux, des « militant.e.s noir.e.s féministes et queer » auraient été des animateurs plus légitimes que Safia Kessas. « Nous nous interrogeons fortement sur le message renvoyé aux communautés noires avec le choix de Safia Kessas. N’avons-nous pas assez de compétences à votre goût ? Ne sommes-nous pas les mieux placé-e-s pour discuter de la libération des peuples noirs de la domination blanche et capitaliste ? », peut-on notamment lire dans ce texte.

Menaces

Autre grief : la « négrophobie » de Safia Kessas, qui porterait plainte contre des militants noirs bruxellois « dès que celleux-ci la mettent face à ses actions ». Pour les militants, ces plaintes les auraient délibérément mis en danger puisqu’ils se seraient retrouvés reçus par la police, une « institution connue pour son racisme » qui les auraient « traqués » par sa faute.

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« Quelle déception. Comme quoi dès qu’on se rapproche des institutions, on se déradicalise. Et dire que Kessas est afrodescendante [Safia Kessas est belge mais d'origine algérienne] démontre les dangers d’utiliser ce terme. Bref, bonne journée aux noir.e.s », peut-on notamment lire dans les commentaires qui relayent la carte blanche du collectif. Ses membres, qui exigent que « justice soit faite », estime que leurs « oppresseu-r-ses prennent » leur « place » dans des endroits qui devraient leur « être réservé-e-s ». Ils espéraient donc que le Théâtre national de Bruxelles et ses partenaires auraient agi en conséquence.

Si Safia Kessas n’a pas souhaité communiquer sur le sujet, Angela Davis a répondu à la question du choix d’une personne blanche pour animer un débat avec une Afro-Américaine lors de la conférence qui a rassemblé 1 700 personnes. Pour la militante, cette « mauvaise question » lui permet d’étayer sa pensée. Elle estime que le « focus sur les identités » entraîne des raccourcis et a aussi évoqué la fameuse « cancel culture », la qualifiant de « perturbante ». D’ailleurs, Angela Davis a dû affirmer n’être nullement opposée au choix de Safia Kessas comme interlocutrice. Une réponse bienvenue pour la journaliste qui a malgré tout dû être placée sous protection policière durant la conférence suite aux multiples menaces qu’elle a reçues.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne