Billet de blog 22 avril 2014

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Sommes-nous « morts pour rien » ? Ou pourquoi les députés socialistes se mobilisent

Laurent Baumel, député socialiste d’Indre-et-Loire, co-animateur de la Gauche populaire et signataire de l’Appel des 100 députés pour une inflexion de la politique économique du gouvernement, s'explique sur le refus de « s’accommoder à l’idée que nous serions définitivement condamnés à vivre nos vies de députés majoritaires dans une sorte de monarchie républicaine » .

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Laurent Baumel, député socialiste d’Indre-et-Loire, co-animateur de la Gauche populaire et signataire de l’Appel des 100 députés pour une inflexion de la politique économique du gouvernement, s'explique sur le refus de « s’accommoder à l’idée que nous serions définitivement condamnés à vivre nos vies de députés majoritaires dans une sorte de monarchie républicaine » .


Le 30 mars 2014, le socialisme municipal s’est effondré en France dans des proportions inattendues et colossales qu’on peine encore à mesurer. L’attention s’est portée sur l’implacable statistique des «155 villes » de plus de 9 000 habitants tombées dans l’escarcelle de la droite et ses conséquences en chaîne sur la direction des grandes communautés urbaines du pays.

Mais la grande bascule a aussi emporté des dizaines de sous-préfectures rurales et chefs-lieux de cantons, gouvernés depuis des décennies par des édiles socialistes implantés et appréciés. Dans mon département d’Indre-et-Loire, comme dans l’ensemble du centre ouest, deux décennies de conquêtes patientes et planifiées ont été anéanties en une seule soirée. Dans les Ardennes où j’ai grandi, des communes ouvrières socialistes sans interruption depuis la guerre et parfois davantage ont rompu cette fidélité séculaire. Partout, dans nos départements, de jeunes inconnus de l’UMP et des vieux opposants accoutumés à perdre se frottent les yeux en riant du bon tour que le destin vient de jouer à ces figures locales auxquelles la rumeur publique promettait encore il y a quelques mois une réélection facile.

Partout, dans ces mêmes départements, on cherche désormais dans les « assemblées de sections » et autres « conseils fédéraux » du Parti socialiste ce qui a bien pu clocher. On pointe les erreurs de campagne ou de casting, on réactive quelques querelles anciennes mêlant les sortants battus, on s’échine à se faire encore un peu plus mal avec les inévitables « je l’avais bien dit » et « si on m’avait écouté ». Tentation éminemment humaine de la fausse lucidité rassurante : trouver une cause locale de l’échec, une cause dont on soit clairement responsable et tirer ainsi un enseignement utile pour les futurs combats, c’est préserver cette croyance – si nécessaire à ceux qui agissent – dans le pouvoir de la volonté et dans la possibilité de maîtriser son sort. Pourtant, quand la vague emporte indistinctement ou presque les jeunes et les vieux, les cumulards et les nouveaux, ceux qui en ont trop fait et ceux qui s’étaient assoupis, ceux qui se sont divisés et ceux qui se sont rassemblés, on ne peut sérieusement souscrire à ces explications locales. Pour le dire trivialement, quand cent cinquante-cinq maires dont le seul point commun indiscutable est d’appartenir au même parti perdent le même soir, il n’y a pas cent cinquante-cinq responsables, il n’y en a qu’un !

La « nationalisation » du scrutin et sa transformation en référendum anti-présidentiel et anti-gouvernemental a mis longtemps à se dévoiler. Les responsables socialistes, à l’image de la plupart des sondeurs et commentateurs, se sont bercés pendant des semaines dans l’illusion que s’opérait bel et bien sur le terrain le « découplage » espéré entre le scrutin local et le contexte national. Intervenant lors d’une réunion du groupe socialiste à l’Assemblée, quinze jours avant le premier tour, où les députés présents remontaient à tour de rôle des sensations de campagne plutôt « positives », je m’étais certes pour ma part hasardé à poser au moins la question : cette bienveillance apparente de nos concitoyens cache-t-elle quelque chose ?

Mais comme tous mes amis en campagne, je n’avais pas appréhendé avant le 23 mars la différence qu’il aurait convenu de faire entre les témoignages de reconnaissance dont nos bilans municipaux restaient globalement l’objet et les déterminants réels du vote. Consciemment ou inconsciemment, nous avions tous mis un soin particulier à ne converser dans nos « porte à porte » que sur nos enjeux locaux et à bannir de nous-même toute allusion sulfureuse à l’action impopulaire de François Hollande et de ses ministres.

Les langues se sont clairement déliées dans l’entre-deux tours. Partis à la recherche des abstentionnistes et des électeurs protestataires, les candidats socialistes et leurs alliés ont dû cette fois entendre le ressentiment explicite d’une partie des couches populaires et moyennes à l’égard d’un pouvoir de gauche accusé de s’être éloigné de ses promesses et d’avoir détérioré leurs conditions de vie. Il est soudain devenu patent que les violentes frustrations accumulées vis-à-vis de la politique gouvernementale des socialistes allait écraser en mars 2014 les molles satisfactions engendrées par leurs bilans locaux. L’absence sidérante de réaction et d’empathie manifestée par le pouvoir exécutif dans cet entre-deux tours a constitué du reste une invitation dramatique lancée à ces mêmes électeurs à achever le dimanche suivant les socialistes locaux en ballottage incertain.

Ce « cru 2014 » signe-t-il l’entrée du scrutin municipal dans le champ des « mid-term elections » destinées, à l’image des élections régionales depuis 2014, à être sévèrement perdues par le camp au pouvoir à Paris, indépendamment de son objet même ? S’avance-t-on vers une situation où il faudra choisir dans le fond entre exercer le pouvoir d’Etat et garder ses villes ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais il est clair qu’une telle évolution porterait atteinte aux vocations municipales tant cette dissociation entre le travail mené au service de la collectivité et sa reconnaissance électorale sera difficile à vivre pour la masse des élus locaux plus proches de l’engagement associatif que de la politique professionnelle. Dans l’immédiat, mars 2014 génère surtout un désarroi profond dans la famille socialiste. A la perte d’un investissement politique au service des populations qui, dans ces périodes de désenchantement idéologique, donnait au moins un sens solide à leurs engagements et leurs vies militantes, s’ajoute pour les battus et leurs soutiens le sentiment injuste d’avoir payé pour des erreurs dont ils ne sont pas responsables et contre lesquelles nombre d’entre eux n’ont cessé d’alerter depuis de longs mois.

Une question surgit alors : le pouvoir a-t-il au moins tiré quelque leçon de cette défaite ? On a vanté ici ou là la promptitude de François Hollande à faire mouvement. Il n’est pas faux que la nomination le lendemain même de la déroute électorale d’un nouveau Premier ministre a au moins démenti la réputation d’indécision que l’on prête à l’actuel Président. Nul ne peut nier d’ailleurs la rupture stylistique induite par le fait de remplacer Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls. Mais, outre que le singulier spectacle des passations de pouvoir entre des ministres déjà en place et la promotion gouvernementale, en guise de renouvellement, de quelques figures patentées du premier cercle hollandais, ont vite relativisé l’idée d’un changement significatif, la réaction du Président s’est soigneusement bornée à cette question du casting.

Dès le 31 mars, dans l’allocution présidentielle, le nouveau Premier ministre s’est clairement vu confier la tâche de poursuivre la même politique que son prédécesseur. La référence à la « justice sociale » qui depuis de longs mois avait déserté le discours présidentiel a certes fait son retour. Dans une pirouette rhétorique qui n’est pas sans rappeler les motions de synthèse de l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste, le « pacte de responsabilité » jusqu’ici voué à la seule compétitivité des entreprises est ainsi devenu un « pacte de responsabilité et de solidarité ».

Mais les cinq milliards annoncés pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages sont loin de garantir un rééquilibrage sérieux de la politique gouvernementale. Dans la mesure où ne sont pas simultanément reconsidérés les 30 à 40 milliards d’euros d’allégements fiscaux accordés aux entreprises, le doute est permis sur le fait que le « geste » ainsi annoncé à l’égard des ménages modestes ne sera pas financé d’une manière ou d’une autre par les mêmes ménages modestes. Le plan d’économies budgétaires annoncé à la hussarde par Manuel Valls une semaine après sa déclaration de politique générale montre d’ailleurs que le scénario global de la politique budgétaire et fiscale reste inchangé au lendemain des élections municipales. Les deux piliers fondamentaux de la politique de François Hollande demeurent la réduction des déficits et celle, non ciblée et non conditionnée, des « charges » des entreprises. L’arbitrage fondamental est toujours de financer cette politique par la restriction ou la baisse du pouvoir d’achat des couches populaires et moyennes. Après le CICE conduisant à la hausse de la TVA, voici maintenant les baisses supplémentaires de cotisations patronales financées au milliard d’euros près par le gel des retraites, des prestations sociales et de la rémunération des fonctionnaires.        

L’obstination du pouvoir à poursuivre dans la même voie, en dépit de la sanction électorale sans précédent qu’il vient de subir et faire subir aux siens, est saluée par la cohorte habituelle des éditorialistes libéraux qui trouvent naturellement que cette politique est la seule possible puisque c’est, depuis toujours, la leur. Du côté de la gauche dite « sociale-démocrate », où, se souvenant des critiques acérées que l’on portait il n’y a pas si longtemps à la politique de l’offre version Medef et aux hausse de TVA, on pourrait être plus enclins à concevoir d’autres équilibres, deux justifications de cette raideur post-électorale sont généralement avancées: la première repose sur l’hypothèse assez complaisante que les failles de la communication et de la gouvernance ont constitué le véritable problème politique des deux premières années du quinquennat de François Hollande. La force, la clarté et la cohérence que Manuel Valls va conférer à la politique du sang et des larmes permettrait ainsi dans les mois qui viennent de la réconcilier avec les Français. L’autre pari est sans doute celui du Président lui-même: la courbe du chômage finira bien un jour par s’inverser, et, peu importe les vraies raisons, la possibilité d’attribuer pour tout ou partie ce succès aux efforts opiniâtres et courageux d’un Président visionnaire ayant surmonté l’arriération idéologique d’une partie de sa majorité et le scepticisme de l’opinion lui permettra de redevenir populaire au seul moment qui compte à ses yeux : la veille de l’échéance présidentielle. C’est ainsi qu’il faut évidemment comprendre l’étrange déclaration de Clermont-Ferrand dans laquelle le Président, tentant au passage de naturaliser l’idée qu’il ne saurait y avoir d’autre candidat socialiste à la présidentielle que lui-même s’il le décide, ré-énonce le critère de la baisse du chômage comme celui qui fondera la légitimité de cette candidature.  D’ici là, tout n’est – hélas pour celles et ceux dont les ambitions électorales seraient lié à son impopularité transitoire– que dommages collatéraux.

Je fais partie de ceux, que je crois assez nombreux au sein de cet espace de la gauche réformiste, qui, non seulement ne reconnaissent pas dans la politique actuelle ce pourquoi la gauche est censée gouverner, mais qui ne croient pas non plus à ces deux justifications stratégiques de l’inflexibilité présidentielle. Contrairement au cliché patiemment entretenu par les partisans acharnés d’une adaptation de la France aux standards de la mondialisation libérale, le déficit de confiance récurrent du pays à l’endroit de ses gouvernants ne vient en effet nullement du fait que la nécessité de réduire les déficits publics ou de baisser le « coût du travail » n’aurait jamais été clairement assumée ou expliquée.

L’actuel premier ministre se trompe s’il pense être le premier à dire enfin « la vérité » aux Français sur le fait que notre Etat vit au-dessus de ses moyens et que nos salariés sont trop payés ou trop protégés: cela fait des décennies que ses prédécesseurs défilent à la barre pour leur admonester la même leçon. A l’exception du premier Mitterrand (1981-83) et de Jospin (1997-2002), voilà près de quarante ans que cette feuille de route, avec ses variations internes, anime les gouvernements successifs. Et voilà quatre décennies que la résistance de la société française à cette potion amère, son aversion culturelle profonde au libéralisme économique, son attachement indéfectible à l’égalité et à la protection sociale, entretiennent ce que j’ai appelé dans un essai paru l’an passé « La malédiction des gouvernants », ce phénomène français singulier qui fait qu’aucun titulaire sortant du pouvoir exécutif n’a été réélu chez nous depuis 1981. Bien sûr, l’Histoire n’est pas figée et tout finit par arriver : les Français ont sans doute trop d’anticorps pour donner réellement le pouvoir à l’extrême droite. Une grande part d’entre eux, comme aux Etats-Unis, cessera un jour définitivement de voter et on ne peut exclure que les autres rendent les armes devant un Bonaparte social-libéral plus habile et séduisant que les autres. En attendant ce destin peu glorieux, et au risque de me tromper, je pense que le Président actuel serait plus avisé d’intérioriser les expériences historiques des dernières années, et notamment celle de son prédécesseur corrézien, bazardant en 1995 sa lutte contre « la fracture sociale » au nom – déjà – des déficits insoutenables, et entré à la suite de ce revirement dans une spirale de discrédit politique que sa réélection miraculeuse de 2002 n’a pas réellement entravée.      

Dans sa velléité de réduire l’ensemble de la question sociale à celle du chômage, il devrait également méditer l’exemple de Lionel Jospin, le meilleur premier ministre de la gauche sous la cinquième République, le seul à avoir réellement créé des emplois, mais brutalement éliminé du deuxième tour de la présidentielle pour avoir, lui aussi, focalisé tous ses arbitrages économiques et politiques sur ce seul enjeu, en négligeant dramatiquement les attentes des couches populaires et moyennes salariées en matière de sécurité et du pouvoir d’achat. Croire que parce que nous sommes en période de crise, la bataille de l’emploi est de nature à fédérer l’ensemble de la société, c’est oublier que malgré la crise, il y a encore des millions de Français qui travaillent mais peinent de plus en plus à tirer les fruits de leur travail, et ont le sentiment que la pompe aspirante et refoulante de l’Etat providence ne fonctionne plus à leur profit. C’est oublier que ce corps central de la société qui fait et défait clairement les dynamiques électorales depuis les années 2000 regardera d’abord, à la fin, ce que ce Président et ce gouvernement auront fait concrètement pour lui. 

Alors, que faire pour combler véritablement le fossé qui se creuse avec le pays, pour extraire le quinquennat de la voie dangereuse dans laquelle il s’est engagé et le remettre sur d’autres rails ? Que faire pour que les victimes de la chute brutale du socialisme municipal ne soient pas, en définitive, « mortes pour rien » ? 

C’est parce qu’ils se sont posés « en responsabilité » ces questions qu’une centaine de députés et quelques responsables du Parti socialiste ont rendu public dans le Journal du dimanche daté du 6 avril un appel baptisé « Les conditions de la confiance » et qu’ils ont récidivé dix jours plus tard en adressant officiellement au Premier ministre des contre-propositions budgétaires et fiscales. Venues des clubs et sensibilités (« gauche durable », « gauche populaire », « Un monde d’avance », « Maintenant la gauche ») du groupe parlementaire et du parti qui depuis novembre 2012 et l’affaire du CICE critiquaient de façon convergente le tournant non débattu du quinquennat, et avaient déjà porté ensemble à l’automne 2013 le combat pour l’instauration d’une CSG progressive, l’initiative a rassemblé des députés venus d’autres horizons et sans liens avec ces groupes, à l’image par exemple du député du Rhône et économiste réputé, Pierre-Alain Muet.

Sur le fond, ces « thèses d’avril » ne sont d’ailleurs pas marquées du sceau du gauchisme le plus débridé. Elles ne contestent ni la nécessité d’une certaine réduction des déficits et des dépenses publiques, ni l’opportunité d’une politique de soutien à l’investissement productif des entreprises. Elles décrivent simplement les inflexions substantielles qu’il conviendrait d’apporter pour rééquilibrer la politique actuelle et la rendre plus conforme tant aux valeurs de la gauche qu’aux attentes de sa base sociale. Elles insistent notamment sur la nécessité d’une approche européenne plus offensive, à travers laquelle la France ne se contenterait plus de tendre piteusement sa petite copie libérale aux censeurs de la commission européenne pour quémander des « délais » mais se comporterait comme un grand pays fondateur de l’Union discutant sérieusement avec l’Allemagne de la réorientation nécessaire de l’ensemble de la politique économique européenne. En ces temps de disette budgétaire, elles proposent que la politique d’aides aux entreprises, au lieu de céder aux revendications purement idéologiques du patronat et de se terminer par des distributions accrues de dividendes, soit réservée à celles qui en ont vraiment besoin et créent effectivement des emplois. Elles proposent que les marges de manœuvre dégagées par ce reformatage raisonnable de la politique de l’offre alimentent en retour une politique réelle et non cosmétique de soutien au pouvoir d’achat des couches populaires et moyennes.           

Si les signataires de cet appel se sont séparés le 8 avril sur le vote de confiance à Manuel Valls, onze d’entre eux choisissant d’exprimer les doutes communs par un vote d’abstention, les autres préférant tout de même assurer l’existence même d’un gouvernement de gauche, tous ont indiqué que la prise en compte ou non de ces propositions d’inflexion déterminerait désormais leurs votes sur les textes gouvernementaux. Cette démarche d’essence parlementaire est assez inédite sous la Cinquième république où il est généralement entendu, et plus encore depuis que le quinquennat et l’inversion du calendrier des scrutins ont conduit à faire de l’élection législative un sous-produit immédiat de l’élection présidentielle, que le groupe majoritaire constitue une armée silencieuse et solidaire chargée de voter la politique présidentielle. Elle a de ce fait déclenché les coups de menton ou les chantages à la dissolution de ceux qui, pour des raisons diverses, n’imaginent pas qu’on puisse vouloir sortir de cette logique institutionnelle qu’ils ont appris à connaître et à pratiquer.     

Puisque dans la perspective du vote du 29 avril sur le « programme de stabilité » transmis à la Commission européenne, et en fonction de la réaction qu’aura l’exécutif aux diverses contre-propositions qui vont se développer, une partie du débat va glisser vers ce terrain institutionnel du fonctionnement même du régime, il me semble important d’indiquer que notre approche de cette question repose implicitement ici sur l’idée que si l’élection présidentielle est en effet la source principale de la légitimité démocratique dans le régime de la Cinquième renforcé par le quinquennat et l’inversion, le Président de la République n’en est pas moins élu sur une offre politique et un programme qui fondent son « contrat initial » avec le pays et la majorité parlementaire désignée un mois plus tard pour soutenir cette politique. Une rectification ultérieure du contrat – dans le cas présent, disons une « déviation » par rapport au discours du Bourget – est bien sûr possible pour s’adapter aux circonstances mais, et s’agissant tout particulièrement des choix budgétaires qui sont la raison d’être même du Parlement, elle ne peut résulter du « fait accompli » et suppose un minimum de consentement du pays et de la majorité parlementaire qui en est parfois le réceptacle. Pour le dire autrement, peut-être parce que nous avons en mémoire ce qu’a pu coûter à notre camp en 1993 et même en 2002 la résignation disciplinée de nos prédécesseurs, nous appartenons à une génération qui refuse de s’accommoder à l’idée que nous serions définitivement condamnés à vivre nos vies de députés majoritaires dans une sorte de monarchie républicaine qui nous oblige à épouser en silence et à valider ce qu’à tort ou à raison nous-mêmes et les électeurs que nous représentons à Paris pensons être des erreurs d’appréciation du Prince.

En ce sens, et au risque peut-être de verser dans une grandiloquence que certains pourront juger excessive, j’ai la faiblesse de penser que la façon dont va se solder l’épisode en cours dans les prochaines semaines et les prochains mois constituera une épreuve historique de la première importance pour cette cinquième République à bout de souffle. En consentant à un dialogue sincère avec leur majorité parlementaire comme d’ailleurs avec les instances de leur parti, en renonçant aux artifices tactiques destinés à donner simplement l’impression de l’écoute et du dialogue, le Président de la République et le Premier ministre ne saisiront pas simplement une opportunité de réorienter positivement leur politique. Ils ont aussi devant eux une occasion unique d’entrer dans l’Histoire comme ceux qui ont compris la nécessité de faire entrer la France dans une nouvelle étape de sa maturation démocratique.

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