Port de Calais, 18 h 30, fin avril. En ce début de soirée ensoleillée, le Botnia Seaways, navire cargo qui vient d’arriver de Sheerness (Royaume-Uni), à l’embouchure de la Tamise, est en train de se vider de ses cent douze remorques de camion, qui vont être garées parmi des dizaines d’autres sur les parkings environnants. Soudain, précédée par un coup de sifflet puissant, l’imposante silhouette d’une locomotive apparaît, machine incongrue dans cet univers routier. Elle tire un convoi d’une trentaine de remorques, soit 2 000 tonnes en mouvement, ravalant les poids lourds au rang de camionnettes.
La scène se passe au terminal multimodal rail-route de Calais, géré par Viia, une filiale de la SNCF, qui entend en faire le symbole d’un renouveau du fret ferroviaire, en ce début des années 2020. Comme le rejaillissement d’un mode de transport écrasé depuis des années par la masse, sans cesse grandissante, des poids lourds.
Signe majeur de ce frémissement, Fret SNCF, l’activité historique de transport de marchandises de la compagnie nationale, a été financièrement à l’équilibre en 2021. La branche malade du ferroviaire, structurellement en perte de vitesse depuis des années, est aujourd’hui dans le vert. C’est une première depuis que l’on compte à part cette activité dans le groupe SNCF. Et, paradoxalement, c’est la crise du Covid qui a remis le fret sur les rails. Dans la panique du premier confinement, alors que le transport routier n’était pas toujours au rendez-vous, le rail a fait le boulot.
« La période a constitué le début du rebond pour le fret ferroviaire, confirme Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, l’entité de transport ferroviaire de marchandises de la SNCF, qui inclut Fret SNCF. Cent pour cent des commandes ont été honorées au printemps 2020 et nos clients ont été reconnaissants du travail qui a été accompli. » Alors, tout le secteur se prend à rêver de bousculer enfin les parts de marché du camion. Le fret peut renverser l’histoire en atteignant l’objectif que Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, a résumé dans son programme « Le fer contre le carbone », à savoir faire passer le fret ferroviaire de 9 % du transport de marchandises aujourd’hui à 18 % dans une petite dizaine d’années.
Une longue descente aux enfers
Le défi est immense. Car l’histoire du fret ferroviaire, c’est d’abord la chronique d’un grand déclassement. Il y a moins de quarante ans, un tiers des marchandises transitaient par train et les effectifs du fret atteignaient 50 000 cheminots. Aujourd’hui, 4 800 personnes sont rattachées à Fret SNCF. L’introduction de la concurrence, en 2005, n’a en rien inversé la tendance, et a plutôt accéléré la déconfiture de l’ancien monopole. La litanie des grandes grèves cheminotes (1995, 2001, 2007, 2014, 2018, 2019) a fait renoncer au train chaque année davantage de chargeurs, ces entreprises qui expédient la marchandise.
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