En Italie du Sud, la tomate a un prix : l'exploitation des travailleurs migrants

Bancé, citoyen Burkinabé devant la maison abandonnée qu'il squatte le temps de la saison de la récolte des tomates. ©Radio France - Raphaël Krafft
Bancé, citoyen Burkinabé devant la maison abandonnée qu'il squatte le temps de la saison de la récolte des tomates. ©Radio France - Raphaël Krafft
Bancé, citoyen Burkinabé devant la maison abandonnée qu'il squatte le temps de la saison de la récolte des tomates. ©Radio France - Raphaël Krafft
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Exploitation, habitat indigne, insécurité administrative, emprise de la mafia, c'est le quotidien des travailleurs agricoles africains qui ramassent les fruits et légumes en Italie et notamment la tomate dans la région de Basilicate, au sud du pays.

Avec
  • Romain Filhol

C’est la fin de la saison de la tomate en Basilicate, petite région d'Italie du sud coincée entre les Pouilles et la Calabre. Bancé et une cinquantaine de ses camarades d’infortune pour la plupart originaires du Burkina Faso squattent depuis deux mois deux petites maisons abandonnées perdues au milieu de la plaine de Boreano dans le Nord de la Basilicate. Ils ont été jusqu’à cent entassés entre leurs murs décatis sans eau ni électricité dans les effluves des ordures qu’ils brûlent faute d’un service de ramassage qui viendrait jusqu’à eux. L’eau potable est stockée dans des bidons de produits phytosanitaires, quelques poules s’égayent. Le froid et la pluie sont arrivés tôt cette année.

Des conditions de vie déplorables et souvent des ghettos

Avant d’arriver dans le Nord de la Basilicate pour cueillir les tomates, Bancé était dans les Pouilles et, avant cela, en Campanie pour ramasser les pommes de terre. Dans quelques jours, il partira pour la Calabre puis la Sicile pour la saison des agrumes où ses conditions de vie ne seront pas meilleures. Et rebelote au printemps prochain, comme chaque année depuis bientôt quinze ans qu’il vit en Italie où l’État n’a que faire de ses travailleurs agricoles étrangers pourtant indispensables à la bonne marche de son industrie agroalimentaire.

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Quand ce n’est pas une maison abandonnée qu’il investit avec ses compatriotes, c’est dans un ghetto qu’il trouve refuge comme à Foggia dans les Pouilles. Bancé aurait aimé avoir accès au centre d’accueil de Palazzo San Gervasio qui a ouvert ses portes au mois d’août dans le Nord de la région pour pallier le démantèlement des derniers ghettos de Basilicate. En vain, ses 250 places d’accueil ne suffisent pas au millier de ramasseurs de tomates qui viennent dans le secteur chaque fin d’été.
 

L'ancienne usine de tabac de Palazzo San Gervasio transformée en Centre d'accueil pour travailleurs agricoles.
L'ancienne usine de tabac de Palazzo San Gervasio transformée en Centre d'accueil pour travailleurs agricoles.
© Radio France - Raphaël Krafft

Le caporalato, un système mafieux d’intermédiation entre l’agriculteur et le travailleur agricole

Aux conditions d’accueil qui attentent à leur dignité humaine, les travailleurs agricoles sont souvent soumis au caporalato, ce système mafieux d’intermédiation entre l’agriculteur et le travailleur agricole. Outre de mettre les parties en relation, le “caporal” fournit également le transport du travailleur jusqu’au champ, sa nourriture et fait parfois fonction de gestionnaire ghetto au sein desquels se développent diverses activités criminelles comme la prostitution ou le trafic de drogue. Le caporal va également contrôler la qualité du travail pour le compte de l’employeur. À travers le service qu’il rend, le caporal spécule sur le salaire déjà faible du travailleur.
 

La région Basilicate a reçu une enveloppe de 9 millions d’euros pour lutter contre le caporalato. Les résultats se font attendre. Selon Pietro Simonetti, le représentant pour la Basilicate de la table nationale de lutte contre le caporalato du ministère du travail, le centre d’accueil de Palazzo san Gervasio est un modèle du genre en Italie. La multiplication à l’horizon 2022-2023 de ce type de centre va permettre de sortir les migrants des ghettos et de casser les organisations criminelles qui y prospèrent et donc le système du caporalato.

"La tomate, c’est une histoire où tout le monde exploite celui qui est en dessous de soi"

C’est sans compter sur une qualité d’accueil qui frise l’indignité humaine dans des centres situés loin de tout, des villes comme des exploitations agricoles. "On voudrait maintenir ces personnes dans un système d’exploitation, les garder dans leur condition de citoyens de seconde zone qu’on ne s’y prendrait pas autrement" souligne Gervasio, agriculteur à Palazzo San Gervasio et défenseur de la cause des travailleurs agricoles. D’autant que ces derniers, dans un contexte d’augmentation du prix de l’énergie, demeurent la seule variable d’ajustement d’un marché ultra concurrentiel où la grande distribution presse les prix à leur maximum. Et Gervasio d’ajouter :
 

La tomate, c’est une histoire où tout le monde exploite celui qui est en dessous de soi dans la filière : le travailleur agricole par l’agriculteur, l’agriculteur par l’industrie de transformation, l’industrie de transformation par la grande distribution désormais entre les mains de fonds d’investissement.

Prière au centre d'accueil pour travailleurs agricoles de Palazzo San Gervasio.
Prière au centre d'accueil pour travailleurs agricoles de Palazzo San Gervasio.
© Radio France - Raphaël Krafft

Abandonnés par les syndicats, isolés de la société, les travailleurs agricoles ne peuvent compter que sur de rares soutiens. DH, citoyen ivoirien réfugié politique en Italie a exposé son cas aux associations de défense des migrants en Basilicate qui ont décidé de porter son cas à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) où elles ont introduit un recours "parce que, précise Angela Bitonti, leur avocate, l'insuffisance et l'inefficacité des politiques de l'administration publique ont un impact direct sur ses droits fondamentaux, lui portant irrémédiablement atteinte et en particulier sur sa dignité d'être humain, qui est la condition préalable à la jouissance de tout autre droit."

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