Femmes violées en RDC : reconstruire les corps et les esprits grâce à l’art thérapie

Le Docteur Denis Mukwege et la philosophe Cynthia Fleury à l'hôpital de Panzi - Jonathan Masasi Institut français de Bukavu
Le Docteur Denis Mukwege et la philosophe Cynthia Fleury à l'hôpital de Panzi - Jonathan Masasi Institut français de Bukavu
Le Docteur Denis Mukwege et la philosophe Cynthia Fleury à l'hôpital de Panzi - Jonathan Masasi Institut français de Bukavu
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L’endroit, l’est du Congo, a tristement été baptisé "capitale mondiale du viol" à cause des dizaines de milliers de violences sexuelles infligées aux femmes lors des différents conflits. Grâce à l'art thérapie, ces femmes appelées "survivantes" tentent de se reconstruire.

A l'hôpital de Panzi à Bukavu dans le Sud-Kivu, le docteur Denis Mukwege, chirurgien gynécologue, œuvre depuis plus d'une vingtaine d'années à la reconstruction des femmes victimes de violences sexuelles. Depuis 1999, plus de 55 000 femmes violées y ont été soignées. Prix Nobel de la paix en 2018, le docteur Mukwege a développé un système de soin holistique partant du principe qu’une bonne prise en charge des victimes de viol,  appelées "survivantes",  ne saurait se limiter à une opération chirurgicale. Bientôt, l’ouverture d’une antenne de la chaire "humanités santé" dirigée par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury viendra documenter et enrichir les quatre grands piliers structurants de la prise en charge à l'hôpital et à la fondation de Panzi : médical, psychologique, socio-économique et judiciaire. La chaire, soutenue par l’Agence française de développement s’intéressera particulièrement au rôle de l’art thérapie dans la reconstruction de ces "survivantes".

Denis Mukwege : "Quand ces femmes font ces activités artistiques cela leur ramène une joie."

6 min

Cours de danse-thérapie à la Fondation Panzi à Bukavu
Cours de danse-thérapie à la Fondation Panzi à Bukavu
- Jonathan Masasi , institut français de Bukavu

Dans la cour principale de la Fondation Panzi, plusieurs dizaines de jeunes femmes dansent quand Denis Mukwege et Cynthia Fleury arrivent pour une visite du lieu. Après des soins médicaux à l’hôpital Panzi, ces survivantes ont été envoyées ici pour se reconstruire par le travail, par l’art thérapie aussi qui s’avère particulièrement précieux dans la prise en charge et l’accompagnement du stress post-traumatique. Perchée sur de hauts talons, Amie Alice Lusambo est leur professeure de danse. Son groupe s’appelle les "strong girls", les filles fortes.

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La danse pour mettre des mots sur un traumatisme

"La danse thérapie aide ces très jeunes femmes à parler de ce qui leur est arrivé. Quand elles arrivent ici, beaucoup sont muettes. Elles commencent à s'exprimer avec leur corps et tranquillement la parole va finir par se libérer."

Furaha est une jeune femme frêle de 22 ans. Lisa,  sa fille de 9 ans est calée contre elle. De son viol à 13 ans, Furaha ne préfère pas en parler devant Lisa pour "qu’elle ne développe pas un esprit de vengeance".

"J'ai mis de longs mois à intégrer le groupe de danse. Je fuyais tout contact. J'ai longtemps regardé les autres filles danser. Je n'avais jamais vu de filles en pantalon ! Enfiler le training rouge qu’Amie Alice m'avait offert a été une épreuve. Puis, petit à petit, la danse m’a permis de m’attacher aux autres et à mon enfant".

La professeur de danse Amie-Alice Lusambo avec  Furaha , 22 ans et sa fille Lisa, 9 ans
La professeur de danse Amie-Alice Lusambo avec Furaha , 22 ans et sa fille Lisa, 9 ans
© Radio France - Véronique Rebeyrotte

L’an passé, Furaha a eu son Bac. Elle est cette année à la faculté pour apprendre le métier d’infirmière. Elle voudrait faire comme le docteur Mukwege :  aider d’autres survivantes. De ces femmes, leur force, le docteur Mukwege en parle avec admiration et reconnaissance. Ce sont elles qui l’ont poussé à danser :

"Quand je me suis mis à danser, je me suis mis aussi à transpirer, beaucoup transpirer. Et après plusieurs années, c'est la première fois que j'ai pu dormir. J'ai senti quelques chose se passer en moi. Pour moi-même , j'ai senti que c'était une thérapie. Cela dit, il faut maintenant arriver à savoir quelle thérapie marche pour quel type de traumatisme. Ce sera le travail de la chaire."

Développer des outils au service d’une autre pédagogie de la guérison

La danse ou d'autres activités culturelles ont été développées à Panzi de manière informelle. Aujourd'hui, avec l'aide de la chaire "humanités santé", les équipes de l'hôpital et de la Fondation Panzi souhaitent évaluer ces différents dispositifs afin de pouvoir les ajuster, les formaliser et pourquoi pas, les essaimer dans de futures antennes nationales ou internationales. Un des objectifs de la chaire sera aussi d’accompagner les équipes soignantes dans leur travail. "De soigner les soignants", comme l'explique Désiré Alumti Munyali, le chirurgien pédiatre de Panzi. "A force de soigner des enfants détruits, des enfants de quelques mois parfois, on est nous-même traumatisés. On pète les plombs. On pleure souvent au bureau."

Au centre, le chirurgien pédiatre Désiré Alumeti Munyali
Au centre, le chirurgien pédiatre Désiré Alumeti Munyali
- Jonathan Masasi, institut français de Bukavu

Pour la philosophe et psychanalyste, Cynthia Fleury, Panzi peut être un laboratoire pour le monde. "Je crois très clairement qu'ici s'inventent des protocoles de résilience au sens très large. Nous allons tous être face à des vulnérabilités très très fortes et ici nous apprenons de vous et ensemble. D'ici quelques mois, des équipes de chercheurs vont venir ici pour faire vivre cette chaire avec les équipes de Panzi."

La chaire "humanités santé" de Panzi devrait rendre ses premiers travaux à la fin de l’année prochaine.

La Grande Table idées
33 min

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