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Avec 17 000 fermetures d’écoles en France en quarante ans, pourquoi plus d’un quart des établissements ont été touchés ?

Evolutions démographiques, politiques territoriales et choix politiques se mêlent pour expliquer cette baisse du nombre d’établissements.

Par  et

Publié le 17 mai 2022 à 20h22, modifié le 23 mai 2022 à 10h29

Temps de Lecture 5 min.

A Sauvebœuf (Dordogne), à Bolbec (Seine-Maritime), à Blaincourt-sur-Aube (Aube), à Abbeville (Somme), des mobilisations sont en cours contre la fermeture d’une école. Les mesures de carte scolaire, annoncées en février et éventuellement renégociées jusqu’à la rentrée, font l’objet de tensions entre les différents échelons de l’éducation nationale, les élus locaux, les syndicats enseignants et les parents d’élèves.

Chaque année, depuis 1963 et la création de la carte scolaire, l’offre scolaire est rationalisée en fonction des prévisions démographiques et des postes d’enseignants disponibles, ce qui implique souvent de regrouper, fusionner ou fermer des écoles. En découle le nombre annuel d’immatriculations d’écoles, qui recouvre des situations diverses (des établissements réunis administrativement tout en conservant leur site, de nouvelles constructions, des écoles closes...).

Selon des données fournies au Monde par le ministère de l’éducation nationale, on comptait 61 373 établissements scolaires publics de niveau maternelle ou élémentaire immatriculés en France en 1982, et seulement 44 312 à la rentrée 2021, soit une baisse de 17 061 écoles en quarante ans. Or, pendant cette même période, le nombre d’enfants d’âge scolaire est resté globalement stable.

Nombre d’écoles et nombre d’enfants en France

Evolution du nombre d’enfants de moins de 10 ans et du nombre d’écoles publiques maternelles et primaires depuis 1982.
Source : ministère de l’éducation nationale (écoles ouvertes, écoles fermées), Insee
  • Une tendance historique à la baisse du nombre d’écoles

Au XIXe siècle, les lois Guizot (1833) et Goblet (1886) imposent à toute commune de plus de 500 habitants d’entretenir une école. Mais, dès les années 1960, la baisse démographique en milieu rural incite les autorités politiques à diminuer le nombre de petits établissements. Par exemple, la circulaire du 28 juillet 1964 préconise de fermer les classes ou écoles de moins de seize élèves. Si cette orientation s’assouplit ensuite, face aux réalités de terrain – notamment en zone montagneuse –, la tendance est d’inciter les petits établissements à se regrouper pour survivre dès les années 1970.

Apparaissent ainsi des « regroupements pédagogiques intercommunaux » (RPI), qui incitent les communes à faibles effectifs scolaires à coopérer. Le regroupement peut être plus ou moins formel selon l’accord signé entre les communes et reposer sur des locaux « dispersés » (maternelle et CP dans l’école d’une commune, du CE1 au CM2 dans une autre) ou « concentrés » (un seul bâtiment est conservé et entretenu par plusieurs communes).

Malgré cette politique de regroupements, les petits établissements sont toujours nombreux : on compte 3 483 écoles publiques à classe unique, 5 204 écoles à deux classes et 5 890 écoles à trois classes.

Ouvertures et fermetures d’écoles

Ouvertures et fermetures d’écoles publiques (maternelles et primaires) depuis 1982

A partir des années 1980, les RPI se développent fortement en milieu rural et rurbain. On s’éloigne de la logique selon laquelle chaque commune devrait avoir son école. D’autant qu’en 1992, le rapport Mauger préconise la généralisation des écoles à trois classes en arguant du manque d’efficacité des classes uniques ou de niveaux regroupés qui caractérisent les petits établissements. Si un moratoire vient conditionner, en octobre 1993, toute fermeture de service public à l’autorisation des communes concernées, la tendance est clairement à la baisse du nombre de petites écoles.

Dans les années 2000, un grand plan de modernisation de l’administration publique (la « révision générale des politiques publiques », RGPP), se traduit par d’importantes suppressions de postes dans la fonction publique, dont l’école. En 2003, la loi prévoit la création obligatoire d’un RPI pour toutes les communes comptant moins de quinze élèves, contraignant les municipalités distantes de moins de 3 kilomètres à se regrouper scolairement. « Dans le premier degré, si les élus locaux sont associés au processus, ce sont les acteurs étatiques des administrations scolaires déconcentrées qui sont chargés d’évaluer les besoins et restent maîtres du nombre de postes d’enseignants. En supprimant un ou plusieurs postes, ils peuvent procéder à une fermeture de classe ou d’école, sans nécessairement solliciter l’accord des élus communaux », détaille Malorie Ferrand, historienne de l’aménagement scolaire du territoire rattachée à l’université Lyon-II.

Si le président de la République, Emmanuel Macron, a souvent affiché sa volonté de « ne pas fermer d’école primaire en milieu rural sans l’accord du maire », la tendance en cours reste d’éviter les écoles de petite taille et de tendre vers « l’équité territoriale ». S’y ajoutent quelques objectifs apparus durant le dernier quinquennat, comme le dédoublement des classes dans les réseaux d’éducation prioritaires et le seuil maximum, partout en France, de vingt-quatre élèves par classe en grande section, CP et CE1.

Ainsi l’école de Ponthoile, village de la Somme de 611 habitants, ne rentrait plus dans les cases. « Nous avions deux classes, l’une allant de la maternelle au CP, l’autre du CE1 au CM2. Les effectifs se sont progressivement étiolés pour atteindre vingt-cinq élèves en tout, en 2017 », rappelle le maire, Henri Poupart. Le couperet tombe en 2018 : l’inspection académique décide de supprimer un poste, l’école est condamnée. « On a tenté de se regrouper avec d’autres communes, ça n’a pas fonctionné », déplore l’édile, qui regrette surtout de perdre le fil avec la jeunesseL’attention médiatique n’y changera rien. Malgré le succès de la chanson Les Oubliés de Gauvain Sers, dont le clip est tourné entre les murs de l’école, celle-ci est close et va être transformée en centre culturel.

  • De grandes disparités territoriales
Fermetures d'écoles par canton
Evolution du nombre d'école maternelles et primaires publiques dans les cantons français depuis 1982.
 
– 100% – 50% – 25% 0 + 25% + 50% + 100%
Source : Ministère de l'éducation nationale (écoles ouvertes, écoles fermées)

Le résultat de cette dynamique historique est un territoire marqué par de grandes disparités, y compris à l’intérieur des zones rurales. Un épais rapport sur la scolarité en milieu rural remis par le sénateur socialiste Alain Duran en 2016 le soulignait déjà. « Les communes rurales, dans leur ensemble, ne perdent pas de population depuis trente ans, l’“exode rural” est achevé depuis les années 1970. Mais elles n’en gagnent que lorsqu’elles sont situées à proximité d’une ville, et d’autant plus que cette ville est grande », pointe M. Duran en citant un rapport de l’Insee, avant d’insister sur l’augmentation rapide du nombre de communes se retrouvant sans école depuis les années 1990, surtout dans les académies rurales.

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Selon nos données, certains départements voient ainsi leur réseau d’écoles se resserrer de manière drastique. Entre 1990 et 2018, l’Orne a enregistré une baisse du nombre d’enfants de moins de 10 ans de 27 % pour atteindre 29 350 enfants tandis que le nombre d’écoles immatriculées chutait de 58 %, à 175 établissements. Dans l’Est, la population d’enfants de Haute-Marne baissait de 39 % (17 482 enfants de moins de dix ans), et le nombre d’écoles tombait à 162, une baisse de 59 %. Le Cantal a vu sa population enfantine diminuer de 27 % sur la même période, et le nombre d’écoles baisser de 45 % pour tomber à 144 écoles.

Cette « rationalisation » se poursuit. En témoigne l’histoire de La Cabanasse, commune de 681 habitants située dans la partie montagneuse des Pyrénées-Orientales (département dont les 0-10 ans ont augmenté de 18 % entre 1990 et 2018 mais où le nombre d’écoles a diminué de 10 %). Elle appartient actuellement à un « regroupement pédagogique intercommunal dispersé » de quatre petites écoles, dans des villages limitrophes, qui ont chacune leurs locaux et leur direction. Celles-ci seront bientôt « fusionnées » selon les mots de la directrice de l’école de La Cabanasse, Ingrid Sarda, une transformation d’abord prévue pour la rentrée 2023 mais retardée du fait de la crise sanitaire. « Nos écoles vont fermer et nous serons transférés dans un seul et même bâtiment neuf construit à La Cabanasse, un pôle enfance aux normes, équipé d’une cantine et d’une garderie », raconte l’enseignante. L’accord n’a pas été facile à trouver, car les communes perdant leur école se sont inquiétées d’un déclin général de leur bourg.

« Au niveau pédagogique, on y voit des avantages et des inconvénients. Il n’y aura plus qu’un poste de directeur d’établissement, donc moins de cumuls de fonctions. Les collègues isolés le seront moins, les difficultés d’apprentissage parfois plus faciles à appréhender. Mais le risque est de se retrouver dans un engrenage menant à des fermetures de classe. Si, en fusionnant, on se retrouve en moyenne à vingt élèves par classe quand l’objectif national est de vingt-quatre, il est possible que nous perdions un poste. Localement, c’est toujours un événement difficile à encaisser », s’inquiète-t-elle.

Lorsqu’on interroge l’éducation nationale, du ministère aux recteurs d’académie, personne ne le nie. « Même si les évolutions d’effectifs s’anticipent et se discutent sur le long terme, les décisions quant aux suppressions de poste ne sont jamais évidentes à prendre », dit Catherine Moalic, inspectrice de l’académie des Ardennes. « Il est alors crucial de faire comprendre qu’on travaille dans un souci d’équité entre les territoires », explique-t-elle. Dans son département des Ardennes, où le nombre d’enfants est en baisse constante depuis les années 1990, la « mue » vers des écoles regroupées est ainsi presque terminée. Sur 449 communes, seules 130 possèdent une école. Aucune ne fermera cette année.

Mise à jour le 18 mai : retrait d’une mention indiquant que le taux d’encadrement était identique dans des territoires de nature différente.

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