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Mal-être à l'école : ces enseignements du classement PISA qui passent inaperçus
Vu de ma classe : les enseignements du classement PISA.
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Mal-être à l'école : ces enseignements du classement PISA qui passent inaperçus

Vu de ma classe

Par Max Heze

Publié le

Tous les trois ans, le classement PISA révèle quels sont les bons élèves et les cancres en matière d'Éducation dans le monde. Mais il montre également pourquoi le climat scolaire en France est l'un des plus dégradés au monde. La chronique hebdomadaire de Max Heze, qui enseigne l'histoire-géo dans un collège de zone périurbain

« C'est quoi M'sieur ce petit pays entre la France et l'Espagne ?

- C'est Andorre » réponds-je machinalement.

Occupé à corriger les exercices de N., je ne me retourne pas, j'ai reconnu la voix de K. Depuis peu, il s'est pris de passion pour le planisphère, en dernière page de son manuel. « Ah oui, on est déjà allé au Pas de la Case avec mes parents. » J'avoue ne pas avoir poussé l'exploration de la principauté plus loin moi non plus. « Tu as fini tes exercices ? » lui demandé-je. Un « oui-oui » qui a tout l'air d'un « non-non » me pousse à aller vérifier. À peine me voit-il arriver en sa direction que K. enchaîne « Et celui-ci, entre la Chine et l'Inde ?

- Le Népal

- Noooon, à côté.

- Ah, c'est le Bhoutan, tu veux faire le tour de tous les pays enclavés de la planète ? ».

Le petit cinquième ne relève pas la remarque et continue : « Mais il y a quoi là-bas ? Jamais entendu parler. » Je n'ai pas le temps de répondre que S. vexillologue à ses heures perdues apparemment, rebondit : « Ils ont un super drapeau avec un dragon blanc dessus. » À vrai dire, je ne suis pas un grand spécialiste de cet État himalayen, mais j'ai quand même une info, espérant satisfaire la curiosité de K. « Leur roi a mis au point un drôle d'indicateur : le BNB (Bonheur National Brut) qui mesure le bien-être de ses habitants. » Le concept ne s'est guère exporté en dehors du royaume, quelques expériences par-ci, par-là, mais le BNB a eu du mal à s'imposer parmi les outils statistiques, trop bouddhiste peut-être. En tout cas, la révélation fait pshiiit, K. semble déçu.

« Mais on doit faire des maths en géographie maintenant ? »

Il faut dire que cela fait plusieurs mois que je les « ennuie » avec ces fameux indicateurs. Jusqu'en sixième, la géographie garde un côté ludique, presque bucolique, on « découvre le monde » en se basant essentiellement sur la notion « habiter ». Pendant le cycle 3 (du CM1 à la sixième), les élèves décrivent beaucoup de paysages et ses transformations par l'Homme. Ils apprennent également à lire une carte pour situer, localiser, nommer des lieux.

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Avec l'arrivée en cycle 4 (de la cinquième à la troisième), les tâches, le vocabulaire et les outils pour comprendre un phénomène géographique se complexifient. Le programme invite, par exemple, les pré-ados à faire connaissance avec le PIB (Produit Intérieur Brut), l'IDH (Indice de Développement Humain) ou les taux de natalité et de mortalité pour les plus connus. Il y en a de plus baroques comme le kilo équivalent pétrole, pour mesurer notre consommation énergétique qu'il faut convertir en tonne pour l'exprimer en TEP (Tonne Equivalent Pétrole) « Mais on doit faire des maths en géographie maintenant ? » râlent souvent les élèves. On en a toujours fait, mais jusqu'à présent, ils ne le savaient pas. La même surprise les attend, un peu plus tard, en physique.

« De toute façon balec, on est champions du monde »

Avec le surgissement des chiffres, des indicateurs, les courbes sont comparées, on étudie leur évolution, les cartes peuvent devenir anamorphose, tout un univers s'ouvre aux élèves. Tout peut devenir plus relatif aussi. La Chine a un énorme PIB, elle produit beaucoup sur son sol en une année, mais ramené au nombre d'habitants celui-ci est quatre fois moins important qu'en France. L'Empire du milieu est riche, ses habitants le sont moins. Les élèves apprennent donc à se méfier des données brutes, ils les croisent, les contextualisent, les confrontent. C'est un travail exigeant qui se poursuivra dans d'autres matières, jusqu'au bac et au-delà pour certains. Le monde, jusqu'ici paysage à leurs yeux, vu à la TV ou souvenirs, devient plus économique, classement aussi : pays développés, pays émergents, pays en développement.

Les ados, qui aiment bien se chambrer entre eux, trouvent ici un terrain d'affrontement inattendu pour leurs joutes oratoires. « Téma le carré du PIB de la Tunisie, il est plus grand que celui de ton Cameroun alors que le pays est plus petit, hahaha… » fait remarquer N. à son voisin. « Il n'y a aucune donnée pour le Kosovo » pointe R. « Mon père est Albanais » réplique D. Et de chercher désespérément à travers le manuel des indicateurs qui redressent l'honneur du petit pays balkanique. Les « résultats » de la France font l'unanimité. « On est pas si mal, on est toujours dans le vert. » Cela leur donne même une certaine fierté, même s'ils n'y sont pas pour grand-chose. « De toute façon balec, on est champions du monde » crie D. Jusqu'en décembre 2022 en tout cas.

Les limites du classement PISA

S'il est bien un domaine où la coupe n'est pas (encore) à la maison, c'est bien celui du « classement » PISA pour Programme for International Student Assessment (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). L’indice est largement commenté tous les trois ans. Élaboré par l'OCDE, l'outil est relativement récent, la première enquête date de 2000, mais il a très vite suscité l'intérêt des médias du monde entier, pressés de savoir qui sont les bons élèves et qui sont les cancres.

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L'indice a ses limites, il évalue trois critères seulement, qui changent à chaque fois (compréhension de l'écrit, culture scientifique, mathématiques en 2018) et ne rend pas totalement compte de la qualité de tout un système scolaire, à la philosophie et aux objectifs différents selon les pays.

Seuls les élèves de 15 ans sont interrogés, en France, ils peuvent donc être en troisième, en seconde voire en première. Il n'est pas question ici d'en faire l’exégèse, il existe une multitude d'articles pour cela où s'opposent partisans et contempteurs. Pour rappel cependant, PISA n'est pas réellement un classement comme on a tendance à le résumer, mais un moyen mis à la disposition des États pour constater leur évolution plus que pour se comparer les uns aux autres. C'est une boussole plutôt, avec quelques pistes de réflexion.

Les premiers sont-ils les plus épanouis ?

Lors de la dernière enquête, en 2018, la France pointait à la 26e place sur 79 avec 495 points, elle était 25e en 2015. Pris bruts, ces chiffres sont moyens, vu les dépenses allouées à l’Éducation nationale. Les écarts entre pays comparables (en nombre d'habitants, en mixité sociale, en hétérogénéité de sa population) comme le Royaume-Uni (18e avec 502 points), l'Allemagne (20e avec 500 points), l'Italie (32e avec 487 points) ou l'Espagne (35e avec 481 points), ne sont cependant pas si importants que cela. Les États-Unis, pour information, sont 38e, le Canada (12e) s'en sort mieux, il est passé devant la Finlande, longtemps considérée comme LE modèle mais qui recule régulièrement. Le haut du classement est trusté par les pays asiatiques : La Chine, Singapour, le Japon, la Corée du Sud notamment.

Pour autant les lauréats sont-ils les plus épanouis ? Les élèves de ces pays-là sont également parmi les plus stressés. La question a été prise au sérieux par Séoul qui a fait du bien-être des étudiants et des profs, une priorité.

Les raisons d'un mal-être

Revenons à l'Hexagone : ses difficultés, pointées par l'OCDE sont archiconnues, notre système scolaire, longtemps élitiste, fait réussir les meilleurs, mais n'arrive pas à faire progresser les plus en difficulté, il crée des inégalités plus qu'il ne les résout.

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PISA révèle également un fait moins connu du grand public : le climat scolaire en France est l'un des plus dégradés au monde. Les enseignants français sont ceux qui, en Europe, font le plus la police en classe pour obtenir des conditions de travail satisfaisantes. Les partisans de la restauration de l'autorité du prof, comme seul remède, magique, à ce problème en sont toutefois pour leurs frais. L'OCDE pointe plutôt le manque de formation des collègues à la gestion de classe et la distinction trop nette entre personnels « instructeurs » (les profs) et « éducateurs » (vie scolaire, direction…).

Les élèves, de leur côté, se plaignent d'être peu soutenus par leurs enseignants quand ils rencontrent des difficultés et d'être surchargés de travail, surtout au lycée. Les parents, enfin, regrettent de ne pas être associés davantage au système éducatif. Profs, élèves, parents, tous sont insatisfaits. Pays laïque s'il en est, la France est pourtant divisée en une multitude de chapelles qui se tirent dessus, son système éducatif est un peu à son image. L'une des clés de la réussite scolaire passera donc, semble-t-il, par une meilleure cohésion entre tous les acteurs. Des profs heureux qui accueillent des élèves heureux, rêvons. Finalement, prendre en compte le Bonheur National Brut, ce ne serait pas si mal. Tous au Bhoutan !

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne