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Enfants ukrainiens : le traumatisme de la guerre

Envoyé spécial

Enfants ukrainiens : le traumatisme de la guerre

La guerre n’est pas sans conséquence sur les enfants du pays. Entre le traumatisme de ceux qui se sont retrouvés sous les bombes et l’angoisse vécue par les autres, les séquelles seront longues à guérir.

Texte et photos par Jean-François Bélanger

Publié le 5 mai 2022

Il y a quelque chose de troublant dans le regard de Nazar Opanasenko. Un regard sévère; en aucun cas celui d’un enfant de 10 ans. D’ailleurs, l’élève de 5e année l’avoue, il a l’impression d’avoir vieilli d’au moins deux ans en l’espace d’un mois.

Ce mois, c’est celui qu’il a passé, terré dans la cave de la maison familiale avec sa mère et sa grand-mère à Borodyanka. Il était, dit-il, le seul homme de la maison. Et à ce titre, il s’est interdit de pleurer. Mais les tics nerveux qu’il a développés, comme un clignement des yeux incontrôlable, sont autant de preuves du traumatisme qu’il a vécu.

Des bâtiments éventrés.
Les bombardements ont détruit en grande partie ce secteur de Borodyanka. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Les sons de la guerre le hantent encore. Les avions produisaient un son qui déchirait le ciel et les bombes sifflaient en tombant, dit-il. Et quand elles explosaient, c’était terrible.

Il l’avoue d’ailleurs volontiers, il est encore rongé par la peur et sursaute chaque fois qu’il entend une explosion. Elles sont d’ailleurs nombreuses, car les démineurs de l’armée ukrainienne s’affairent à récupérer et à détruire les mines et les bombes non explosées laissées par les soldats russes.

« Je sais que les Russes sont partis, mais je ne peux m’empêcher de trembler chaque fois que j’entends une explosion. »

— Une citation de   Nazar Opanasenko, 10 ans

La ville de Borodyanka se situe à une heure de route à l’ouest de Kiev. Elle a été occupée dès les premiers jours de la guerre par les soldats russes dans leur offensive vers la capitale. Elle fait partie, avec Boutcha, des villes martyres du début du conflit, théâtre de bombardements massifs et d’exécutions sommaires.

Presque tous les immeubles de la ville ont été au moins partiellement détruits et l’école ne fait pas exception. Occupée par les soldats russes, elle porte encore les traces de leur présence : des inscriptions partout, des restes de rations de combat et une classe entièrement détruite par une explosion.

Nazar est impatient d’y retourner; de reprendre les cours pour s’occuper l’esprit et chasser les idées noires.

Nazar vit avec la peur de la guerre. 

Accompagnées de leurs mères, les petites Ivanka et Nastya y remettent les pieds pour la première fois depuis le départ des soldats russes. Elles n’ont que 7 ans et se dirigent avec enthousiasme vers le coin dans la salle de classe où s’empilent les jouets. Mais leurs éclats de rire cachent une réalité plus sombre. Les fillettes ont passé leur temps à pleurer, recroquevillées dans un coin de la cave, explique Lyudmila Schevchuk, la mère de Nastya. Elles sont encore très anxieuses et pleurent chaque fois qu’elles entendent un bruit fort.

Portrait d'Ivanka et de Nastya.
Ivanka et Nastya retournent pour la première fois dans leur école depuis le départ des soldats russes. Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Les gamines avouent spontanément être encore rongées par la peur. Ivanka agite d’ailleurs frénétiquement les mains quand on l’interroge sur la source de ses peurs. J’ai peur que des soldats entrent chez nous et se mettent à tirer, dit-elle. Nastya enchaîne du même souffle : J’ai peur que les tanks reviennent et recommencent à tirer sur les maisons.

La psychologue pour enfants Kateryna Goltzberg ne le cache pas, ce traumatisme risque de laisser des séquelles à long terme chez ces gamins. Certains se sentiront coupables d’avoir survécu, alors que leurs proches sont morts, et risquent de développer des pensées suicidaires. D’autres pourraient nourrir des désirs de vengeance.

Portrait de Kateryna Goltzberg.
La psychologue pour enfants Kateryna Goltzberg Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Et, selon elle, les dommages ne se limitent pas aux enfants qui ont été témoins directs des horreurs de la guerre. Ceux qui vivent loin des lignes de front sont aussi affectés. Il faut comprendre que les enfants ont une imagination très vive, dit la psychologue. Et ils ont tendance à imaginer le pire. Elle donne en exemple son fils de dix ans qu’elle a surpris en train d’effectuer des recherches sur les conséquences de la guerre nucléaire et les moyens de s’en prémunir.

Elle ajoute que les jeunes enfants perdent tous leurs repères lorsqu’ils réalisent que leurs parents ne sont pas en mesure de les protéger contre la guerre.

« Ils deviennent anxieux et effrayés dès leur plus jeune âge et ils risquent d’avoir du mal à faire confiance à autrui en vieillissant. »

— Une citation de   Kateryna Goltzberg, directrice de l’association ukrainienne des psychologues pour enfants

Selon elle, il est important que les enfants retrouvent le plus rapidement possible un semblant de vie normale; qu’ils puissent retourner à l’école, par exemple. Une perspective qui semble cependant loin de se concrétiser. Qu’elles aient été détruites ou transformées en centre d’accueil pour familles déplacées, les écoles ne sont pas près de rouvrir.

D’ici là, les enfants ukrainiens doivent se contenter de l’enseignement à distance comme au temps de la COVID. À condition, bien sûr, qu’ils aient accès à Internet et qu’ils aient de l’électricité. Pour le reste, les familles et la communauté tentent de compenser de leur mieux.

Au coin d’une rue près de Borodyanka, un stand à barbe à papa et une abeille géante en peluche ont élu domicile là où se dressait auparavant une position de l’armée russe. Les éclats de rire sont nombreux alors que les enfants chantent et dansent avec la mascotte jaune et noire.

Dans le costume de l’abeille, Maksym Nechytailo explique sa démarche. Il est important d’apporter des sourires et de la joie aux enfants, dit-il.

Sa phrase est interrompue par l’explosion contrôlée d’un stock de mines et de bombes laissées derrière par les soldats russes. Les démineurs ukrainiens sont très actifs dans la région depuis quelques jours. Maksym reprend : Il est important de montrer aux enfants qu’après ça, après l’horreur de la guerre, on peut avoir une belle vie à nouveau.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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