Dans cet épisode publié à l'occasion de la journée mondiale de lutte pour le droit à l'IVG, Brigitte, qui a avorté dans les années 1970 à 15 ans, échange avec Naïs, qui a avorté en 2010. Ces deux femmes, de deux générations différentes, ont vécu des avortements à des époques diamétralement opposées. Tant au niveau de l’évolution des mentalités que des droits des femmes. Depuis 1974 et la loi Veil, l’avortement est légal en France, pourtant ce droit reste encore fragile dans le monde. En témoigne ce qu’il s’est passé ce vendredi 24 juin aux Etats-Unis : la Cour suprême a révoqué le droit à l'avortement. 

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Le 2 mai 2022, le texte préparatoire de la Cour suprême, qui avait été dévoilé par le média américain « Politico », laissait entendre que Roe v. Wade, qui établit que la Constitution américaine protège le droit des femmes à avorter, serait « totalement infondé dès le début ». « Nous estimons que Roe v. Wade doit être annulé », avait alors écrit le juge conservateur Samuel Alito dans ce document de 98 pages. « L’avortement constitue une question morale profonde », estime le juge Alito, qui veut laisser à chaque État le droit « de réglementer ou d’interdire l’avortement ». Désormais avec cette décisions, chaque Etat peut décider si l'avortement est légal ou non sur son territoire. 

Sans anesthésie 

Parce que l’avortement est un droit fondamental durement acquis et fragile, il est encore important aujourd’hui de raconter les histoires de ces femmes - 1 sur 3 avorte au cours de sa vie - et de les faire dialoguer entre elles. À la fin des années 1960, Brigitte est tombée enceinte à 15 ans, consciente qu’elle n’allait pas « être dans la vie : mariage, famille, patrie ». Habitant en province, grâce à des réseaux politisés, elle a pu venir à Paris pour avorter, clandestinement. « C’était dans un appartement vide [...] c’était la méthode qui a continué après, la méthode d’aspiration. Mais sans anesthésie », détaille Brigitte à Naïs qui n’était pas encore née à l’époque. 

Pour elle aussi, l’avortement a été une évidence, « c’était inenvisageable de garder cette grossesse », explique Naïs qui commençait ses études pour devenir sage-femme. Elle n’en a pas parlé autour d’elle et a dépassé le délai pour avoir recours à une IVG médicamenteuse. Elle a donc été hospitalisée pour faire une IVG chirurgicale. À l’époque, sa mère l’a accompagnée et a été présente pour elle, « on se tient la main, on ne se parle pas mais c’était hyper fort ».  

« Tu te démerdes ! » 

Malgré la génération qui les sépare, Brigitte et Naïs ont toutes les deux vécu le regard des autres vis-à-vis de l’avortement, les remarques déplacées et les jugements de valeur sur le choix qu’elles ont fait à ce moment-là d’interrompre leur grossesse.  « Le vrai problème c’était les mecs », détaille Brigitte. « Est-ce qu'ils se sentaient concernés ? », lui demande Naïs. « Absolument pas, rétorque Brigitte. C’était “ tu te démerdes !”, se souvient-elle. Il y en a même un qui m’a dit une fois : “ Ça ne doit pas être de moi”. Il avait décidé qu’il était stérile. » 

Avec # Metoo et la libération de la parole, Naïs estime qu’il y a eu un « élan » sur le sujet de l’avortement. « J’ai bientôt 32 ans, je n’ai pas d’enfants. Si on me disait demain que je n’en aurais pas, je ne regretterai pas cet avortement-là », assure Naïs. Toutes les deux en conviennent : « le combat continue », et ce plus que jamais.