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A partir de ce lundi 2 mai, la France ne consomme plus de poissons français

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Malgré son statut de puissance maritime, la France ne produit qu’un tiers des poissons qu’elle consomme. Face à une dépendance trop importante aux importations, associations et ONG appellent à consommer moins et mieux.
par Pauline Moullot
publié le 2 mai 2022 à 6h20
(mis à jour le 2 mai 2022 à 11h30)

Ce lundi 2 mai, la France aura consommé tous les poissons et produits de la mer issus de ses eaux. A partir de cette date, toute la consommation hexagonale sera donc importée. Ce calcul, théorique, a été effectué par l’Aquaculture Stewardship Council (ASC), organisation à l’origine d’un label pour une aquaculture plus responsable environnementalement et socialement. Le raisonnement est simple : les importations représentent deux tiers de la consommation française. «Transposé à une année, cela signifie qu’au-delà du 2 mai, tous les poissons consommés en France, sont issus de l’importation. Ainsi, si les consommateurs n’achetaient que du poisson produit localement, les rayons seraient vides en mai», écrit l’ONG qui dénonce un paradoxe alors que la France est une puissance maritime importante. «Il y a une image d’Epinal de la France, vue comme un pays qui produit beaucoup de pêche, dont le poisson qu’on trouve sur les étals viendrait d’un petit pêcheur, alors que ce qu’on consomme est majoritairement importé, et un tiers vient de l’aquaculture», explique Margaux Janin, responsable communication pour l’organisation.

Le constat n’est pas neuf. En 2018, l’organisation Ocean 2012 faisait le même constat. La «date de dépendance à l’importation» de la France était alors fixée au 21 mai. Au niveau européen, la date fatidique tombait au 9 juillet. Le paradoxe n’est pas uniquement français : l’Espagne, le Portugal et l’Italie sont également de grands consommateurs – et donc importateurs – de poissons malgré leurs accès côtiers.

Impact environnemental des élevages

Selon un rapport de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, avec 4 % des importations mondiales, la France est le 5e pays importateur, ex æquo avec l’Italie, l’Allemagne et la Corée du Sud, et derrière les Etats-Unis (14 %), la Chine (9 %), le Japon (9 %) et l’Espagne (5 %). Au total, 179 millions de tonnes de poissons (y compris de crustacées et coquillages) ont été produites dans le monde en 2018, dont 156 millions destinés à l’alimentation humaine. Ce qui représente une consommation de produits de la mer de 20,5 kilos par personne et par an. Mais au niveau français, selon les données de FranceAgriMer en 2021, on en consomme 33,5 kilos par habitant. Le problème, en plus de cette consommation excessive, c’est que l’on mange tous les mêmes poissons. Saumon, cabillaud et thon sont largement dans le trio de tête des poissons les plus consommés en France.

Ainsi, alors que la France «est le premier consommateur de saumons en Europe, on compte un seul élevage en activité en France, à Cherbourg. Il faut bien que le saumon vienne de quelque part», déplore Arnaud Gauffier, directeur des programmes pour le WWF. Il vient ainsi essentiellement de Norvège, premier producteur mondial. Si quelques projets de fermes en France sont dans les cartons, ils sont largement critiqués pour leur impact environnemental en raison des déchets qu’ils produisent, des antibiotiques utilisés dans les élevages intensifs et surtout des farines animales utilisées pour nourrir les poissons. «Que l’élevage soit fait en Norvège, au Chili, en Ecosse ou en France, on a les mêmes problèmes. L’idée, c’est certes de relocaliser mais surtout d’en manger beaucoup moins. Avant le saumon, c’était simplement à Noël, aujourd’hui on ne trouve pas une boulangerie qui ne propose pas un sandwich au saumon», poursuit le WWF. En moyenne, chaque français engloutit 2,7 kilos de saumon par an.

Les autres espèces les plus prisées des consommateurs français font également partie des plus importées. «Tout le thon en boîte ou dans les sushis est en grande partie importé. Il est pêché en Afrique de l’Ouest, dans les océans Indien et Pacifique, débarqué et transformé aux Seychelles, à l’île Maurice et à Madagascar», décrit Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association de défense des océans Bloom. On en consomme 3,9 kilos par an et par habitant. Même chose pour le cabillaud (2,8 kilos par an et par habitant), «qui vient principalement d’Islande et de Norvège», pour le lieu (aussi appelé colin, 2,3 kilos), «qu’on retrouve surtout en poisson pané et qui vient d’Alaska», et pour les crevettes (1,9 kilo). Seules les moules (2,4 kilos) sont essentiellement issues de production française.

Responsabilité de la grande distribution

«On pourrait consommer une diversité importante d’espèces en France, regrette Frédéric Le Manach. Nos pêcheurs capturent plein de poissons que personne ne connaît comme le tacaud, le lieu jaune ou le merlu, qui ne sont pas bien valorisés [sur les étals] car plus difficiles à cuisiner.» Le tacaud par exemple, de la même famille que le cabillaud, est transformé en farine animale destinée notamment… aux poissons d’élevage. «En alternative au saumon, on a aussi des truites élevées en France, dans des élevages beaucoup plus petits», propose-t-il. Le directeur scientifique pointe la responsabilité de la grande distribution : «Elle a fait le choix de mettre en avant deux ou trois espèces seulement, parce qu’ils savent qu’ils en auront toute l’année. Par exemple, en saumon, une poignée d’élevages fait l’essentiel de la production et ils ont la garantie qu’ils vont avoir le même produit, la même qualité, la même couleur, toute l’année.»

Outre consommer moins, les associations appellent aussi à consommer mieux. «C’est comme pour la viande, il faut relocaliser mais à condition d’en manger beaucoup moins», insiste Arnaud Gauffier du WWF. L’ONG publie ainsi un guide pour aider les consommateurs à s’y retrouver en fonction de trois critères : l’espèce, l’origine et le mode de pêche. Arnaud Gauffier recommande notamment d’«éviter la sardine de Méditerranée, quelle que soit la technique de pêche, car le stock est épuisé. Il y a moins de problèmes sur la sardine d’Atlantique. Même si elle est pêchée au chalut [technique qui consiste à tracter de longs filets, en capturant toutes les espèces sans distinction, ndlr] car elle se déplace en bancs et on ne risque pas d’attraper autre chose. Le bar d’Atlantique au chalut, en revanche c’est une catastrophe car vous prenez tout, qu’il y ait du bar, de la lotte, du merlu, et de toutes les tailles. A la ligne, pourquoi pas. C’est plus sélectif et on les remet vivant à l’eau», décrit le directeur des programmes.

«Pour les gens qui peuvent se le permettre, il faut privilégier la pêche côtière et sélective, sur de petits bateaux qui pêchent à la ligne. Mais il ne faut pas condamner toutes les filières industrielles, car il y a des gens qui n’ont pas les moyens. On sait que certains ne mangent pas du tout de poissons, et si on veut que les enfants en aient à la cantine, il y a des pêcheries certifiées très bien gérées, comme le merlu dans le golfe d’Alaska», détaille le responsable.

Un point de vue que ne partage pas l’association Bloom, qui dénonce des certifications «pensées pour la grande distribution». Dans un rapport de 2020, l’ONG révélait que 83 % des captures certifiées entre 2009 et 2017 étaient issues «des méthodes de pêche les plus destructrices au monde, comme les chaluts de fonds et les dragues». Aujourd’hui, l’association défend une interdiction de ces techniques dans les aires marines protégées, une proposition qui sera débattue par le Parlement européen cette semaine.

Mise à jour : ajout d’une précision lundi 2 mai à 11H30 dans une citation de Margaux Janin

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