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Iran : au nom de la natalité, les dépistages d’anomalies fœtales désormais quasiment interdits

L’annonce le 16 avril par le ministère iranien de la Santé de l'interdiction pour les médecins et les sages-femmes de pratiquer des tests de dépistages des anomalies fœtales suscite l’indignation des acteurs progressistes en Iran. Ces tests permettaient notamment de détecter des maladies génétiques et ne peuvent désormais être réalisés que sur décision de justice.

Image d'un test de dépistage publiée par le docteur Salehi, gynécologue à Téhéran, qui raconte son métier sur Instagram.
Image d'un test de dépistage publiée par le docteur Salehi, gynécologue à Téhéran, qui raconte son métier sur Instagram. © Observers
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Les familles les plus défavorisées risquent d'être les premières victimes de cette nouvelle législation, estime notre Observatrice, une sage-femme.

Beaucoup la croyait oubliée mais elle a refait surface : une loi votée en avril 2021 sur “la protection de la famille et le renouvellement de la population” a été signée par le président iranien puis est entrée en vigueur le 16 avril dernier. Les détections d’anomalie fœtales permettent de repérer notamment les cas de trisomie 21, du syndrome d’Edward ou trisomie 18, ou encore de spina bifida au début de la grossesse, des situations qui autorisent l'avortement. C’était jusqu’ici un des deux motifs autorisant l'interruption volontaire de grossesse, l’autre étant le cas d’une grossesse engendrant un danger pour la mère. L’intervention doit se faire dans tous les cas avant le quatrième mois de grossesse. 

Cette nouvelle mesure fait suite à un effort continu pour augmenter la fécondité en Iran. Depuis 2011, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, a poussé l’Iran à améliorer le taux de croissance de sa population, qui n’est que de 1,3 % contre 2 % au Pakistan ou 2,3 % en l’Irak, deux pays voisins. En 2012, Ali Khamenei avait fixé comme objectif le doublement de la population, à 150 millions d’habitants. 

Il y a eu des mesures incitatives, avec des campagnes publicitaires ou des bonus financiers pour les naissances, et d’autres plus restrictives comme l’arrêt de la distribution de préservatif dans les structures de planning familial. Mais la loi adoptée en 2021 va plus loin : les tests de détection d’anomalies fœtales ne pourront désormais être pratiqués que sur ordre d’un gynécologue, pas d’un médecin généraliste ou d’une sage-femme comme auparavant, et la décision d’avortement n’appartient plus à un seul médecin mais est remise entre les mains d’un collège impliquant un juge, un médecin  nommé par le gouvernement et un expert médical. 

Un test de dépistage révélant une anomalie intestinale, prise à l'hôpital Apadana de Téhéran, publiée en janvier 2021 par le docteur Mehrshad Jamali.
Un test de dépistage révélant une anomalie intestinale, prise à l'hôpital Apadana de Téhéran, publiée en janvier 2021 par le docteur Mehrshad Jamali. © Observers

“On risque de priver des milliers de femmes d’avoir accès à ces tests. “

Mahtab (pseudonyme) est sage-femme dans une petite ville du centre de l’Iran. 

“Heureusement nous n’avons pas encore reçu les nouveaux ordres d’application, donc nous continuons à faire comme d’habitude pour le moment. En Iran, on pratique systématiquement des tests de dépistage d’anomalies fœtales. La première phase se fait entre la huitième et la quatorzième semaine de grossesse. Cela coûte environ 600 000 tomans [environ 20 euros, NDLR]. Si tout semble normal, les analyses s'arrêtent là. Sans quoi, il y a une deuxième phase de tests qui doit être pratiquée entre la quinzième et la vingtième semaine et qui coûte environ 700 000 tomans [environ 23 euros, NDLR]. Si l'anomalie continue d’être suspectée, une troisième phase est enclenchée, avec des tests plus précis, pour un coût de 5 millions de tomans [166 euros, NDLR]. 

Dans ma région, au moins une grossesse sur 700 a eu des anomalies que peuvent détecter les tests, le plus souvent la trisomie 21. Ces vingt dernières années, le nombre d'enfants touchés par ces anomalies a radicalement diminué, grâce à la pratique de ces tests. En les interdisant, cela va forcément augmenter le nombre de victimes. Dans ma région il n’y a qu’un gynécologue pour des dizaines de villages et quelques villes, et parfois des femmes ne voient aucun gynécologue de toute leur grossesse, elles ne vont que chez leur généraliste. On risque donc de priver des milliers de femmes d’avoir accès à ces tests."

Vidéo partagée en septembre 2021 par Fatemeh Salehi, une gynécologue iranienne, montrant un test de détections d'anomalies fœtales réalisé dans les 12 premières semaines de grossesse. Elle y explique les bénéfices de ces tests.
Vidéo partagée en septembre 2021 par Fatemeh Salehi, une gynécologue iranienne, montrant un test de détections d'anomalies fœtales réalisé dans les 12 premières semaines de grossesse. Elle y explique les bénéfices de ces tests. © Observers

“Des hommes au Parlement, qui sont en train de prendre une décision au nom des femmes enceintes dans le pays. “

Kobra Khazali, présidente de la commission des femmes au “Conseil suprême de la révolution culturelle” qui dirige des politiques culturelles de la République islamique, répète depuis deux ans dans les médias iraniens que “les tests sont chers et parce qu’ils ne sont pas précis, ils peuvent revenir à tuer des enfants en bonne santé”. Elle a “félicité” la décision de mise en application de la loi récemment dans un tweet, qui a été supprimé après.  Cet argumentaire irrite notre Observatrice : 

“Je ne crois pas une seconde à ce qu’ils disent et même aujourd'hui, aucun de ces tests ne sont pris en charge par les assurances, donc ils ne sont pas un poids pour la sécurité sociale, les familles les payent intégralement. C’est le choix de ces hommes au Parlement, qui sont en train de prendre une décision au nom des femmes enceintes dans le pays. 

Leur argument selon lequel ces tests ne seraient pas assez précis est également un mensonge. Nous suivons une procédure standard, c’est la même qu’à Paris ou New York, et on a des résultats à 99 % fiables, pas moins. La semaine dernière par exemple, j’avais une patiente qui venait d’un village des environs. Ses deux premiers dépistages étaient alarmants, mais le troisième test, qui est bien plus précis, a montré que le bébé était en bonne santé, les parents ont été rassurés et sont rentrés chez eux sereins. De l’autre côté, sur ces deux dernières années, j’ai trois exemples de familles qui avaient fait les deux premiers tests avec de mauvais résultats mais ont refusé de faire le troisième. Résultat, sur les trois bébés, l’un est né avec une trisomie 21, un autre avec une hydrocéphalie, le troisième est mort à neuf mois après de multiples complications cardiaques…

 

Mehrshad Jamali, médecin, explique dans cette vidéo ce que permet de vérifier les premiers tests de détection d'anomalies fœtales. Vidéo publiée en décembre 2019.
Mehrshad Jamali, médecin, explique dans cette vidéo ce que permet de vérifier les premiers tests de détection d'anomalies fœtales. Vidéo publiée en décembre 2019. © Observers

Les premières victimes de cette loi seront les patients pauvres, c’est le cas de la plupart des miens. Les plus aisés trouveront un moyen de faire des analyses, de la même façon qu’ils peuvent se payer déjà des avortements dans des cliniques. Avec de l’argent vous pouvez tout faire ici. Les moins aisés sont en général les moins éduqués, donc ils seront les plus faciles à convaincre que ces tests ne sont pas nécessaires. De l’autre côté, vu les prix des tests, il nous faut parfois les convaincre de les payer, de renoncer à une autre dépense pour pouvoir avoir le budget suffisant. Donc il est clair que quand nous ne pourrons plus les inciter, ces familles ne feront plus ces tests. Il y aura plus d’enfants nés avec des malformations, des maladies, ce qui rendra plus pauvre encore les familles pauvres, parce que ces problèmes de santé engendrent des coûts exorbitants en Iran”

 

Selon le parlement iranien, huit à neuf mille avortements légaux auraient lieu chaque année. La nouvelle loi devrait faire diminuer ce chiffre. Plusieurs sources estiment par ailleurs que 300 à 400 avortement illégaux sont pratiqués chaque année.

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